Marée humaine à Téhéran pour rendre hommage au général Soleimani
Le centre de Téhéran est noir de monde ; l'ayatollah Ali Khamenei a prononcé une prière entouré du président Rohani : Ismaïl Haniyeh, chef du Hamas, a lui aussi électrisé la foule
Une marée humaine en deuil a accompagné lundi à Téhéran les cercueils du général Qassem Soleimani, le commandant le plus populaire d’Iran, et de ses compagnons d’armes tués par une frappe américaine en Irak.
Comme à Ahvaz dans le sud-ouest de l’Iran et Machhad dans le nord-est la veille, les habitants de Téhéran se sont déplacés en masse pour honorer le général iranien, au lendemain de l’annonce par Téhéran d’une nouvelle réduction de ses engagements internationaux en matière nucléaire sur fond de tensions exacerbées avec Washington.
Face aux craintes d’une véritable déflagration, les ambassadeurs des pays de l’OTAN se réunissent lundi pour discuter de la crise entre l’Iran et les Etats-Unis qui ont tué vendredi dans une attaque de drone près de l’aéroport de Bagdad, Qassem Soleimani, son lieutenant irakien et huit autres personnes.
Sous un soleil glacial, la foule a envahi les avenues Enghelab (« Révolution » en persan), Azadi (« Liberté ») et leurs alentours, agitant moult drapeaux rouges (couleur du sang des « martyrs ») ou iraniens, mais aussi libanais ou irakiens.
Portrait de leur héros souriant en main, elle s’est amassée aux abords de l’Université de Téhéran.
Visiblement ému, l’ayatollah Ali Khamenei, guide suprême d’Iran, a prononcé une courte prière en arabe devant les cercueils contenant les restes du général Soleimani, de l’Irakien Abou Mehdi al-Mouhandis, numéro deux du Hachd al-Chaabi (paramilitaires irakiens pro-Iran), et de quatre autres Iraniens.
Le guide et les autres dignitaires présents, comme le président Hassan Rohani, le chef du Parlement Ali Larijani, et Hossein Salami, chef des Gardiens de la Révolution, l’armée idéologique iranienne, ont quitté les lieux avant que les cercueils des « martyrs » ne commencent à se frayer un passage parmi la foule.
Comme dimanche à Machhad, des Gardiens de la Révolution juchés sur le camion de tête du cortège funèbre s’affairent à renvoyer vers la foule les keffieh, chemises ou autres vêtements qui leur sont lancés, après les avoir frottés sur les cercueils pour attirer la protection des « martyrs » à ceux qui les porteront.
Figure charismatique en Iran, le général Soleimani était le chef de la Force Qods, unité d’élite chargée des opérations extérieures des Gardiens de la Révolution, et à ce titre l’architecte de la stratégie de la République islamique au Moyen-Orient.
« Faire trembler l’Amérique, Israël »
« C’était un héros. Il a vaincu Daech », un acronyme en arabe du groupe Etat islamique (EI) en Irak et en Syrie, déclare à l’AFP une trentenaire parmi la foule. « Ce que l’Amérique a fait, est sans conteste un crime. »
« Voici notre message pour l’Amérique : nous vous frapperons, nous vous ferons payer pour le sang versé par votre faute », dit Mehdi Ghorbani, fonctionnaire venu avec sa femme et son enfant.
Depuis le matin, la foule alterne entre moments de recueillement et de tristesse intense marqués par de profonds silence à l’écoute et d’élégies interprétées par des célèbres chanteurs religieux, et explosion de colère aux cris de « Mort à l’Amérique », « Mort à l’Amérique ».
C’est le cas notamment, lorsque la fille de Soleimani, Zeinab, déclare que « le martyre de (son) père entraînera un regain de résistance et fera trembler l’Amérique et Israël ».
Présent à Téhéran, le chef du bureau politique du Hamas palestinien, Ismaïl Haniyeh, électrise lui aussi la foule.
Un homme porte un bandeau « #hard_revenge » (#vengeance_terrible en anglais) alors que d’autres panonceaux, en anglais également, appellent à venger Soleimani.
On entend aussi des « Mort aux Saoud », la dynastie régnant en Arabie saoudite, rival de l’Iran et allié des Etats-Unis.
Engagements nucléaires réduits
Faisant état de « plusieurs millions » de personnes dans la rue, la télévision d’Etat iranienne a parlé d’une « résurrection sans précédent de la capitale iranienne ».
Rendant compte de l’engouement suscité par la venue de la dépouille du général Soleimani à Machhad dimanche soir, le quotidien réformateur Arman titre lundi « Le général de l’amour submergé par une marée humaine ».
L’ultraconservateur Kayhan parle lui en Une d’un « cri unanime à travers la communauté musulmane : ‘Vengeance, vengeance !' »
Depuis la mort du général Soleimani, le monde entier redoute une grave escalade.
Téhéran a promis une « riposte militaire », une « dure vengeance » qui frappera « au bon endroit et au bon moment ».
Alors que les appels à la « désescalade » et à la « retenue » émanant de nombreuses capitales dans le monde se multiplient, le président américain Donald Trump ne fait rien pour apaiser les inquiétudes.
Si l’Iran fait « quoi que ce soit, il y aura des représailles majeures », a-t-il lancé dimanche.
M. Trump a également évoqué la possibilité d’imposer des sanctions « très fortes » à l’encontre de Bagdad après le vote dimanche par le Parlement irakien d’une résolution demandant le départ des troupes américaines d’Irak. L’Iran a salué cette décision.
Dimanche soir, comme la veille, des roquettes se sont abattues près de l’ambassade américaine dans la Zone verte de Bagdad, sans faire de victimes, selon des témoins.
Depuis plus de deux mois, des dizaines de roquettes ont frappé des zones où se trouvent diplomates et militaires américains en Irak, tuant un sous-traitant américain fin décembre.
Dans ce contexte explosif, l’Iran a annoncé dimanche la « cinquième et dernière phase » de son plan de réduction de ses engagements en matière nucléaire pris devant la communauté internationale, affirmant qu’il ne se sentait désormais plus tenu par aucune limite « sur le nombre de ses centrifugeuses ».
Mais Téhéran continue de se soumettre volontairement au programme d’inspection onusien particulièrement draconien mis en place à la suite de l’accord nucléaire international conclu en 2015.
L’Iran s’est progressivement affranchi d’engagements figurant dans l’accord depuis le retrait unilatéral en 2018 des Etats-Unis de l’accord international et le rétablissement des sanctions économiques contre Téhéran au nom d’une politique de « pression maximale » contre la République islamique.