Le dilemme des prisonniers de Mahmoud Abbas
Le président de l’Autorité palestinienne est seul devant un soutien bipartisan de l’enlèvement des Israéliens
Elhanan Miller est notre journaliste spécialiste des affaires arabes
Au mois de mai dernier, s’exprimant au Forum économique mondial de Jordanie, Mahmoud Abbas avait exprimé son « dilemme [personnel] des prisonniers ». La situation difficile des prisonniers de sécurité dans les prisons israéliennes (environ 5 000 personnes) est la préoccupation primordiale de la société palestinienne, avait expliqué Abbas, et Israël doit faire quelque chose à ce sujet.
En ce qui concerne le Palestinien moyen, il y a deux moyens de faire libérer des prisonniers : soit par des concessions israéliennes dans le cadre de processus de négociations, ou en enlevant des Israéliens et en les échangeant contre un grand nombre de Palestiniens.
« Voulez-vous que nous enlevions d’autres Shalit ? », avait plaidé le président de l’Autorité palestinienne devant des Israéliens. Il faisait référence à la capture du soldat Gilad Shalit par le Hamas en juin 2006, qui avait été libéré 5 ans plus tard en échange de 1 027 prisonniers palestiniens. « Cela ne fait pas partie de notre culture. Nous ne faisons pas cela ».
La posture de principe d’Abbas, critiquée presque immédiatement par le Hamas comme étant antipatriotique, est contestée à nouveau cette semaine. A en juger par le quasi silence de son parti, le Fatah, sur l’abduction des trois adolescents et en ajoutant à cela la jubilation des médias et des réseaux sociaux palestiniens, Abbas donne à nouveau l’impression d’être bien seul.
Une caricature postée dimanche sur la page Facebook officielle du Fatah montrait un nouveau signe palestinien de la victoire : trois doigts étaient tendus au lieu de deux, selon le site d’information Palestinian Media Watch. Dans une autre caricature publiée par le quotidien de l’Autorité palestinienne Al-Hayat Al-Jadidah, le logo de la Coupe du Monde de la FIFA montrant trois mains attrapant un ballon de football virtuel a été détourné pour représenter trois petites caricatures de Juifs tenus dans une solide emprise. Un nouveau hashtag, intitulé « Trois Shalit », a été lancé sur la page Facebook. Lundi, des adolescents de camps de jeunesse du Hamas ont été photographiés en montrant les trois doigts de la victoire alors qu’ils défilaient dans Rafah.
Le sentiment de réussite qui a suivi l’enlèvement n’est pas limité aux réseaux sociaux, mais est également apparu dans la presse officielle de l’Autorité palestinienne. Dans un article intitulé « Une opération sous le radar israélien », l’éditorialiste Hassan Al-Batal a écrit qu’avant même que n’importe quel groupe ait pris la responsabilité de l’enlèvement, il s’agissait déjà d’une victoire politique.
« La signification la plus importante de cette opération est qu’elle a forcé le gouvernement israélien, depuis la mise en place du gouvernement d’unité palestinien et spécialement depuis jeudi, le jour de l’enlèvement, à traiter la Cisjordanie et Gaza comme une seule entité politique et de sécurité. Cela pour la première fois depuis la prise de pouvoir du Hamas dans Gaza en 2007 », note Batal.
La déclaration de condamnation d’Abbas publiée lundi était sensiblement moins moraliste que son discours au Forum économique mondial de l’année dernière. « La présidence palestinienne condamne la suite d’événements de la semaine dernière », pouvait-on lire dans le message, « en commençant par l’enlèvement de trois jeunes Israéliens jusqu’à la série de violations successives d’Israël ».
Pris entre son propre sens de moralité et le soutien palestinien biartisan pour l’enlèvement, Abbas peut difficilement déclarer maintenant que « cela ne fait pas partie de notre culture… nous ne pouvons pas faire cela ». En fin de compte, c’est bien le Hamas qui a ramené 1 027 Palestiniens à la maison tandis qu’Abbas n’a été capable de conclure la libération des 104 prisonniers pour lesquels Israël avait donné son accord après neuf mois de négociations inutiles.