Le budget 2025 encourage-t-il les Haredim à se soustraire au service militaire ?
Selon les critiques, l'allocation de plus d'un milliard de NIS au financement des yeshivot incite à l'évasion de la conscription ; les ultra-orthodoxes se plaignent d'être "calomniés" et "délégitimés"

Fin mars, en pleine reprise des opérations terrestres israéliennes dans la bande de Gaza et face à un manque alarmant de main-d’œuvre militaire, la coalition du Premier ministre Benjamin Netanyahu a fait passer ce que les critiques ont qualifié de « budget d’évasion ».
Un budget qui a alloué plus de 100 milliards de shekels à la Défense et un peu plus de 92 milliards au ministère de l’Éducation, mais qui a économisé 3 milliards de shekels en les prélevant dans divers ministères – avec un effet sur les salaires des fonctionnaires, à commencer par les rémunérations des enseignants et des travailleurs sociaux – et qui n’a affecté en rien les fonds destinés aux établissements d’enseignement ultra-orthodoxes et autres ministères pourtant qualifiés de superflus par le Trésor. Ce budget comporte par ailleurs 5 milliards de shekels de fonds dits « de coalition » – dont plus de 1,8 milliard de shekels sont allés à la communauté haredi ou ultra-orthodoxe.
Ces 5 milliards de shekels se répartissent donc entre 1,27 milliards à destination des yeshivas, 75 millions pour les séminaires de femmes, 87 millions pour le renforcement de l’identité juive, 60 millions pour les yeshivot destinées aux étudiants étrangers et enfin 2,9 millions pour les questions relatives à la Teharat HaMishpaha – les lois juives sur la pureté familiale. Les fonds de coalition comprennent également 28 millions de shekels destinés à des programmes de lutte contre l’abandon des yeshivot et 8 millions pour les « organes de coordination et de liaison » – une allusion aux groupes chargés d’obtenir des exemptions militaires. (Le financement d’au moins un de ces groupes semble être gelé jusqu’à ce que la Knesset adopte un projet de loi consacrant les exemptions des étudiants en yeshiva.)

Refus du service militaire
Alors qu’ils sont 1,39 million et qu’ils représentent 13 % de la population totale, les ultra-orthodoxes d’Israël ne font pas, dans leur très grande majorité, leur service militaire car ils étudient à plein temps dans les yeshivot, ce qui ne manque pas d’agacer les Israéliens nationaux-religieux et laïcs toujours plus sollicités par le service de réserve depuis le 7 octobre, il y a dix-huit mois.
Ce refus de servir perdure alors même après que la Cour Suprême a statué l’été dernier qu’il n’existait plus aucun cadre juridique permettant de perpétuer une pratique installée depuis des décennies qui consiste à accorder aux jeunes hommes de la communauté des exemptions généralisées de service militaire.
L’armée se dit confrontée à une sérieuse pénurie de main-d’œuvre et avoir besoin de près de 12 000 nouveaux soldats – dont 7 000 seraient affectés au combat – mais selon la Direction du personnel de Tsahal, seuls 2 % des 10 000 hommes ultra-orthodoxes qui ont reçu leur ordre de conscription entre le mois de juillet 2024 et le mois de mars 2025 se sont effectivement enrôlés.
Depuis, les demandes de sanctions personnelles contre les réfractaires se font de plus en plus pressantes, y compris de la part du ministère des Finances et des services de la procureure générale, qui envisagent des sanctions affectant les aides au logement ou les réductions d’impôts fonciers accordées aux sociétés.
Dans une lettre adressée à la commission des Affaires étrangères et de la Défense de la Knesset en février dernier, Yogev Gardos, le chef du service du budget au ministère des Finances, a fait valoir que les sanctions ne seraient efficaces que si elles avaient un impact significatif sur les revenus des ménages, « dans la longue durée » et dans la mesure où elles seraient incontournables par d’autres moyens.
Avantages des membres de la communauté ultra-orthodoxe
Selon le Centre de recherche et d’information de la Knesset, les membres de la communauté haredi bénéficient actuellement de divers avantages, notamment de tarifs réduits sur les transports en commun, d’une aide au logement et de réductions des impôts municipaux.

En outre, en janvier 2024, environ 71 % des quelque 200 000 Haredim inscrits dans des institutions de la Torah payaient des cotisations réduites à l’Institut national d’assurance – le bituah leumi – ce qui représente une perte annuelle de 99,1 millions de shekels de recettes pour le bituah leumi.
Cependant, toutes les prestations n’ont pas été reconduites. En février, sur instruction du bureau de la procureure générale, le ministère du Travail et des Affaires sociales a suspendu les subventions versées pour la garde des enfants des hommes ultra-orthodoxes qui n’ont pas fait leur service militaire.
Toutefois, cela n’a pas suffi à apaiser les critiques, dont beaucoup ont fait valoir qu’en ne parvenant pas à réduire les dépenses consacrées à la communauté ultra-orthodoxe, le budget subventionnait essentiellement leur faible participation au marché du travail et leurs études à temps plein en yeshiva.
Encourager la désertion ?
« 1,3 milliard de shekels pour les yeshivot encourage sans équivoque la fraude et incite à ne pas travailler », a déclaré le député Vladimir Beliak (Yesh Atid) au Times of Israel via WhatsApp, en faisant valoir que le maintien du financement du système scolaire ultra-orthodoxe, sans autre changement, « cause d’énormes dommages à l’économie et à la société ».
Cependant, Moshe Roth, député du parti ultra-orthodoxe Yahadout HaTorah, a rejeté ces critiques, déclarant au Times of Israel que sa communauté était « un bon souffre-douleur » pour les membres de l’opposition qui cherchaient « à salir l’image du gouvernement ».
Roth a contesté tout lien entre les subventions pour les garderies et la désertion, arguant que les coupes dans ces subventions signifiaient que le budget « accorde en réalité à la communauté haredi beaucoup moins que ce qu’elle mérite ».
Roth a affirmé qu’au lieu d’être un fardeau pour l’économie, la communauté ultra-orthodoxe contribuait en réalité plus qu’elle ne recevait et qu’en fin de compte, il n’y avait « aucune différence entre ceux qui travaillent et ceux qui ne travaillent pas » en termes de recettes fiscales générées.
« Les Haredim sont calomniés, ils sont délégitimés », a-t-il déclaré.
Interrogé sur des propos antérieurs – il avait nié tout manque de personnel au sein de Tsahal – Roth a imputé le manque de soldats à « l’échec », selon lui, de l’armée à exploiter correctement ses ressources humaines.
« Il y a un nombre écrasant de personnes qui sont dans l’armée, mais elles ne font pas partie des unités de combat », a-t-il affirmé, en soutenant sans preuve que seule la moitié des réservistes mobilisés avaient été « mis à contribution ».
« Nous avons des dizaines de milliers de soldats dans les bases de l’armée ou à la kyria [le quartier général militaire de Tsahal à Tel Aviv] qui ne font rien et qui perdent leur temps », a-t-il insisté, sans fournir d’éléments permettant de corroborer ses dires.

Roth a également rejeté l’affirmation selon laquelle les ultra-orthodoxes, en tant que communauté, ne servent pas au sein de l’armée, insistant sur le fait « qu’aucune tranche de la population n’est exemptée ».
« Les seules personnes qui sont exemptées sont les étudiants des yeshivot, qui représentent un très faible pourcentage », a-t-il affirmé.
Des propos qui ont traduit un « manque de compréhension des données », a rétorqué le député Moshe Tur-Paz (Yesh Atid), lieutenant-colonel dans les réserves de Tsahal et qui est, comme Roth, membre de la commission des Affaires étrangères et de la Défense de la Knesset.
« Dans chaque armée, il y a toujours environ 80 % de soldats qui occupent des postes administratifs – on les appelle les ‘jobnikim » – et 20 % qui servent au combat. C’est ainsi que cela se passe dans l’armée israélienne », a-t-il soutenu, indiquant que Tsahal a « fait un travail formidable, ces dernières années, pour utiliser pleinement ses effectifs ».
L’armée israélienne compte 8 000 soldates de combat et 4 000 volontaires arabes musulmans qui servent à la place des Haredim qui ne se sont pas enrôlés, a-t-il expliqué, critiquant Roth pour avoir laissé entendre que Tsahal n’avait pas pleinement utilisé d’autres segments de la population alors que « la population haredi ne fait pas le minimum requis ».
Selon une étude de 2024 de l’Institut israélien de la démocratie (IDI), seuls 1,7 % des hommes ultra-orthodoxes en âge de servir dans l’armée le font, contre 87,6 % de tous les autres Juifs israéliens.

L’argent en suspens
Selon Aviad Houminer-Rosenblum, directeur adjoint du groupe de réflexion Berl Katznelson Center, le budget global des yeshivot de l’État « a beaucoup augmenté ces dernières années » sous Netanyahu, même si de nombreuses yeshivot ne reçoivent plus les montants qu’elles pouvaient percevoir auparavant.
En avril dernier, une ordonnance provisoire de la Haute Cour de justice avait interdit au gouvernement de verser des subventions aux yeshivot ultra-orthodoxes accueillant des étudiants répondant aux critères d’enrôlement dans Tsahal. Cette décision avait mis fin au financement destiné à des dizaines de milliers d’étudiants à temps plein. (Les rabbins israéliens ont depuis lors collecté près de 100 millions de dollars aux États-Unis pour compenser cette perte.)
En conséquence, des fonds publics destinés à ces étudiants sont gelés, dans l’attente d’une loi réinstaurant l’exemption de service militaire, a précisé Houminer-Rosenblum.
Il a également souligné que l’État finançait des « yeshivot de transition », qui s’adressent à des jeunes en rupture avec la communauté ultra-orthodoxe. Certaines de ces institutions encouragent activement leurs élèves à travailler ou à poursuivre des études supérieures.
« C’est sans doute le système le plus opaque possible », a déclaré Houminer-Rosenblum, qui a ajouté que ces yeshivot maintenaient leurs étudiants hors des rangs de l’armée, même si « nombre d’entre eux ne sont probablement pas haredim, et que tous ne consacrent pas leur temps à l’étude de la Torah ».

Les étudiants de yeshiva âgés de 18 à 26 ans ne devraient probablement rien percevoir du budget actuel. Toute la communauté espère donc l’adoption d’une loi sur la conscription qui rétablira les exemptions, afin que les financements puissent reprendre, a reconnu Yanki Farber, journaliste pour le site d’information ultra-orthodoxe Behadrei Haredim.
« L’argent est là, dans le placard. Il attend », a-t-il résumé. « Ils attendent que la loi sur l’enrôlement soit adoptée. Elle ne l’est pas encore, mais ils espèrent toujours. »
Interrogé sur le sujet, un porte-parole du ministère de l’Éducation a répondu que « le budget alloué aux institutions de Torah pour 2025 a été réduit par rapport à l’année précédente, conformément à une décision du gouvernement et à des ajustements dans les critères d’attribution ».
« Par ailleurs, en vertu d’une décision de la Haute Cour, il est interdit d’inclure dans le budget le soutien aux étudiants qui doivent s’enrôler et qui ne disposent pas d’un report valide. Le budget total pour cette année reflète le cadre approuvé par le gouvernement ainsi que les obligations légales fixées par la jurisprudence », a poursuivi le communiqué du porte-parole.
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