Le mur Occidental, 3 parachutistes ébahis… et l’oeil d’Annie Rubinger – pas de David
Les trois soldats israéliens ont été capturés par le photographe de la nation qui jugeait qu'une photo du rabbin en chef de l'armée serait plus emblématique - mais pas sa femme
Cinquante ans après, la photo de trois parachutistes ébahis devant le mur Occidental reste un symbole puissant en Israël de la victoire éclair de 1967 et de la prise de Jérusalem-Est.
Zion Karasenti, Yitzhak Yifat et Haim Oshri, âgés de 22 ans à l’époque et immortalisés à leur insu devant le lieu de prière le plus sacré du judaïsme, sont souvent sollicités pour refaire le cliché mythique par une célébrité du photojournalisme.
Mais l’émotion est toujours la même, dit à l’AFP Zion Karasenti, aujourd’hui retraité comme ses deux camarades : « Je viens ici vingt fois par an depuis 50 ans – faites le calcul – et j’ai toujours des frissons quand je me souviens de ce moment ».
Quand ils arrivent dans la Vieille Ville ce jour de juin 1967, ils viennent de livrer de féroces combats contre les Jordaniens qui contrôlaient Jérusalem-Est depuis 1948, se souvient-il.
« Cela faisait 48 heures que nous nous battions, sans dormir ni manger et presque sans boire. Nous venions de prendre Ammunition Hill (la Colline aux munitions, un bastion jordanien) au terme d’une terrible bataille ».
« Nous avons continué à nous battre jusqu’à ce que nous atteignions la mosquée Al-Aqsa et la mosquée d’Omar », sur le promontoire qui surplombe le mur dans la Vieille Ville.
Là, ils attendent leur commandant, Motta Gur.
« Motta Gur est arrivé en criant à plusieurs reprises : ‘Le mont du Temple est à nous’. Continuez à vous battre. Le peuple d’Israël vous attend' ».
Ils descendent alors par un escalier en fer du mont du Temple, qui est aussi le troisième lieu saint de l’islam. Dans le feu de l’action, il leur faut quelques minutes pour se rendre compte qu’ils se retrouvent en contrebas devant l’ancien mur de soutènement du deuxième temple juif, détruit par les Romains en 70.
Le mur Occidental était devenu inaccessible aux juifs depuis la guerre israélo-arabe de 1948.
« C’est impossible de décrire ce que nous avons ressenti quand nous avons compris que nous étions au pied du mur », relate Zion Karasenty.
L’oeil d’Annie
« C’est à cet instant là que David Rubinger nous a pris en photo, alors que nous étions en train de pleurer ».
Les trois soldats, deux casqués, le troisième son casque à la main, sont pris à mi-corps en noir et blanc et en contre-plongée.
Le photojournaliste David Rubinger, décédé en mars, expliquait en 2006, dans une interview au Jewish Chronicle, qu’il était entré dans la Vieille Ville avec les parachutistes et que, faute d’espace, il s’était allongé pour avoir un plus grand champ.
« Ces trois soldats sont passés hébétés. J’ai pris quelques photos d’eux, ne pensant pas que ça ferait une bonne photo ».
Une vingtaine de minutes plus tard, le rabbin en chef de l’armée, Shlomo Goren, est arrivé avec un shofar (une corne rituelle) et les rouleaux de la Torah, portés sur les épaules des soldats.
« J’ai cru que c’était la photo. Je pleurais quand je l’ai prise. Quand je suis rentré à la maison, je l’ai montrée à ma femme Annie et je lui ai dit ‘Regarde cette photo fantastique du rabbin Goren’. Elle a répondu : ‘Oui, mais celle avec les trois soldats est mieux' ».
Rubinger, qui couvrait l’actualité militaire et politique israélienne depuis 1948, a alors passé un accord avec l’armée aux termes duquel il donnerait ses négatifs en échange d’un accès au front.
« L’armée l’a donnée (la photo des trois soldats) au service de presse du gouvernement qui a commencé à distribuer les photos pour deux livres israéliennes l’exemplaire. La photo a été piratée dans le monde entier. Cela m’a beaucoup énervé sur le moment, mais a posteriori je dois être reconnaissant à tous les gens qui ont volé cette photo. C’est ce qui l’a rendue célèbre », disait-il.
Israël a annexé Jérusalem-Est depuis la guerre des Six Jours, mais cette annexion n’est pas reconnue par l’ONU.