La Russie déploie une batterie de missiles S-400 en Syrie
En plaçant ce système sophistiqué à Lattaquié, la Russie obtient le contrôle aérien sur la Syrie, le Liban et Chypre
Judah Ari Gross est le correspondant du Times of Israël pour les sujets religieux et les affaires de la Diaspora.
Les forces militaires russes ont déployé sa batterie de missile S-400 et un réseau d’antennes en Syrie, a annoncé un média dirigé par l’Etat, jeudi.
Le ministre de la Défense, Sergueï Choïgou, avait annoncé mercredi que le système serait déployé à Lattaquié, dans le nord-est de la Syrie, en réponse au fait que la Turquie a abattu un avion de guerre russe le jour précédent.
Cette vitesse presque impossible qui aurait été nécessaire pour amener et activer le système en à peine 24 heures a amené certains à se demander si le système S-400 n’avait pas été en place bien avant que l’armée turque n’abatte l’avion Su-24M, ou s’il a été vraiment installé.
Le système de missiles avancés, achevé en 2007, est capable de détecter et de détruire des avions qui sont à environ 400 kilomètres.
Son déploiement à Lattaquié va donner le contrôle aérien à la Russie sur la quasi-totalité de la Syrie, le Liban et Chypre, plus de la moitié de la Turquie, des parties de l’Irak et la Jordanie – et, bien sûr, Israël : des avions arrivant et partant de l’aéroport international Ben Gurion – qui se situe à environ 395 kilomètres de Lattaquié – seraient dans le champ de vision des sites russes.
« Avons-nous quelque chose à craindre ? La réponse est : oui et non », a déclaré Zvi Magen, un expert sur la Russie au Times of Israel mercredi.
« Si [le S-400] est en effet déployé », a expliqué Magen avant que les médias d’Etat de Moscou n’annoncent le déploiement du système, « cela sera un changeur de jeu ».
Le chef du Commandement central de l’US Air Force, le lieutenant-général Charles Brown Jr., a minimisé l’influence du système de missiles.
« Cela complique les choses un peu, et nous allons y réfléchir, mais nous avons encore un travail à faire ici, et nous allons continuer à faire ce travail – pour vaincre Daesh [l’État islamique] », a affirmé Brown au Air Force Times, mercredi.
Bien que la Russie estime qu’elle doit montrer de la force et du courage en réponse à l’incident de l’avion de chasse, Su-24M, qui serait entré dans l’espace aérien de la Turquie, l’installation d’un système de missiles S-400 est une déclaration spectaculaire avec des répercussions que la Russie ferait bien d’éviter, a ajouté Magen.
Le système Triumf S-400, aussi connu comme le SA-21 Growler, combine un système de radar de pointe, qui permet de détecter des missiles balistiques et les aéronefs à haute et à basse altitude qui se trouvent à des centaines de kilomètres de là, avec une variété de missiles capables de les atteindre.
Tout, d’un avion de chasse F-15 à un bombardier furtif B-2 qui rentre dans le rayon du S-400, risque d’exploser dans le ciel.
Pour Israël, la menace n’est pas un conflit inévitable : la Russie n’est, après tout, pas un ennemi. La menace est dans le potentiel, a poursuivi Magen, maintenant chercheur à l’Institut d’études de sécurité nationale.
Lorsque la Russie a ammené ses troupes en Syrie, les généraux israéliens se sont réunis avec leurs homologues russes pour créer une hotline pour s’assurer que l’armée israélienne puisse continuer à opérer contre le Hezbollah sans incident.
Aujourd’hui, ce protocole est, dans une certaine mesure, volontaire. Toutefois, si l’armée russe a en effet amené le système de défense de missiles anti-aériens, Israël serait alors forcé de coordonner ses attaques avec les Russes, a noté Magen.
L’armée israélienne a refusé de commenter le déploiement des S-400 et de ses répercussions possibles sur l’activité de l’aviation israélienne.
Si les rapports des médias russes contrôlés par l’État sont vraies, Israël n’aura plus la liberté d’envoyer des avions en Syrie à l’improviste ; comme c’est le cas pour les États-Unis, le Royaume-Uni, la France et les autres membres de la coalition pour bombarder l’État islamique en Syrie.
« Ces mesures ne sont pas autres choses que la Russie qui augmente son niveau de menace vers la Turquie et les avions de la coalition opérant dans et autour de la Syrie », a analysé Tyler Rogoway, un contributeur du site d’informations militaire, Foxtrot Alpha, mercredi.
« Le déploiement de batteries S-400 signifie que tout aéronef volant à une altitude dans un rayon d’environ à 250 miles d’entre eux risquent d’être engagé », a déclaré Rogoway.
Le système S-400 sera une épée de Damoclès sur la tête de l’armée de l’air israélienne – toujours présent, toujours prêt à frapper un avion israélien sans méfiance dans le ciel, a indiqué Hew. « Si cela arrive, [le S-400] changerait juste les règles du jeu », a-t-il dit.
La menace du ministre russe de la Défense Choïgou de déployer le S-400 dans l’une des régions les plus controversées dans le monde avait déjà suscité une ample controverse. Ammener réellement le système de défense serait un mouvement agressif qui pourrait susciter une réaction internationale lourde – et sans raison valable, a suggéré Magen.
« Ils ont déjà des systèmes anti-aériens en nombre suffisant dans la région qui sont assez bons pour menacer les Turcs », a expliqué Magen.
Mais le principal obstacle à l’action agressive de Russie est la suivante : la Russie ne peut pas attaquer la Turquie sans faire face à une réponse des membres de l’OTAN, les compagnons d’Ankara, a-t-il noté.
« La section cinq de l’accord de l’OTAN stipule que si un membre de l’OTAN est attaqué, les autres membres sont tenus d’aider. Une attaque sur la Turquie [menée] par la Russie serait essentiellement une invitation à tous de l’OTAN à faire face aux Russes », a déclaré Magen.
« Cela n’est pas dans l’intérêt de la Russie, et cela ne rentre pas dans la portée de ses capacités », a-t-il ajouté.
Même si la Russie n’était pas actuellement engagée dans des conflits militaires en Ukraine et en Syrie, le président russe Vladimir Poutine serait réticent à entrer dans un conflit avec les États-Unis, l’Allemagne, le Royaume-Uni et les 24 autres Etats membres. Mais avec l’armée russe déjà préoccupé, une confrontation avec les membres de l’OTAN serait encore plus désastreuse.
« Avant qu’ils ne le fassent, ils devront réexaminer à fond [leur décision] », a indiqué Magen.
En lieu et place d’une réponse militaire, a-t-il dit, Poutine continuera probablement avec les mesures diplomatiques et économiques qu’il a déjà prises contre la Turquie.
« Peut-être qu’il va profiter de l’occasion pour les frapper ici et là », a ajouté Magen, « mais la réponse sera probablement politique et économique, pas un conflit militaire ».