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L’armement français au Yémen, un dossier embarrassant pour Paris

De nombreuses ONG dénoncent régulièrement les ventes d'armement français à destination de Ryad et d'Abou Dhabi, engagés dans une guerre qui a fait au moins 10 000 morts au Yémen

Des soldats de la coalition progouvernementale soutenue par l'Arabie saoudite, au sud d'Aden, au Yémen, le 29 octobre 2018. (Crédit : Saleh Al-OBEIDI / AFP)
Des soldats de la coalition progouvernementale soutenue par l'Arabie saoudite, au sud d'Aden, au Yémen, le 29 octobre 2018. (Crédit : Saleh Al-OBEIDI / AFP)

La fuite d’une note du renseignement militaire dressant la liste des armements français déployés au Yémen par l’Arabie Saoudite et les Emirats arabes unis, deux gros clients de l’industrie nationale de défense, remet sur le tapis un dossier très embarrassant pour Paris.

Certes, l’affaire est bien connue: de nombreuses ONG internationales dénoncent régulièrement les ventes d’armement français à destination de Ryad et d’Abou Dhabi, engagés dans une guerre qui a fait au moins 10.000 morts depuis 2015 et poussé des millions de Yéménites au bord de la famine.

Et invariablement, la réponse officielle de la France est la même : selon Paris, les exportations vers l’Arabie et les Emirats, des « partenaires stratégiques » de la France, sont étudiées « au cas par cas » et l’armement français aux mains de ces deux pays n’est utilisé que de manière « défensive » au Yémen.

« Je n’ai pas connaissance du fait que des armes (françaises) soient utilisées directement dans ce conflit », déclarait encore fin janvier la ministre des Armées Florence Parly, sur France Inter.

Mais cette fois, l’inventaire des matériels militaires français au Yémen provient de la Direction du renseignement militaire (DRM), dans une note « confidentiel défense » transmise au gouvernement en octobre 2018 et diffusée par le nouveau média d’investigation Disclose.

« Le gouvernement ne peut plus nier le risque de complicité dans des crimes de guerre », a réagi lundi sur Twitter la directrice France de l’ONG Human Rights Watch, Bénédicte Jeannerod.

Canons Caesar, navires, chars Leclerc ou avions de combat qui « pourraient » utiliser des pods français de ciblage laser pour guider leurs bombes… : la DRM liste soigneusement les équipements « made in France » engagés sur le territoire yéménite par Ryad et Abou Dhabi contre les rebelles houthis, minorité chiite soutenue par l’Iran.

Parmi eux, certains semblent être employés au-delà du défensif: selon cette note, 48 canons Caesar du Français Nexter, déployés le long de la frontière saoudo-yéménite, « appuient les troupes loyalistes, épaulées par les forces armées saoudiennes, dans leur progression en territoire yéménite ».

– « Ciblage perfectible » –

Une carte de la DRM estime que « 436 370 personnes » sont « potentiellement concernées par de possibles frappes d’artillerie », dont celles des canons français. Après avoir croisé ces éléments d’information avec les données de l’ONG américaine Acled, Disclose estime qu’entre 2016 et fin 2018, 35 civils ont péri dans le rayon d’action des canons Caesar.

Quant aux chars Leclerc, leur engagement au Yémen est « principalement défensif », d’après la DRM, même si certains sont déployés « à 115 kilomètres d’Al Hodeïda », ville portuaire de l’ouest du Yémen, tenue par les rebelles houthis, où sévissent de violents combats depuis l’an dernier.

En mer, deux navires de fabrication française « participent au blocus naval » qui entrave le ravitaillement des populations, et l’un d’eux contribue « à l’appui des opérations terrestres menées sur le territoire yéménite ».

Evoquant par ailleurs l’intense campagne de bombardements aériens menée par la coalition, la DRM émet un jugement sévère sur le « ciblage perfectible » de l’armée de l’air saoudienne, qui « semble mal maîtrisé ». Comprendre: risquant de provoquer des dommages collatéraux parmi les civils.

Lundi, les services du Premier ministre français ont répété que « les armes françaises dont disposent les membres de la coalition sont placées pour l’essentiel en position défensive », et qu’ils n’avaient « pas connaissance de victimes civiles résultant de leur utilisation sur le théâtre yéménite ».

Plusieurs personnalités politiques française de gauche ont appelé lundi l’exécutif à faire preuve de « transparence » après l’article de Disclose, certains dénonçant « un mensonge d’Etat ».

Ryad et Abou Dhabi sont des clients de poids pour l’industrie française d’armement. En 2017, le Proche et le Moyen-Orient ont représenté quelque 60% des commandes de matériel militaire français sur un total de 6,9 milliards d’euros, dont 701 millions pour les Émirats et 626 millions pour l’Arabie saoudite.

La France a par ailleurs livré pour 1,38 milliard d’euros d’armement à Ryad en 2017 sur un total de 6,7 milliards, faisant de l’Arabie Saoudite le deuxième plus gros client de la France dans ce secteur l’an dernier après l’Egypte.

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