Le Musée d’Israël va exposer des œuvres du « trésor nazi »
L'exposition de la collection Gurlitt, qui contient de nombreuses œuvres spoliées, soulève des "questions sensibles", a indiqué le curateur allemand de la collection
Jessica Steinberg est responsable notre rubrique « Culture & Art de vivre »
Le Musée d’Israël se prépare à exposer une partie de la collection controversée Gurlitt, dont de nombreuses œuvres sont soupçonnées d’avoir été volées à des familles juives par les nazis pendant la Seconde Guerre mondiale.
Ce trésor composé de 1 500 œuvres avait été retrouvé dans la maison munichoise de l’ermite allemand Cornelius Gurlitt, le fils du marchand d’art de l’époque nazie Hildebrand Gurlitt, est exposé au musée des Beaux-Arts de Berne, en Suisse, et a été présenté dans des expositions à Bonn et à Berlin. Ce sera la première fois qu’une partie de la collection sera montrée en Israël.
Titrée « On Taste and Ideology: The Gurlitt Story » (« Sur le goût et l’idéologie: l’histoire de Gurlitt« ), l’exposition du musée d’Israël de Jérusalem se tiendra du 23 septembre 2019 au 19 juin 2020.
« En Israël, l’exposition doit être replacée dans le contexte israélien, et un narratif légèrement différent doit être employé qu’à celui que nous avons tenu en Allemagne », a fait savoir au Times of Israël la semaine dernière Rein Wolfs, le directeur du Bundeskunsthalle de Bonn, qui travaille en étroite collaboration avec la curatrice du Musée d’Israël Shlomit Steinberg.
La découverte de la collection en 2012 chez l’accumulateur compulsif reclus Cornelius Gurlitt, qui comprenait des œuvres de Paul Cézanne, Claude Monet et Vassily Kandinsky, a été applaudie mais teintée par la prise de conscience que certaines œuvres ont pu être spoliées ou prises de force à des familles ayant souffert ou trouvé la mort dans des camps de concentration nazis.
Cette trouvaille avait fait la une dans le monde entier et relancé un débat sensible sur la façon dont l’Allemagne post-nazie avait traité les œuvres d’art pillées sous le régime d’Hitler.
À la suite du testament de Gurlitt, la collection avait été léguée à un petit musée suisse, le musée de Beaux-Arts de Berne, où elle fut exposée pour la première fois en 2017. Environ 500 œuvres avaient été confiées à un groupe de travail gouvernemental allemand chargé d’enquêter sur les origines souvent obscures de la collection.
Mais l’identification est lente, et il n’est toujours pas clair quelle proportion de la collection provient de spoliations.
Quelque 250 œuvres ont été présentées dans le cadre de l’exposition « Collection Gurlitt, état des lieux – Un marchand d’art dans l’Allemagne nazie » à Bonn en 2017 puis à Berlin en 2018, qui a rassemble environ
250 000 visiteurs.
« C’était un chiffre important pour ce genre d’exposition », a indiqué Rein Wolfs.
En plus des peintures de grands maîtres tels que Monet, Gauguin, Renoir, et Picasso, le musée du directeur de Bonn souhaitait clarifier l’histoire. Il les a présentées selon plusieurs perspectives, notamment l’histoire des œuvres, leur contexte historique de la collection et les questions morales et éthiques soulevées par cette découverte.
« Nous avons été en mesure de raconter de nombreuses histoires qui étaient connues du public, mais assez lointaines dans la conscience collective des gens », a-t-il indiqué. « Nous traitons d’une histoire qui remonte à loin, et nous avons voulu montrer que c’était une très bonne chose de pouvoir ouvrir ces dossiers pour raconter l’histoire ».
L’importance du travail sur la provenance des œuvres occupe une place centrale dans l’exposition allemande.
« Cela touche à plein de questions, des questions sensibles de restitution », a indiqué Rein Wolfs.
« Chaque œuvre d’art pillée ayant été identifiée lors de ce travail de recherche était une de trop, et chaque restitution, la conséquence de l’identification des œuvres pillées, a été un succès, je dirais », a-t-il expliqué. « C’est très important ici en Allemagne. Nous voulons dire clairement que nous changeons notre mentalité autour de la façon dont nous abordons notre passé. »
Lorsqu’elles ne sont pas exposées, les peintures sont réparties entre l’Allemagne et la Suisse, où leur origine est étudiée par le programme « Recherche sur la provenance Gurlitt ».
« C’était important pour nous de nous considérer comme un service public », a indiqué Rein Wolfs. « Nous avons voulu être ouverts et transparents, montrer aux public allemand et international ce qui se trouvait dans le trésor de Gurlitt et présenter clairement le contexte historique, le négoce d’art pendant la Seconde Guerre mondiale et la période nazie ».
Hildebrand Gurlittfut est un directeur de musée et un adepte avant-gardiste de l’expressionnisme, le mouvement moderniste né en Allemagne au début du 20e siècle. Après avoir perdu deux postes importants de directeur de musée d’affilée, il était devenu marchand d’art, s’impliquant de plus en plus dans le système nazi à mesure qu’il devenait plus puissant, a fait savoir Rein Wolfs.
Gurlitt devint plus tard l’un des quatre envoyés des nazis chargés de vendre des œuvres d’art moderne à l’étranger. À partir de 1942, il fut chargé d’acheter des œuvres pour une mission dite spéciale, une collection utopiste qu’Adolf Hitler tentait de mettre en place.
Curateur depuis 25 ans, Rein Wolfs a décrit cette collection comme la plus importante de sa carrière en raison de sa confrontation avec l’histoire de son pays.
« Nous savions depuis le début que nous ne comptions pas montrer une grande quantité d’œuvres, nous voulions une exposition qui raconte l’histoire de la collection Gurlitt », a expliqué le curateur. « Nous voulions montrer comment l’Allemagne nazie avait instrumentalisé les arts visuels ».