Le musée d’art islamique de Jérusalem va vendre une partie de sa collection
En raison de difficultés financières, le musée se tourne vers Sotheby's pour vendre des doubles et des objets entreposés dans la réserve, ainsi que 60 montres de sa collection
Jessica Steinberg est responsable notre rubrique « Culture & Art de vivre »
Face à la pression financière, le Musée Mayer d’art islamique de Jérusalem vendra une partie de sa collection historique en octobre par l’intermédiaire de Sotheby’s Londres.
Près de 200 objets d’art islamique provenant des réserves du musée et 60 horloges et montres de sa collection permanente seront vendus les 27 et 28 octobre afin d’augmenter les revenus du musée et d’éviter de futurs problèmes financiers, a annoncé le directeur du musée, Nadim Sheiban.
« Nous avons examiné les pièces les unes après les autres et pris des décisions très difficiles », commente M. Sheiban, qui a travaillé avec son conservateur en chef et un consultant extérieur en art islamique pendant près de trois ans. « Nous ne voulions pas nuire au cœur et au prestige de la collection ».
C’est un geste très inhabituel et inquiétant, a réagi Gideon Avni, qui dirige la division archéologique de l’Autorité israélienne des antiquités.
« Cela commence avec un musée et dans notre situation actuelle, cela pourrait se produire avec d’autres musées », craint-il. « Les professionnels des musées doivent crier et dire que le gouvernement doit intervenir et aider. Ces objets ont de la valeur. Où en sommes-nous arrivés si un musée doit vendre ce qu’il a à exposer ? ».
Il n’est pas si rare qu’un musée vende des œuvres qui sont soit des doubles, soit dans ses réserves, a répondu un porte-parole de Sotheby’s.
« Les musées font partie intégrante de notre écosystème et de la société en général, et nous sommes donc fiers de pouvoir les aider à s’y retrouver, afin que les générations futures puissent en profiter pendant de nombreuses années », a écrit le porte-parole dans un courriel adressé au Times of Israel.
M. Sheiban, qui dirige le musée fondé par la philanthrope britannique Vera Salomons il y a 40 ans afin de combler les divisions entre Juifs et musulmans, a d’abord été amené à vendre une partie de la collection du musée pendant la crise financière de 2017 qui a réduit les fonds de la fondation créée pour soutenir le musée. Le coronavirus l’a conforté dans sa décision.
« Nous avions peur de perdre le musée et d’être obligés de fermer les portes », souligne-t-il. « Si nous n’agissons pas maintenant, nous devrons fermer dans cinq à sept ans ». Nous avons décidé d’agir et de ne pas attendre l’effondrement du musée ».
L’art, pointe M. Sheiban, n’est pas considéré comme un trésor national, puisque la plupart de ses objets ont été apportés du monde entier et n’ont pas été trouvés en Israël ou en Palestine.
Mais « c’est une collection importante. Nous possédons l’une des meilleures collections de ce type au monde, et nous continuerons à la préserver », assure-t-il.
C’est cette distinction qui a permis au musée de vendre légalement certaines de ses collections, indique M. Avni.
L’Autorité israélienne des antiquités est habilitée à accorder une autorisation pour tout objet ancien qui quitte le pays. Pourtant, la plupart des collections du Musée d’art islamique ne correspondent pas à cette description.
« Ils nous ont passé la liste et il y avait un ou deux objets que nous avons dit être importants pour l’histoire de la terre d’Israël et qui doivent rester ici », révèle M. Avni.
La plupart des 190 articles vendus chez Sotheby’s sont beaux et intéressants, mais ils ont été collectés dans différents pays, reflétant l’art et l’architecture du monde islamique.
« Malheureusement, bien que nous ayons essayé de vérifier la légalité de ces objets pour pouvoir dire qu’ils doivent rester en Israël, nous n’avons pas pu le faire », indique M. Avni. « Mais c’est très inhabituel et inquiétant. Je ne peux pas penser à un autre musée qui ait vendu sa collection ; cela va à l’encontre de la nature même d’un musée qui collectionne des objets ».
Sotheby’s a déclaré qu’il travaillait en étroite collaboration avec le musée, en sélectionnant avec soin les œuvres qui permettraient d’obtenir le résultat financier nécessaire tout en protégeant autant que possible l’intégrité de la collection principale.
La vente d’œuvres islamiques, comprenant des objets, des manuscrits et des tapis, est estimée entre 4,13 à 6,1 millions de dollars. Les montres et les objets de vertu seront proposés le deuxième jour de la vente aux enchères, avec une estimation combinée de 2,2 à 3,4 millions de dollars.
« En termes d’arts du monde islamique, il s’agit de l’une des plus grandes collections à être mises sur le marché depuis près d’une décennie », précise le porte-parole. « Ce qui est particulièrement spécial, c’est de pouvoir couvrir un tel éventail de temps, couvrant presque toutes les parties de la production islamique ».
Le bienfaiteur du musée, David Salomons, était étudiant et passionné d’art et d’architecture islamiques. Il a réuni une collection de calligraphie islamique, de bijoux en filigrane, de caractéristiques de l’architecture islamique, en y ajoutant la précieuse collection de montres qui appartenait à son père, David Salomons, un industriel britannique du début du 20e siècle et une autorité mondialement reconnue sur l’horloger suisse Breguet.
Une soixantaine d’objets de sa collection seront mis en vente le deuxième jour de la vente. Il restera encore 160 objets de la collection de montres au musée, indique M. Sheiban.
Les trois montres de poche Breguet, les plus vendues, ont une provenance mythique, selon Sotheby’s. Les trois montres présentent le génie mécanique et les inventions révolutionnaires de Breguet, et représentent sa vaste clientèle, dont une montre faite pour le futur roi George IV du Royaume-Uni, (estimée entre 514 000 et 771 000 dollars) et une montre thermomètre faite pour la princesse Caroline Murat, la sœur de Napoléon Bonaparte, estimée entre 381 831 et 254 554 dollars.
« Cela devrait nous permettre de tenir longtemps », espère M. Sheiban, qui a rouvert le musée à la mi-juin, et une nouvelle exposition, « In Time », le 1er août, avant de fermer à nouveau en septembre, suivant les directives relatives au confinement à l’échelle du pays. « Nous pensons que le musée va survivre pendant des années grâce aux décisions que nous avons prises ces dernières années ».