Le Hamas est-il vraiment l’EI ?
Netanyahu affirme que oui ; en réalité, il y a des similarités et des différences entre les deux groupes terroristes
Lazar Berman est le correspondant diplomatique du Times of Israël
Israël a finalement réussi à obtenir un cessez-le-feu de long terme avec son adversaire de Gaza. Mais est-ce qu’accepter cette trêve équivaut à signer un accord avec les tueurs brutaux de l’Etat islamique.
Avec la nouvelle ligne politique que le gouvernement israélien avance avec insistance, la réponse est oui. Pour ainsi dire : « le Hamas est l’EI et l’EI est le Hamas ».
« Ce sont des branches du même arbre », a affirmé Benjamin Netanyahu mercredi dernier à la suite de la mise en ligne par l’EI de la vidéo qui montrait un de ses membres en train de décapiter le journaliste américain James Foley.
« Nous faisons face à la même sauvagerie. Des personnes qui gratuitement tirent des roquettes sur nos villes et qui veulent tuer en masse. Et quand ils le peuvent, ils tuent les enfants, les adolescents. Ils les abattent avec une balle à la tête. Ils jettent des personnes du sixième étage, leur propre peuple ».
« Le Hamas est l’EI, l’EI est le Hamas. Ils sont les ennemis de la paix, ils sont les ennemis d’Israël, ils sont les ennemis des pays civilisés. Et je suis persuadé qu’ils sont aussi les ennemis des Palestiniens », ajoute-t-il en utilisant l’acronyme du groupe [Etat islamique de l’Irak au Levant].
Le ministère des Affaires étrangères tient le même discours.
Mardi, il a posté une vidéo sur sa page Facebook. On peut y voir l’EI tuer des soldats irakiens avec des images juxtaposées du Hamas tuant des collaborateurs présumés et trainant leur corps dans les rues. « Vous allez trouver qu’il est difficile de trouver des différences entre eux, simplement parce qu’il n’y a aucune différence entre eux : le Hamas est l’EI et l’EI est le Hamas ».
Dans une opinion dans le Chicago Tribune de dimanche, le ministre de l’Economie Naftali Bennet a écrit : « Ce que le monde libre n’arrive malheureusement pas à comprendre, c’est que le combat d’Israël contre le Hamas et le combat pour arrêter l’avance de l’EI en Syrie et en Irak représentent la même chose ».
Faire cet amalgame a des bénéfices indéniables en termes de relation publique pour Israël. En effet, Israël et le Hamas utilisent chaque avantage sur le terrain pour manipuler l’opinion publique. Cette bataille de l’opinion publique est aussi vigoureuse que sur le champ de bataille.
Mais les spécialistes sont d’accord pour affirmer que ce message ferme les yeux sur les différences clées entre le Hamas et l’EI.
« L’Etat islamique et le Hamas sont largement différents – tellement différents que les affirmations qu’ils sont similaires induisent plus en erreur qu’elles n’éclairent », explique Daniel Byman, un expert en contre-terrorisme à l’institut The Brookings et professeur à l’université Georgetown.
« Les deux, en effet, privilégient un Etat islamiste et se considèrent comme une organisation religieuse. Les deux s’opposent à Israël ».
« Cependant, le Hamas est issu du courant des Frères musulmans alors que l’EI est ‘salafiste-djihadiste’… l’EI et le Hamas ont des différences sur les sources de l’interprétation de l’Islam, le rôle de la politique et le degré de compromis », continue Byman.
Exposant leurs différences, Scott Kleinmann, un expert en terrorisme de Kings College London, souligne que « la stratégie à court terme du Hamas pour gagner du pouvoir est de récupérer les structures politiques occidentales existantes pour sauvegarder ses buts fondamentaux. Ce pragmatisme politique requiert que le Hamas participe aux élections et à l’administration laïque de Gaza ».
« Inversement, l’EI est intransigeant dans son idéologie salafiste-djihadiste », explique-t-il. « Leur stratégie vient de la croyance que la seule manière d’obtenir le salut éternel est de suivre le Coran et l’exemple du prophète Mahomet et de ses compagnons ; il pense qu’il est nécessaire de faire la guerre pour établir un califat et appliquer strictement la charia pour remplir le devoir divin. Toute déviation de cette voie est une insulte à la souveraineté de Dieu sur l’homme ».
L’Etat islamique, explique-t-il, considèrerait la participation du Hamas aux élections et la mise en place de lois faites par l’homme comme étant « une innovation polythéiste qui mérite les flammes de l’enfer ».
Une autre distinction importante est le ton nationaliste et palestinien de la rhétorique du Hamas qui n’apparaît pas dans le dogme de l’EI.
« L’EI rejette le nationalisme et croit que tous les musulmans doivent se battre pour une communauté islamique globale ou Ummah », décrypte Kleinmann.
« Le Hamas de Gaza est un gouvernement à peine bon ou doux, mais il n’est pas aussi brutal ou dur que l’EI avec ceux qui ne sont pas d’accord avec lui », ajoute Byman.
Yoran Schweitzer, un chercheur universitaire au National Security Studies d’Israël [l’institut national pour l’étude de la sécurité], voient davantage de ressemblances entre les deux organisations. « Le cœur de leurs croyances n’est pas différent. Leurs stratégies sont différentes, leurs allures sont différentes. Les deux cherchent à établir au final un califat islamique ».
Mais le Hamas – et aussi Al-Qaïda – sont plus pragmatiques, argumente Schweitzer.
« Ce qui caractérise l’EI, c’est qu’il cherche à le [le califat] mettre en place tout de suite. Et cela, très brutalement. Cela fait partie de leur stratégie. Le Hamas ne veut pas mettre en place la charia par la force même lorsqu’il a pris le contrôle de Gaza ».
Néanmoins, rappelle Schweitzer, le Hamas traite aussi durement ses ennemis.
« Lorsqu’ils rencontrent des rivaux comme des salafistes-djihadistes, et s’ils défient leur autorité, ils vont aussitôt les tuer brutalement. Et quand ils rencontrent un rival comme le Fatah, ils les jettent d’un toit. Et quand ils sont sous pression, ils exécutent le peuple de Gaza sans procès, alors même que la plupart sinon tous sont innocents. Il y a des méthodes et des tactiques qui sont utilisées qui sont similaires, mais il y a aussi des différences ».
« Les deux sont bien sûr des organisations terroristes, des organisations terroristes brutales. Mais il y a une différence dans le style ».
Aucun des trois spécialistes n’a entendu parler d’une coopération ou de contact entre l’EI et le Hamas. Si le Hamas était confronté à des membres de l’EI qui les défieraient à Gaza, suppose Schweitzer, « ils s’en occuperaient comme ils l’ont fait les autres groupes salafistes-djihadistes ».
« Le Hamas semble rejeter l’idéologie extrême de l’EI », explique Kleinmann. « La semaine dernière, Khaled Meshaal du Hamas a condamné les tueries indiscriminées de l’EI, rejetant toute comparaison entre les deux groupes ».
Le Département d’Etat américain n’entretient pas cette comparaison non plus.
« Je pense que par définition, il y a deux groupes différents. Ils ont un leadership différent, et je ne les comparerais en aucune manière », déclare la porte-parole Marie Harf. « Je laisserai [Netanyahu] parler pour lui-même, mais je n’utiliserai pas cette comparaison ».
Les dirigeants israéliens ne sont pas naïfs et sont sans aucun doute conscients des différences entre les deux groupes. Alors pourquoi s’attacher à cette comparaison ?
« C’était une question d’opportunité » quand le Hamas a commencé à exécuter les Palestiniens dans les rues de Gaza, selon Schweitzer.
« C’était trop tentant pour ne pas y céder. Et il y a bien sûr des caractéristiques similaires entre tous les groupes terroristes brutaux partout dans le monde. D’autre part, les différences sont assez évidentes ».
Néanmoins, Israël ne doit pas être mécontent du fait que cette comparaison ait obligé les journalistes à discuter du Hamas et de l’EI dans un même souffle – même si c’était pour souligner leurs différences.
Cette comparaison s’est propagée aux journalistes arabes aussi.
Dans le quotidien irakien Al-Mada, Adad Hussein a écrit, selon une traduction du MEMRI [l’Institut de recherche des médias du Moyen Orient], « ce que le Hamas a fait récemment à Gaza à ceux qu’il a accusé d’espionnage pour Israël est aussi inhumain que les actes
de l’EI ».
Mais cette ligne des relations publiques pourrait coûter cher à Israël sur un niveau politique. Byman soutient que les dirigeants sont peut-être trop éblouis par les opportunités s’ils adoptent sérieusement la comparaison que le Hamas est l’EI.
« ‘L’EI équivaut au Hamas’ est un point de vue qui ne saisit pas le pragmatisme du Hamas », explique-t-il.
« C’est une organisation violente, et certains de ses dirigeants se sont engagés pour la destruction d’Israël. Mais on peut les forcer ou les freiner, contrairement à l’EI. Vous pouvez négocier avec (comme Israël l’a fait à plusieurs reprises, de façon indirecte), contrairement à l’EI. Faire un amalgame des deux causerait le risque de rater des opportunités de freiner le Hamas ou d’obtenir un accord tout en comprenant à quel point l’EI est néfaste et fanatique ».