Israël en guerre - Jour 649

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"Le travail de toute une vie envolé"

Le désarroi des scientifiques de Weizmann après le bombardement de leur laboratoire

Près de 45 laboratoires du prestigieux centre scientifique ont été endommagés : il pourrait falloir des années – et des dizaines de millions – pour tout reconstruire. Nombre de chercheurs ont perdu le travail de leur vie

Le professeur Eldad Tzahor, de l'Institut Weizmann des sciences de Rehovot, à l'endroit où se trouvait son laboratoire, détruit par un missile iranien le 15 juin 2025. (Autorisation)
Le professeur Eldad Tzahor, de l'Institut Weizmann des sciences de Rehovot, à l'endroit où se trouvait son laboratoire, détruit par un missile iranien le 15 juin 2025. (Autorisation)

Dimanche matin, après une nuit blanche, le professeur Eldad Tzahor, de l’Institut Weizmann des sciences de Rehovot, s’est rendu à l’endroit où, la veille encore, se trouvait son laboratoire.

Dans la nuit, un missile balistique iranien s’est écrasé sur l’Institut Weizmann. Personne n’a été tué mais l’attaque a détruit deux bâtiments – celui des sciences de la vie et un autre, vide car en construction. Des dizaines d’autres ont été endommagés.

Créé en 1934 par le premier président d’Israël et éminent scientifique, Chaim Weizmann, l’Institut Weizmann est un centre de recherche multidisciplinaire de tout premier plan dans le domaine des sciences naturelles et exactes.

L’Iran pourrait l’avoir pris pour cible en riposte à l’élimination par Israël de plusieurs de ses scientifiques nucléaires dans le but d’empêcher Téhéran de se doter de l’arme nucléaire.

Près de 45 laboratoires ont été détruits, dont celui de Tzahor, dont les recherches portent sur la biologie cardiaque.

Un universitaire de Weizmann, qui a préféré rester anonyme, a déclaré au média économique Calcalist qu’il faudrait 50 millions de dollars pour construire un laboratoire vide, et 50 autres millions pour les équipements.

Dimanche matin, Tzahor s’est trouvé face à une scène de désolation.

Dégâts occasionnés à l’Institut Weizmann des sciences par un missile iranien le 14 juin 2025 à Rehovot, photographiés le 19 juin 2025. (Crédit : AP Photo/Maya Alleruzzo)

« C’était une zone de guerre », confie Tzahor au Times of Israel par téléphone. « Tout dans notre bel institut réduit à l’état d’un magma de verre et de métal. »

Le laboratoire de Tzahor, représentant 22 années de travail et d’échantillons scientifiques – notamment des milliers d’échantillons de tissu cardiaque d’animaux et d’humains, d’ADN et d’ARN, et plus encore – avait été réduit en poussière.

Un bâtiment de l’Institut Weizmann des sciences à Rehovot touché par un missile iranien le 15 juin 2025. (Avec l’aimable autorisation du professeur Eldad Tzahor de Weizmann)

En voyant un réfrigérateur presque intact parmi les décombres, il n’a pas pu s’empêcher d’essayer de sauver quelque chose.

« Mon gendre, qui était venu avec moi, a grimpé sur le réfrigérateur et réussi à en ouvrir sa porte », se souvient-il. « Nous avons transféré son contenu dans un autre réfrigérateur dans un bâtiment de l’institut épargné par le missile. »

« Ces échantillons sont censés être conservés à une température de moins 80 degrés Celsius, or au moment où nous les avons déplacés, ils étaient à température ambiante, donc je ne suis pas certain de pouvoir les utiliser », s’empresse-t-il d’ajouter. « Mais au moins, cela nous a donné le sentiment de pouvoir faire quelque chose. »

Tzahor n’est pas le seul à être passé à l’action. Après le bombardement iranien, étudiants et professeurs se sont précipités pour sauver tout ce qui pouvait l’être.

Un bâtiment de l’Institut Weizmann des sciences à Rehovot touché par un missile iranien le 15 juin 2025. (Avec l’aimable autorisation du professeur Eldad Tzahor de Weizmann)

Depuis l’étranger, le biologiste Jacob Hanna a déclaré à la revue Nature que ses étudiants avaient réussi à sauver des centaines de lignées cellulaires de souris et d’humains congelées en les transférant dans des réservoirs d’azote liquide de secours qu’il avait préparés dans le sous-sol de l’un des bâtiments, de crainte des conséquences de la guerre sur plusieurs fronts que connait Israël depuis le 7 octobre, jour où des milliers de terroristes dirigés par le Hamas se sont introduits dans le pays depuis Gaza en tuant 1 200 personnes et en blessant des milliers.

La frappe n’a pas seulement endommagé des laboratoires individuels. Une grande partie des équipements ultra-perfectionnés que se partageaient les scientifiques ont également disparu.

« Weizmann est conçu de telle manière à disposer d’un grand nombre de services de soutien et de machines très coûteuses qu’un laboratoire seul ne peut généralement pas se payer », explique la Dre Tslil Ast. « Nombre de scientifiques et de laboratoires comptent sur ces équipements pour leurs recherches. Ces services, ou du moins une partie d’entre eux, ont été très gravement endommagés. »

Selon Ast, ces dégâts auront un fort impact sur la capacité de nombreux laboratoires à poursuivre leurs recherches.

La Dre Tslil Ast, de l’Institut Weizmann des sciences. (Autorisation)

Ast travaille au Département des sciences biomoléculaires. Elle a ouvert son laboratoire il y a de cela un peu plus de deux ans pour étudiaer de quelle manière le corps humain utilise le fer et comment un excès ou un manque de fer peut induire des pathologies.

« Le laboratoire est situé dans un bâtiment assez éloigné de l’endroit où l’impact a eu lieu », précise-t-elle. « Nous avons subi des dommages. Une partie du plafond s’est effondré et les fenêtres ont été brisées. Mais dans l’ensemble, c’est très mineur à la lumière de ce que vivent d’autres laboratoires.

Elle ajoute que la communauté de Weizmann est touchée au-delà de la question du travail des scientifiques.

« Beaucoup d’entre nous vivent dans des logements Weizmann, sur le campus ou hors du campus », explique-t-elle. « Le campus a été durement touché et des personnes ont même dû quitter leur domicile. Le sentiment de sécurité de nombreuses personnes est ébranlé. »

Un centre de recherche connu dans le monde entier

Comme d’autres universités en Israël, Weizmann entretient des relations avec l’industrie militaire.

En juin 2023, par exemple, le club Weizmann AMOTech – initiative d’étudiants et chercheurs pour mettre en relation les physiciens du monde universitaire et de l’industrie – a organisé un événement sur la R&D dans l’industrie de la défense en Israël.

En octobre 2024, Weizmann a annoncé une collaboration avec la société de technologie militaire Elbit pour développer des « matériaux bio-inspirés révolutionnaires à des fins de défense ».

Vue générale de l’Institut Weizmann des sciences à Rehovot le 19 décembre 2015. (Crédit : Lior Mizrahi/Flash90)

Deux jours seulement après le bombardement, le prestigieux Conseil européen de la recherche a annoncé les 281 bénéficiaires de ses Advanced Grants, pour un montant total de 721 millions d’euros. Sur les 12 subventions accordées à des universités israéliennes, six sont allées à l’Institut Weizmann. Dans la catégorie Sciences de la vie, Weizmann a obtenu quatre des 81 bourses accordées par le Conseil européen de la recherche.

Selon le professeur Oren Schuldiner, une quizaine de laboratoires détruits par le missile sont aidés financièrement par le Conseil européen de la recherche, à commencer par le sien.

« Nous aurons besoin de 1,5 à 2 millions d’euros pour reconstruire mon laboratoire », explique-t-il au Times of Israel par téléphone.

Le Prof. Oren Schuldiner de l’Institut Weizmann des sciences. (Institut Weizmann des sciences)

Pourtant, Schuldiner explique que ce n’est pas l’argent qui le préoccupe le plus.

Ses recherches portent sur la neurobiologie du développement, c’est-à-dire les processus que connait le cerveau au cours du développement et comment les perturbations de ces processus peuvent conduire à des pathologies comme l’autisme, la schizophrénie, le TDAH ou d’autres troubles neuropsychiatriques.

« Mon laboratoire étudie ces mécanismes au niveau moléculaire de base, en utilisant la mouche des fruits Drosophila melanogaster comme modèle », explique-t-il. « Au fil des ans, nous avons mis au point des outils qui nous permettent de visualiser des neurones individuels dans un cerveau intact de mouche. »

Des mouches à fruits du laboratoire du professeur Oren Schuldiner de l’Institut Weizmann des sciences. (Institut Weizmann des sciences)

Selon Schuldiner, les mouches des fruits sont particulièrement bien adaptées à ces études, car un processus de développement qui prend 20 ans dans le cerveau humain se produit en quelques jours lors de la métamorphose de la drosophile de l’état de larve à l’état adulte.

« Notre perte la plus lourde est celle de centaines de mouches transgéniques créées au fil des ans », déplore Schuldiner.

Sur X (anciennement Twitter), le chercheur a lancé un appel à ses collègues en demandant à ceux qui avaient reçu des échantillons de son laboratoire, par le passé, de bien les conserver.

« La communauté des mouches est très généreuse et très collaborative », poursuit-il. « Nous nous envoyons très souvent des specimens. »

L’œuvre de toute une vie envolée

Une dizaine de personnes travaillent dans le laboratoire de Schuldiner. Le chercheur, qui se trouvait en Allemagne au moment de l’attaque et qui s’y trouve toujours, faute de pouvoir rentrer en Israël, se dit très choqué de voir le travail de toute une vie envolé.

« C’est dramatique, il n’y a pas d’autre mot », confie-t-il. « C’est 17 ans de carrière, tout ce que nous avions construit collectivement, parti en fumée. »

Depuis le bombardement, le professeur explique passer le plus clair de son temps à parler avec les étudiants de son laboratoire.

« Leur carrière en est affectée », poursuit-il. « Nous réfléchissons à la meilleure façon de les aider, individuellement, mais aussi en tant que groupe pour reconstruire ce que nous avons perdu. »

La chercheuse Ast souligne que l’Institut Weizmann met tout en œuvre pour que tout le monde se sente soutenu, à commencer par ses chercheurs étrangers.

Un bâtiment de l’Institut Weizmann des sciences à Rehovot touché par un missile iranien le 15 juin 2025. (Avec l’aimable autorisation du professeur Eldad Tzahor de Weizmann)

« Pour des raisons aisément compréhensibles, la taille de la communauté étrangère du campus a beaucoup diminué depuis le 7 octobre, mais beaucoup d’entre eux sont revenus parce que Weizmann fait vraiment de la science de pointe »,ajoute-t-elle.

« Weizmann est très conscient de la difficulté d’être un étudiant étranger, où que ce soit dans le monde, mais encore plus en Israël dans ces conditions », assure-t-elle. « L’Institut fait en sorte que cette population se sente protégée en priorité. »

Quelle est la prochaine étape ?

Pour certains laboratoires, le processus de reconstruction pourrait prendre des années.

« Nous avions un microscope confocal qui coûtait un demi-million d’euros », commente Schuldiner. « Ce sont des microscopes fabriqués en Allemagne, et en temps normal, il faut trois ou quatre mois pour en installer un ici. Dans la situation actuelle, qui sait combien il faudra ? »

Tous les scientifiques soulignent le bon côté de la situation, à savoir l’élan de solidarité de leurs collègues en Israël et à l’étranger.

Le laboratoire du professeur Oren Schuldiner de l’Institut Weizmann des sciences, sur une photo non datée, avant sa destruction par un missile iranien le 15 juin 2025. (Avec l’aimable autorisation du Prof. Oren Schuldiner)

« Depuis dimanche matin, j’ai reçu des centaines d’e-mails et de messages WhatsApp de partout dans le monde : des personnes qui me disent à quel point elles sont tristes pour moi et qui me proposent leur aide », confie Tzahor.

« C’est le côté réconfortant des choses », reprend Schuldiner. « Des gens m’ont proposé d’héberger le laboratoire, ailleurs en Israël et même à l’étranger. Un autre laboratoire a dit qu’il pouvait refaire des plasmides [molécules d’ADN] pour nous, et l’entreprise qui prépare habituellement des mouches pour nous en Californie a proposé de le faire gratuitement. »

« Il est trop tôt pour que je demande quelque chose de précis, mais tout cela va nous aider, il n’y a pas de doute », conclut-il.

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