La vie d’un survivant de la Shoah brésilien immortalisée dans une chanson
Le récit douloureux de l'errance de Freddy Glatt sur le continent européen pour échapper à la machine de mort nazie est raconté dans une vidéo musicale mélancolique
RIO DE JANEIRO, Brésil (JTA) – Freddy avait 5 ans lorsqu’il a vu un pavé fracasser la vitrine de l’échoppe de son père à Berlin. Plus tard, il s’est fait battre par les nazis, sous les yeux de sa famille. En 1933, Adolf Hitler avait déjà rendu la vie impossible à la famille Glatt, les contraignant à s’exiler en Belgique.
« J’étais trop jeune pour me souvenir des détails, mais je me rappelle que mon père avait dit ‘cours à l’intérieur’, alors nous avons couru. J’étais terrifié », raconte-t-il au sujet de l’attaque du magasin.
Quatre-vingt-ans plus tard, Freddy Siegfried Glatt est désormais président de l’Association brésilienne des survivants de la Shoah à Rio de Janeiro. L’histoire de sa vie est devenue une chanson composée et chantée par le petit-fils brésilien de son cousin germain Max, qui, à l’âge de 71 ans, a émigré de Rio pour s’installer en Israël.
Recevez gratuitement notre édition quotidienne par mail pour ne rien manquer du meilleur de l’info Inscription gratuite !
« C’est extrêmement important de raconter les histoires de familles sur le nazisme pour faire en sorte que la Shoah ne se reproduise pas, nulle part », a explique Lazar Wall, pseudonyme yiddish de Luis Waldman, qui a décidé d’écrire en musique la vie de Glatt, un jour d’avril où son cousin a publié ses mémoires They Stole My Childhood (« Ils ont volé mon enfance »).
Wall, un musicien de 39 ans, qui enregistre en tant que One Man Mambo, a passé la plupart des fêtes juives et des réunions familiales avec Glatt, qu’il appelle « oncle ». Il a intitulé sa chanson « 101 Jérusalem », d’après la rue à Bruxelles qui a été l’une des dernières cachettes des Glatt.
« C’est ma première chanson à thème juif, et dont j’ai fait la surprise à Glatt une fois qu’elle était prête », a raconté Wall au JTA. « Pour moi, elle représente la résistance et l’unité du peuple juif, en dépit de l’antisémitisme qui persiste jusqu’à aujourd’hui. »
En déménageant en Belgique, Glatt a fréquenté l’école publique et rejoint le mouvement de jeunesse sioniste Maccabi Hatzair. Le germanophone a appris le flamand, l’hébreu, le yiddish et le français. L’antisémitisme y sévissait aussi, et les enfants étaient régulièrement injuriés, frappés, battus.
Quand le premier raid aérien a frappé Anvers en 1940, la Belgique ne s’est plus sentie protéger de la guerre. L’avancée de l’Allemagne nazie imposait une nouvelle fuite et son « opa » – grand-père en allemand – Salomon a réservé quatre places à l’arrière d’un camion de poubelles qui prenait la direction de la frontière française. Les deux frères de Glatt, Bubbi et Heinz, devaient les rejoindre à vélo.
« Les milliers de réfugiés sur la route ressemblaient aux Hébreux qui sortaient d’Egypte », s’est souvenu Glatt.
Peu après avoir traversé la frontière française, la famille a embarqué à bord d’un train qui a été frappé par des avions de combats allemands. Glatt a été touché à la jambe par des éclats, et sa blessure a mis des mois à guérir. La famille s’est installée à Toulouse, sous le régime de Vichy, mais les deux frères ne sont jamais arrivés. Ses parents ont également divorcé pendant ce temps, à cause de l’addiction au jeu du père, qui est parti s’installer au Brésil.
« On m’avait alors dit qu’il y avait des serpents qui se promenaient dans les rues au Brésil », se souvient Glatt, riant aux éclats.
Des réfugiés et un contact qui venaient d’arriver ont ensuite fait savoir que ses frères étaient parvenus à retourner en Belgique en utilisant une voiture abandonnée, rejoignant le domicile familial et rouvrant la boutique de leur grand-père. Ravi par la nouvelle, Salomon a rêvé de partir. Son plan : Retirer les économies de toute sa vie encore dissimulés à Anvers et extirper sa famille de l’Europe nazie.
Ils ont traversé la France occupée – au départ dans une limousine Minerva, construite en Belgique, avec l’aide d’un passeur – puis à pieds, et enfin en train. La famille a été de nouveau réunie à Anvers. Salomon, dont les économies étaient intactes, a recommencé ses affaires. Puis il y a eu l’obligation faite du port de l’étoile jaune.
Un an plus tard, les Juifs d’Anvers ont reçu l’ordre de rejoindre Heusden, un village situé à proximité de la frontière avec l’Allemagne et la Hollande. Leur déportation dans les camps d’extermination a toutefois été bloquée, l’Allemagne ayant déjà trop à faire avec le transport de millions de Juifs d’Europe de l’est, envoyés à la mort.
A l’âge de 13 ans, Glatt n’a pas pu célébrer sa bar-mitzvah.
« Il n’y avait pas de rabbin, pas de talith, pas de tefillin ou de Torah à Heusden », raconte Wall. « Il a fait sa bar mitzvah à l’âge de 85 ans dans la synagogue de Copacabana ici, à Rio ».
https://youtu.be/LyHPBeQ5U9I
La famille Glatt a été autorisée à revenir à Anvers, exception faite des fils aînés : Bubbi et Heinz ont été envoyés pour travailler dans une mine de charbon. En 1942, les deux garçons ont appris qu’ils seraient délégués sur le chantier du mur de l’Atlantique, une fortification dont l’objectif était de contenir l’avancée attendue des alliés. Une fois dans le train, ils ont découvert qu’ils étaient envoyés à Auschwitz.
Pendant ce temps-là, la Gestapo, avec l’aide d’espions locaux, comme les Jeunesses Hitlériennes flamandes, traquaient activement les Juifs restés en Belgique. Les grands-parents de Glatt, Salomon et Chawa, ont été trouvés et envoyés à Auschwitz. Des décennies plus tard, Glatt a appris que Salomon, Chawa, Bubbi et Heinz avaient été assassinés à Auschwitz en 1942.
Pour tenter de se cacher à nouveau des nazis, Freddy et sa mère « ont encore déménagé dans un petit appartement du 101, rue de Jérusalem, dans le quartier de Schaerbeek à Bruxelles », raconte Wall. « La salle de bains était minuscule, ce qui signifie que Freddy devait se rendre dans des bains publics en cachant avec soin sa circoncision ».
A l’âge de 14 ans, Glatt a commencé à travailler comme assistant chez un propriétaire de kiosques à journaux. La nuit, il travaillait également dans une usine clandestine de batteries électriques, et, entre ses deux activités, il dessinait des cartes sur le thème de Mickey Mouse qui étaient vendues dans une papeterie. Il volait également des rails de train pour les revendre à la récupération.
Cet argent lui a permis, à lui et à sa mère, de faire de rares visites au cinéma. Les films étaient précédés par des séquences d’informations qui montraient les bombes de la Luftwaffe pleuvoir sur Londres, et l’Opération Barbarossa écraser l’Union soviétique. Glatt se rendait souvent au Palais des Sports pour voir des compétitions de catch, de boxe et autres.
Alors que la guerre se poursuivait, les persécutions et les pénuries ont empiré et la mère de Glatt, Rozalia, a demandé au Grand rabbin de Belgique de trouver à son fils un endroit sûr. Avec le soutien des résistances juive et belge et d’Elisabeth, la reine-mère de Bavière – dont les initiatives en faveur de centaines d’enfants juifs lui ont valu la distinction de Juste parmi les nations – Glatt a rejoint une école catholique pour garçons.
Du terrain de jeu, là-bas, il pouvait voir des centaines de bombardiers B-17 américains se diriger vers l’Allemagne. La vision de nazis blessés, repoussés de Normandie par les soldats américains et britanniques, était aussi de bon augure.
Lorsque les alliés ont finalement libéré la Belgique, au mois de septembre 1944, Glatt a retrouvé sa mère et tous deux ont commencé à chercher frénétiquement leurs proches portés-disparus, encore ignorants du sort qui leur avait été réservé. En 1947, la mère et son fils sont partis au Brésil. Le père de Glatt avait vaincu sa dépendance plus aux jeux de cartes et le couple s’est remarié à Rio de Janeiro.
Glatt a vécu depuis à Rio. Il s’est marié avec Betty en 1954 et ils ont eu trois enfants. La famille s’est encore agrandie et compte aujourd’hui six petits-enfants et deux arrière-petits-enfants.
La chanson de Wall, interprétée en anglais, raconte cette histoire en images télégraphiques sur un rythme mélancolique, insistant, et elle s’achève avec à la fois par l’aspiration à la liberté de Glatt et le souvenir du destin funeste de ses frères.
« La chanson de Wall sur Glatt traduit l’importance de ce type d’art en tant que véhicule permettant de transmettre la mémoire des périodes historiques autoritaires et elle montre principalement ce que l’intolérance, le racisme et les préjugés sont capables de générer », commente l’historienne Rosa Nossek Lerner auprès de JTA.
Née à Rio de parents survivants de la Shoah qui sont parvenus à fuir l’Allemagne au début des années 1930, Lerner est l’auteure d’un livre en portugais intitulé : « La musique en tant que mémoire du drame : La Shoah », pour lequel elle a traduit des chants en yiddish composés et chantés dans les ghettos et dans les camps de concentration. Elle estime que la chanson de Wall est dans l’exacte tradition de ces musiques.
« Ils composaient pour occuper leur temps en sublimant les sentiments, ce qu’ils ne pouvaient pas comprendre et ce auquel ils ne pouvaient même pas répondre », dit Lerner. « Ces chansons nous aident à comprendre un peu les souffrances que les Juifs ont vécu pendant toutes ces années de domination allemande, la faim, l’attente, l’espoir de jours meilleurs, l’inquiétude pour l’avenir de leurs enfants et elles prouvent que même durant les moments les plus durs, on peut créer de l’art ».
« La musique a le pouvoir d’unir les sentiments, d’examiner les émotions, de se rappeler des histoires, des souvenirs et des pertes, de revivre la coexistence et de traduire les attentes et les espoirs », explique Lerner.
Wall espère pour sa part que sa chanson saura être à la hauteur de ces éloges.
« Si les jeunes arrivent à comprendre ce qu’a été la Shoah grâce à cette chanson alors notre objectif aura été atteint », s’exclame-t-il.
... alors c’est le moment d'agir. Le Times of Israel est attaché à l’existence d’un Israël juif et démocratique, et le journalisme indépendant est l’une des meilleures garanties de ces valeurs démocratiques. Si, pour vous aussi, ces valeurs ont de l’importance, alors aidez-nous en rejoignant la communauté du Times of Israël.
Nous sommes ravis que vous ayez lu X articles du Times of Israël le mois dernier.
C'est pour cette raison que nous avons créé le Times of Israel, il y a de cela onze ans (neuf ans pour la version française) : offrir à des lecteurs avertis comme vous une information unique sur Israël et le monde juif.
Nous avons aujourd’hui une faveur à vous demander. Contrairement à d'autres organes de presse, notre site Internet est accessible à tous. Mais le travail de journalisme que nous faisons a un prix, aussi nous demandons aux lecteurs attachés à notre travail de nous soutenir en rejoignant la communauté du ToI.
Avec le montant de votre choix, vous pouvez nous aider à fournir un journalisme de qualité tout en bénéficiant d’une lecture du Times of Israël sans publicités.
Merci à vous,
David Horovitz, rédacteur en chef et fondateur du Times of Israel