La réouverture du quartier juif d’Amsterdam soulève des inquiétudes
Dans le quartier historique de la communauté juive, se trouvent plusieurs musées et la belle synagogue portugaise - cela sera-t-il suffisant pour attirer les touristes prudents ?
AMSTERDAM (JTA) — Situé dans ce qui était, dans le passé, le quartier juif de la capitale néerlandaise, le Quartier culturel juif – un groupe de musées et autres institutions installés à quelques blocs d’immeubles les uns des autres – rassemblent des siècles d’histoire européenne dans un périmètre qui fait à-peu-près la moitié de celui de Times Square.
S’y trouvent, entre autres, le musée historique juif ; le musée juif pour enfants, qui est le premier en son genre en Europe ; la synagogue portugaise, un beau bâtiment du 17e siècle qui est encore aujourd’hui un lieu de culte ; la bibliothèque Ets Haim, nichée sous la synagogue portugaise ; et le théâtre Hollandse Schouwburg, où les nazis rassemblaient les Juifs pendant la Shoah. Il y a également un musée de la Shoah, qui a coûté 27 millions de dollars, qui a été rénové et qui devrait ouvrir à nouveau ses portes en 2022.
Avant la pandémie de coronavirus, 350 000 visiteurs venaient, chaque année, s’aventurer dans le quartier culturel qui servait de porte d’entrée vibrante sur la vie et sur la culture juives – pour les touristes comme pour les locaux.
Le musée juif pour enfants s’enorgueillit de milliers de visites de la part d’élèves des écoles élémentaires néerlandaises. En ce qui concerne le musée principal, il expose les deux menorah les plus chères du monde et il présente tout ce qui avait constitué quatre synagogues ashkénazes avant le génocide.
Mais la pandémie de coronavirus a soudainement cassé cette dynamique, et l’inquiétude est réelle sur l’évolution des choses lors de la réouverture du quartier culturel.
Le quartier culturel juif devrait rouvrir le 1er juin et les personnels réfléchissent à la nouvelle organisation à mettre en place dans le sillage de l’épidémie. Les ventes de billets – le prix d’entrée est d’environ 20 dollars et le billet est valable pour toutes les institutions présentes dans le périmètre – seront réalisées exclusivement en ligne, ce qui fermera la porte aux flâneurs attirés par hasard.
Tandis que le secteur du centre d’Amsterdam avait attiré environ 360 000 visites en 2019, « si nous obtenons 135 000 visites en 2020, alors les résultats seront bons », commente Emile Schrijver, directeur de l’organisation-cadre du quartier qui a été formée en 2012. « C’est simplement être réaliste », ajoute-t-il.
La cadre interactif du quartier culturel devrait également changer. Le musée juif avait développé une philosophie intitulée « JE DEMANDE », qui encourage les touristes à amorcer la conversation avec le guide, plutôt que de se maintenir dans le rôle d’observateur passif. En 2015, le magazine de muséologie hollandais Museumpeil avait fait l’éloge de cette méthode innovante, recommandant vivement qu’elle soit copiée.
Et pourtant, ce modèle pourrait devoir être adapté à la réalité post-confinement, dit Schrijver.
Certaines découvertes à faire au sein du quartier culturel – comme les trésors communautaires qui sont exposés à la synagogue portugaise – se trouvent dans des lieux trop exigus pour permettre la distanciation sociale obligatoire d’un mètre cinquante. En plus du changement des itinéraires touristiques, les visiteurs devront se plier au port du masque obligatoire et éviter tout rassemblement.
« Déambuler me manque – entendre les gens à la cafétéria parler de ce qu’ils ont vu, dire que c’était bien ou qu’ils n’ont pas apprécié, peu importe », s’exclame Schrijver. « C’est la vitalité et les interactions propres à ce lieu qui me manquent. »
Sa voix au cours de cet entretien réalisé au début du mois résonne particulièrement fort dans le musée dorénavant vide.
« On fait beaucoup de choses sur Internet et on va continuer à le faire mais ce n’est pas la même chose », continue Schrijver.
Pour Anne-Maria van Hilst, guide touristique à Amsterdam de 32 ans qui s’est convertie au judaïsme il y a plus de dix ans, le quartier culturel a été la voie qui lui a permis d’entrer dans sa nouvelle religion. Elle explique que la tradition, dans le judaïsme, de poser des questions l’a interpellée.
Van Hilst avait commencé à fréquenter la synagogue juive libérale de la ville lorsqu’elle avait 13 ans, avant sa conversion. Mais l’accessibilité et la diversité des institutions variées qui constituent le quartier culturel lui ont permis de développer, petit à petit, son identité juive, d’une manière qui a su la mettre à l’aise, dit-elle. Et cela l’a même aidée à définir, plus tard, ses choix de carrière.
« J’ai commencé à venir au musée juif pour enfants quand j’étais adolescente », se souvient-elle. « J’ai aimé la manière dont il y avait toujours des employés, là-bas, dont le travail était de répondre aux questions. Ce n’était pas seulement un musée où il était possible de découvrir des choses exposées – c’était un lieu de dialogue », clame-t-elle.
« Je ne suis pas sûre que les employés m’appréciaient autant que je les appréciais, moi », s’amuse-t-elle.
Gagnant en maturité, approfondissant toujours sa connaissance du judaïsme, van Hilst a fini par tout connaître du principal musée juif. Ce qui l’a aidée à prendre la décision de faire des études d’histoire juive à l’université d’Amsterdam. Dans le cadre de son cursus, elle a pu avoir accès à la bibliothèque Ets Haim, fermée au public en général sauf pour des visites guidées ouvertes à des petits groupes ou aux spécialistes pour leurs recherches.
« À de nombreux niveaux, c’est là-bas que j’ai découvert ce que signifie être Juif », dit-elle en évoquant la bibliothèque.
La semaine dernière, alors qu’elle traversait à pied le quartier culturel dorénavant désert, van Hilst se souvient avoir déploré la nécessité de le maintenir fermé – précisément à un moment qui, selon elle, est excessivement particulier.
« Le quartier culturel juif devrait pouvoir être ouvert et il faudrait pouvoir raconter l’histoire réelle du judaïsme, particulièrement à cette période où l’antisémitisme est en hausse, où les théories du complot sur les Juifs et le virus sont florissantes », regrette-t-elle.
Le quartier compte plusieurs dizaines d’employés et a un chiffre d’affaires annuel de dix millions de dollars. Des financements annuels versés par le ministère de l’Education des Pays-Bas couvrent la moitié de son budget. L’autre moitié est issue de la vente de billets, de l’organisation de plus de 200 événements tous les ans, des magasins et de la cafétéria ainsi que de dons et de subventions non-gouvernementales, explique Schrijver dont le père était Juif.
La Maison d’Anne Frank – qui ne se situe pas dans le quartier culturel mais qui a attiré plus d’un million de visiteurs l’année dernière – fait également face à une baisse drastique de sa fréquentation en raison de la pandémie.
Le musée, qui a été construit là où la jeune adolescente a écrit son journal intime alors que sa famille vivait dans la clandestinité pour échapper aux nazis, est installé dans un complexe de taille modeste, avec des embrasures de porte étroites et des espaces exigus. L’architecture des lieux explique en partie pourquoi l’endroit a su si aisément transmettre un sentiment de confinement aux visiteurs – mais elle complique aujourd’hui la mise en œuvre de la directive de distanciation obligatoire d’un mètre cinquante, a confié le mois dernier le directeur du musée, Ronald Leopold, à AT5.
Cela fait des années qu’en raison de la demande élevée, la Maison d’Anne Frank a choisi de ne faire que de la vente de billets en ligne, avec des semaines d’avance. Avant la pandémie, l’endroit pouvait accueillir 78 visiteurs tous les quarts d’heure. Mais après le 1er juin, le nombre de visiteurs qui sera quotidiennement autorisé à entrer diminuera de 80 %, a fait savoir Leopold.
Le quartier culturel et la Maison d’Anne Frank ont su s’adapter à l’ère Internet pendant la quarantaine. La Maison d’Anne Frank a présenté une série de posts de blog, réalisés par une artiste ressemblant à l’adolescente juive assassinée. Le quartier, pour sa part, a organisé des visites virtuelles sur les réseaux sociaux et a diffusé en direct son projet « Foyers juifs ouverts ». Au cours de cette initiative, des personnes habitant dans des maisons qui étaient occupées, dans le passé, par des victimes juives de la Shoah ont ouvert leurs portes aux visiteurs pour leur permettre de les découvrir et de découvrir l’histoire de leurs anciens occupants.
D’autres visites, sur Internet, ont porté sur l’âge d’or de la communauté juive néerlandaise, au 17è siècle, époque où la synagogue portugaise avait été construite. Il y a eu également une exposition des œuvres d’art colorées d’Eli Content, peintre juif néerlandais.
Van Hilst s’est rendue au quartier culturel juif au début du confinement, lorsqu’elle a été invitée à faire une visite guidée virtuelle de la synagogue portugaise.
« Je ne m’y attendais pas mais j’ai ressenti quelque chose de très particulier à me trouver là, presque seule – il y a habituellement tellement de monde ! La synagogue a encore plus de majesté quand elle est calme », se rappelle-t-elle.
Mais l’expérience a aussi plongé la jeune femme dans une profonde mélancolie.
« Cela m’a fait comprendre l’étendue de cette incapacité de transmettre ce que le quartier juif a à nous dire, parmi toutes ces choses que nous ne pouvons plus faire », dit Van Hilst. « Et ça m’a brisé le cœur. »
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