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Le défi des juifs américains, selon l’ADL ? « Ne pas devenir comme l’Europe »

"Ma plus grande peur, c'est combien d'attaques comme ça allons-nous avoir ? C'est juste le nouveau chapitre d'une horrible saga", redoute un professeur d'université

Une femme se tient devant le mémorial érigé en hommage aux victimes de la fusillade de la synagogue Tree of life, à Pittsburgh, (Crédit : Brendan SMIALOWSKI / AFP)
Une femme se tient devant le mémorial érigé en hommage aux victimes de la fusillade de la synagogue Tree of life, à Pittsburgh, (Crédit : Brendan SMIALOWSKI / AFP)

Pendant plus de 50 ans, les juifs américains ont vécu en sécurité, convaincus que l’antisémitisme appartenait au passé. La tuerie de Pittsburgh leur a apporté la confirmation qu’il était revenu, témoin d’une montée de l’extrémisme nourrie par la polarisation de l’ère Trump et les réseaux sociaux.

Les juifs américains – au nombre de quelque 5,3 millions en incluant toutes les personnes d’origine juive, selon le Pew Research Center – ont longtemps eu « un sentiment illusoire d’invulnérabilité », indique à l’AFP Jacques Berlinerblau, professeur au centre de civilisation juive de l’université de Georgetown, à Washington.

Ce sentiment, envié par les juifs européens, « a maintenant volé en éclats », dit-il, faisant écho aux nombreux témoignages partagés sur les réseaux sociaux depuis la fusillade de samedi dans une synagogue de Pittsburgh, qui a fait 11 morts.

Selon Kenneth Jacobson, directeur adjoint de l’Anti-Defamation League (ADL), organisation qui lutte contre l’antisémitisme et les discriminations, le réveil des juifs américains face à la menace antisémite a été progressif.

Il y a 15 ans, soutient-il, « les juifs américains nous disaient souvent ‘Pourquoi l’ADL existe-t-elle encore ? L’antisémitisme n’est plus un problème aux Etats-Unis' ».

Quand les attentats antisémites se sont multipliés en France et en Europe ces dernières années, « le sujet est revenu dans les conversations », ajoute-t-il.

Ensuite, avec les manifestations de l’extrême droite à Charlottesville à l’été 2017 et la multiplication des alertes à la bombe visant des institutions juives, « les gens se sont rendu compte que l’antisémitisme était ici aussi ».

Manifestation de suprématistes blancs, torches à la main, sur le campus de l’université de Virginie, à Charlottesville, le 11 août 2017. (Crédit : capture d’écran YouTube)

En février, l’ADL avait publié un rapport recensant une hausse de 57 % des incidents antisémites en 2017, la plus forte augmentation annuelle enregistrée depuis les années 1970.

Et en cette année électorale 2018, les attaques antisémites, notamment contre les journalistes juifs, se sont multipliées sur les réseaux sociaux, selon une nouvelle étude de l’ADL, qui recense une série de hashtags et de mots codés utilisés par les suprémacistes blancs.

Parmi les plus évidents : #NWO, pour « New World Order », un nouvel ordre mondial que les élites juives seraient censées préparer, ou « globalist », pour « mondialiste », un qualificatif souvent associé au financier d’origine juive George Soros, devenu la cible des extrémistes et l’une des personnalités anti-Trump visées la semaine dernière par un colis piégé.

« Il y a une nouvelle technologie de la terreur, et cette technologie est une mauvaise nouvelle pour les juifs », avance M. Berlinerblau.

Dans ce contexte, souligne-t-il, l’attaque de Pittsburgh n’est pas « un véritable choc », mais plutôt « un lent déraillement : tout le monde se rend compte qu’il va y avoir de plus en plus de choses comme ça, avec toutes les armes qu’il y a dans ce pays ».

George Soros, milliardaire américain, en Italie en 2012. (Crédit : Niccolò Caranti/CC BY-SA 3.0/WikiCommons)

« Le nouveau chapitre d’une horrible saga »

La conviction que l’extrémisme est inexorablement en hausse : c’est le sentiment qu’affichaient lundi beaucoup de parents venus déposer leurs enfants au grand centre communautaire juif du quartier de l’Upper West Side de New York, ville qui abrite plus d’un million de juifs, la plus grosse communauté des Etats-Unis.

« C’est vraiment une période effarante », confie Jana Gold, 42 ans, New-Yorkaise depuis toujours et mère de deux fillettes de cinq et neuf ans.

« Je ne me sens pas plus vulnérable aujourd’hui » qu’avant Pittsburgh, dit-elle. « Cela contribue simplement au climat général », ajoute-t-elle en pointant la responsabilité de Donald Trump, même si la fille du président américain s’est convertie au judaïsme et qu’il affiche jusqu’ici une politique pro-Israël.

Jared Kushner et sa femme Ivanka Trump au Trump National Golf Club à Bedminster, New York, le 21 septembre 2015 (Crédit : Bobby Bank/WireImage/Getty Images via JTA)

« Contrairement aux présidents passés, il déchire les gens plutôt que d’essayer de les rassembler », pointe-t-elle.

Pour Bob Dorf, 69 ans, venu déposer son petit-fils de quatre ans, le président américain « fomente la violence ». « Ma plus grande peur, c’est combien d’attaques comme ça allons-nous avoir ? C’est juste le nouveau chapitre d’une horrible saga », dit ce professeur d’université.

Comme beaucoup d’institutions juives à New York, le centre communautaire est protégé par des mesures qui ne datent pas d’hier : un garde devant l’entrée, et un contrôle des sacs et des visiteurs via un portique de sécurité.

Si le maire de la ville a annoncé samedi une protection renforcée des institutions juives, Kenneth Jacobson de l’ADL estime que les juifs américains sont désormais face à un dilemme.

Ceux-ci « avaient le sentiment d’être vraiment des citoyens complètement égaux », dit-il. « Le défi maintenant est à la fois de prendre (l’antisémitisme) très au sérieux et, en même temps, de ne pas devenir comme l’Europe. L’Amérique a été globalement un endroit formidable pour les juifs, on veut que ça reste comme ça ».

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