L’approche d’Israël de l’aide humanitaire à Gaza pourrait lui coûter la guerre
Benjamin Netanyahu a été poussé à annoncer de nouvelles mesures après la mort de travailleurs humanitaires mais encore une fois, Jérusalem risque de faire trop peu et trop tard
Il y a de nombreux éléments dans la conduite, par Israël, de la guerre à Gaza qui ont frustré ses alliés les plus proches. Les déclarations inconsidérées qui ont pu être faites par des ministres et par d’autres responsables élus, le refus obstiné d’évoquer ce que pourrait être « le jour d’après » au sein de l’enclave côtière et, en particulier, le bilan humain particulièrement lourd du côté des civils palestiniens ont mis à mal le soutien inconditionnel dont l’État juif bénéficiait dans le sillage direct du massacre commis par le Hamas dans le sud d’Israël, le 7 octobre.
Mais c’est l’approche qui a été adoptée par le gouvernement de Netanyahu face à la situation humanitaire complexe et souvent désespérée dans l’enclave qui met réellement en péril le soutien à la continuation de la guerre, mettant en doute « la victoire totale » qui avait été promise par le Premier ministre.
Depuis des mois, les alliés d’Israël ont ouvertement – ou plus discrètement – tenté de convaincre le leadership israélien, en cette période de guerre, du caractère fondamental des aides dans le cadre du conflit – et de son issue définitive.
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La réponse apportée par Israël a instinctivement été de rejeter toutes les requêtes avant de les accepter lorsque la situation, sur le terrain, n’offrait plus d’autre choix. Cette approche, qui semble avoir été déterminée par des calculs politiques israélo-israéliens, a épuisé le soutien à l’international et l’épuise encore à un moment où une victoire ne semble pourtant guère imminente.
Un discours musclé
« J’ai ordonné le siège total de la bande de Gaza. Il n’y aura ni électricité, ni produits alimentaires, ni carburant : tout est fermé », avait déclaré le ministre de la Défense, Yoav Gallant, deux jours après le massacre du 7 octobre.
Néanmoins, moins de deux semaines plus tard, le siège avait été levé et les premiers camions transportant assistance alimentaire et médicaments étaient entrés dans la bande depuis l’Égypte.
A la mi-novembre, les pressions exercées par les États-Unis et par les ONG avaient obligé Israël à changer une nouvelle fois de cap et des poids-lourds chargés de carburant pour les hôpitaux, pour les camions distribuant les aides humanitaires, pour faire fonctionner les pompes à eau, les usines de dessalement, les boulangeries et les usines d’assainissement avaient été autorisés à pénétrer au sein de l’enclave côtière.
La carburant avait aussi été remis à la compagnie de télécommunications Paltel de manière à ce que les Gazaouis puissent bénéficier des services de téléphonie et d’internet.
Aujourd’hui, le COGAT se vante du nombre de camions-citernes autorisés à entrer quotidiennement dans la bande.
Sous la politique qui avait été établie au début de la guerre et qui avait été annoncée au clairon par les leaders israéliens – une politique consistant à déconnecter Israël de Gaza – les décisionnaires avaient aussi promis qu’aucune aide ne parviendrait dans la bande à partir du poste-frontière de Kerem Shalom. L’administration Biden et la communauté internationale plus largement avaient pressé Israël pendant de longues semaines, demandant la réouverture de Kerem Shalom qui, avant la guerre, était le principal point de transit de tous les produits qui entraient à Gaza.
Au mois de décembre, Netanyahu et son gouvernement avaient fléchi et aujourd’hui, ils donnent les chiffres des camions qui traversent le poste-frontière chaque jour.
Israël écartait également la possibilité que le port d’Ashdod soit utilisé pour le transfert de l’assistance. Mais finalement, au mois de janvier, cédant aux pressions américaines, Netanyahu avait permis à une importante cargaison de farine d’accéder au port. Le ministre des Finances avait bloqué la cargaison pendant des semaines, opposé à l’idée qu’elle soit remise à l’UNRWA – suscitant la colère des Américains – avant d’autoriser son acheminement dans la bande.
Aujourd’hui, après la frappe meurtrière qui a tué sept travailleurs humanitaires de l’organisation World Central Kitchen, Israël continue à faire machine arrière, renonçant à son discours musclé.
Les bateaux transportant les cargaisons d’assistance humanitaire pourront jeter l’ancre au port d’Ashdod dès dimanche. Le poste-frontière d’Erez, qui sépare l’État juif du nord de la bande, qui était le principal point de transit vers l’enclave côtière et où de nombreux Israéliens avaient été tués et kidnappés lorsque les terroristes du Hamas avaient envahi Israël, le 7 octobre, sera ouvert. Cela faisait pourtant des mois que les dirigeants israéliens s’opposaient à une telle perspective.
Israël a aussi décidé d’élargir les horaires d’ouverture du poste de Kerem Shalom, notamment le week-end. Le COGAT avait estimé qu’une telle mesure n’était pas nécessaire, disant que ses employés traitaient un plus grand nombre de camions, au quotidien, que ce que les organisations humanitaires qui se trouvent à Gaza étaient capables de prendre en charge. Aujourd’hui, l’État juif affirme qu’ouvrir Kerem Shalom pendant un plus grand nombre d’heures permettra à de plus grandes quantités d’aide d’arriver jusqu’aux civils gazaouis.
Au lieu de démontrer à ses alliés que le pays a pris la tête de toutes les initiatives liées à l’acheminement de l’assistance humanitaire, Israël donne l’impression de traîner les pieds alors même que la situation, dans la bande, ne cesse d’empirer.
C’est cette perception – qui n’est pas infondée – qui met aujourd’hui la campagne toute entière en danger.
Le président américain Joe Biden ne conditionne plus un cessez-le-feu à la libération des otages qui se trouvent encore à Gaza. Il a dit à Netanyahu, au cours d’un entretien téléphonique tendu, qu’après la frappe dont le convoi de WCK a été victime, « un cessez-le-feu immédiat est essentiel pour stabiliser et pour améliorer la situation humanitaire, et pour protéger des civils innocents ».
Un cessez-le-feu qui serait imposé depuis l’extérieur, sans concession majeure de la part du Hamas, serait, bien sûr, une catastrophe pour Israël – en particulier au moment où le pays cherche les moyens de conclure les dernières phases de la conquête de Gaza.
Les leaders israéliens de tout le spectre politique ainsi que tous les chefs militaires insistent sur la nécessité de prendre la ville de Rafah, qui est située au sud de la bande. Quatre bataillons, en plus des terroristes qui s’y sont réfugiés, se trouvent encore dans la ville. Le couloir Philadelphi, la route qui se trouve le long de la frontière qui sépare Gaza et Israël, qui a servi au Hamas pour ses trafic d’armes depuis 2007, doit aussi à tout prix tomber aux mains des Israéliens.
Mais les inquiétudes humanitaires – avec plus d’un million de Palestiniens déplacés qui ont trouvé un abri dans la ville – bloquent cette offensive également. Et il semble que l’armée ne sera pas en mesure de mener l’opération telle qu’elle l’avait prévue – un sentiment croissant du côté israélien.
Anticipant une nouvelle détérioration potentielle de la situation des Gazaouis qui se sont réfugiés à Rafah et dans ses alentours, l’administration Biden s’oppose dorénavant à toute offensive majeure là-bas et elle n’écarte pas la possibilité qu’il y ait des conséquences si l’État juif devait malgré tout s’aventurer dans une telle campagne. Des sources proches du gouvernement israélien ont indiqué au Times of Israel qu’il y a aujourd’hui un sentiment grandissant laissant penser qu’aucune opération significative ne sera lancée à Rafah, malgré les promesses répétées qui ont pu être faites par les dirigeants.
Les conseillers de Netanyahu ont présenté un plan d’évacuation humanitaire de Rafah, préalable à l’offensive militaire, à leurs homologues américains, cette semaine – mais ces derniers n’ont guère été convaincus et ils auraient estimé que le plan était inapplicable.
« C’est à cause de la question humanitaire que nous sommes isolés du monde », explique Einav Levy, fondateur et directeur de l’Israeli School of Humanitarian Aid. « Nous avons déjà perdu la guerre de l’image ».
Le chaos
Même si le Hamas obstrue intentionnellement la distribution des aides et qu’il voit des avantages à une famine imminente qui s’abattrait dans la bande, Israël doit accepter la responsabilité de l’acheminement de l’assistance au sein de l’enclave côtière, déclare pour sa part Bar Rapaport qui travaille pour Mitvim : l’Institut israélien de politique étrangère régionale.
« Et cela aurait dû être fait il y a longtemps », dit-elle au Times of Israel, faisant référence à l’impératif, pour l’État juif, de garantir un approvisionnement suffisant en assistance.
Levy explique que la situation de l’aide humanitaire, à Gaza, est actuellement chaotique. « Il n’y a pas de réelle possibilité de savoir qui fait quoi et où les choses se font », continue-t-il.
Il y a un ensemble changeant d’ONG internationales, d’agences de l’ONU et d’initiatives parrainées par l’État qui mènent leurs opérations parallèlement au Hamas, aux clans locaux et à l’armée israélienne. Le contrôle territorial change en permanence et les civils se déplacent également.
Rapoport, qui est en contact régulier avec les agences d’aide humanitaire sur le terrain à Gaza – et notamment avec la WCK – explique qu’elles se plaignent du manque d’organisation dans les procédures définies en collaboration avec l’armée israélienne : « Tout dépend de si vous tombez sur quelqu’un, dans l’armée, qui est prêt à vous écouter, ou qui vous connaît personnellement ou non ».
Elle note que les ONG, elles aussi, disent qu’elles ignorent vers qui se tourner exactement dans l’exercice de leurs activités.
Le groupe WCK a refusé toute demande de commentaire, expliquant ne pas accorder d’interview pour le moment. Sollicité à plusieurs reprises, le COGAT n’a pas répondu à notre demande de réaction.
« Il n’y a pas de mécanisme ordonné, coordonné pour les postes-frontières, pour la distribution des aides, pour les contacts entre Israël et les acteurs internationaux », regrette Rapoport. « Tout le monde fait ce qu’il estime être juste ».
Et tant que ce sera le chaos qui règnera sur le terrain, Israël rencontrera des difficultés à atteindre ses objectifs à long-terme à Gaza.
Israël a écarté toute possibilité, pour l’UNRWA, de continuer ses opérations dans la bande et ne laissera manifestement pas le Hamas s’impliquer dans la gestion de l’enclave côtière. L’État juif lui-même n’est pas intéressé à l’idée de reprendre la responsabilité de deux millions de Palestiniens hostiles.
Pour le moment, Netanyahu espère que les organisations réussiront à remplacer l’UNRWA et le Hamas dans les fonctions civiles que le groupe terroriste assumait jusqu’à présent – mais la mort d’employés qui travaillaient pour l’un des partenaires les plus efficaces d’Israël rend assurément cet objectif beaucoup plus difficile à atteindre. WCK a quitté Gaza et il est difficile de dire si l’ONG y reviendra pour mener ses opérations.
Netanyahu espère que les États arabes pro-occidentaux financeront, à terme, la reconstruction de Gaza – mais ils ne semblent guère désireux de se risquer à descendre dans l’arène.
« A la minute où la question des aides sera gérée de manière plus efficace par Israël », dit Rapaport, « il sera plus facile pour Israël de convaincre les acteurs régionaux de s’impliquer ».
Initiative
Dans une sorte de revirement macabre, les sept travailleurs humanitaires qui ont perdu la vie lors de la frappe israélienne peuvent bien avoir aidé davantage, par leur mort, à améliorer la situation humanitaire à Gaza qu’ils auraient pu rêver de le faire dans le cadre de leurs activités quotidiennes.
Les dirigeants israéliens ont compris qu’ils n’avaient plus de marge d’erreur. Si Israël semble rentrer dans le rang, les États-Unis pourraient renoncer à utiliser trop souvent leur droit de veto à l’ONU ou à mettre en suspens les livraisons d’armement.
Mais Netanyahu et son cercle ne semblent pas pour autant avoir pleinement réalisé la gravité de la situation. Les mesures qui ont été annoncées cette semaine viennent encore en réaction aux critiques et elles paraissent limitées – des limitations entraînées par la crainte de susciter la colère de l’extrême-droite gouvernementale.
Le communiqué qui annonçait les nouvelles mesures comprenait ainsi une justification destinée au ministre de la Sécurité nationale Itamar Ben Gvir, à Bezalel Smotrich et à leurs partisans, expliquant que les directives adoptées étaient cruciales pour que la guerre puisse continuer. La question même des aides a été votée en hâte avant que Ben Gvir n’arrive à la réunion du cabinet qui avait lieu jeudi dans la soirée, a affirmé le ministre d’extrême-droite, furieux.
De nombreux Israéliens soulignent que les otages détenus depuis six mois par le Hamas ne bénéficient pas de ces aides. Ils disent également que les même pays qui, aujourd’hui, mettent l’État juif sur la sellette ont mené des guerres où les mêmes égards n’étaient pas réservés aux civils.
Ce qui peut être vrai mais les leaders israéliens doivent mener leurs opérations conformément aux attentes et aux normes qui ont été définies par leurs alliés, même si elles semblent déraisonnables.
Netanyahu pourrait prendre des initiatives sur le front humanitaire et regagner un semblant de légitimité qui lui permettrait de mener à bien sa mission contre le Hamas. Ce qui comprendrait l’ouverture de tous les postes-frontières ; la nomination d’un responsable chargé de l’aide humanitaire, la mise en place de rencontres régulières avec les ONG, la pose de canalisations d’eau qui entreraient à Gaza avant l’été et même l’installation d’hôpitaux de campagne à la frontière.
Et il n’y a aucune raison d’attendre des demandes de nouvelles mesures de la part des États-Unis, ce qui donne une image désagréable d’indifférence face aux souffrances qui sont endurées par les civils.
« Si Israël avait montré, dès le début, que le pays considérait que la question humanitaire était fondamentale », note Rapaport, « qu’Israël avait fait tout ce qui était en son pouvoir pour s’assurer que les innocents seraient épargnés, que le pays avait médiatisé l’acheminement de l’assistance pour prouver ses dires, nous serions aujourd’hui dans une situation très différente ».
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