Le programme nucléaire et les proxys iraniens justifient-ils l’attaque d’Israël pour le droit international ?
Malgré des années d'agressions iraniennes, des universitaires internationaux se sont demandé si Israël était légalement fondé à lancer l'opération Rising Lion

L’attaque lancée par Israël contre l’Iran aux premières heures du vendredi 13 juin a vu plus de 200 avions de combat de l’armée de l’air israélienne viser une centaine de cibles iraniennes, notamment les installations nucléaires de Téhéran, les sites de missiles balistiques, des personnages clés des forces militaires iraniennes et des scientifiques nucléaires.
Le Premier ministre Benjamin Netanyahu a justifié cette attaque surprise en invoquant l’important programme nucléaire iranien. L’Iran était désormais proche de se doter de l’arme atomique, constituant une menace existentielle imminente pour l’État juif. Le ministre des Affaires étrangères, Gideon Saar, a en outre souligné la politique de Téhéran qui, depuis plusieurs décennies, finance et arme des mandataires terroristes à qui il ordonne d’attaquer Israël, entre autres actes hostiles.
Pourtant, malgré cette réalité, plusieurs spécialistes du droit international ont contesté l’imminence de la menace iranienne contre Israël, condition essentielle pour une frappe préventive. Ils ont également fait valoir que Téhéran n’avait ni la capacité de tirer une arme nucléaire sur Israël au moment de l’attaque, ni l’intention prouvée de le faire, deux autres exigences cruciales pour une opération militaire anticipée.
Ils ont en outre exprimé un doute : le lancement d’une attaque constituait-il, pour Israël, la dernière occasion d’empêcher une frappe iranienne ? En effet, les alternatives non militaires, notamment la voie diplomatique, n’avaient pas encore été épuisées.
La campagne de frappes aériennes d’Israël, appelée Opération Rising Lion, échoue-t-elle à se conformer aux critères clés exigés par le droit international pour justifier le recours à une intervention militaire ? Ou existe-t-il des interprétations plus larges des exigences légales, ou même un cadre entièrement différent, servant de fondement à Israël pour lancer sa guerre sans précédent contre Téhéran?
Au matin du 13 juin, Netanyahu a exposé les motifs de son attaque contre l’Iran. Ill a expliqué que la République islamique disposait de suffisamment d’uranium enrichi pour produire neuf bombes atomiques et avait pris des mesures pour militariser ces matériaux nucléaires au cours des derniers mois – une initiative jamais observée auparavant. Netanyahu a décrit ces actes comme représentant un « danger clair et présent pour la survie même d’Israël ».

Des décennies durant, l’Iran a développé son programme nucléaire, enrichissant l’uranium à des degrés toujours plus élevés, bien au-delà de ce que requièrent les applications civiles, tout en poursuivant les travaux de militarisation de ce programme, selon les services de renseignement israéliens.
Ce sont ces raisons qui ont poussé Israël a attaquer les installations nucléaires iraniennes et à assassiner des scientifiques travaillant sur le programme, a annoncé le Premier ministre.
Netanyahu a également détaillé le projet de l’Iran de fabriquer 10 000 missiles balistiques, un projet qui, selon lui, constituait une menace intolérable à laquelle il fallait mettre fin.
Mardi, dans une lettre adressée au Conseil de sécurité des Nations Unies, le ministre des Affaires étrangères, Gideon Saar, a en outre souligné le recours de Téhéran à des mandataires pour attaquer Israël, ainsi que ses précédents barrages de missiles visant Israël, affirmant donc que Jérusalem était déjà en guerre contre l’Iran. L’État juif n’avait par conséquent aucune obligation de respecter les règles conditionnant une frappe préventive.
Saar a aussi évoqué la rhétorique génocidaire de l’Iran, notamment celle de son guide suprême Ali Khamenei qui, le mois dernier, décrivait Israël comme une « tumeur cancéreuse » qu’il menaçait « d’éradiquer ».
Dans un billet du blog de la Revue Européenne de droit international, le professeur Marko Milanovic de l’université de Reading a fait valoir que l’attaque d’Israël constituait explicitement une frappe préventive visant à empêcher l’Iran de développer une arme nucléaire qui pourrait être utilisée contre l’État juif.
Il a toutefois souligné que la frappe préventive d’Israël ne remplissait pas trois conditions clés. Le pays ciblé par la frappe préventive doit avoir la capacité et l’intention d’attaquer, et le moment de la frappe préventive doit être « la dernière fenêtre d’opportunité » permettant d’empêcher l’attaque du pays ennemi.
L’opération Rising Lion ne peut pas répondre aux normes conditionnant une frappe visant à prévenir une attaque nucléaire imminente, a insisté Milanovic. L’Iran n’a pas encore développé d’arme nucléaire, a-t-il indiqué, faisant référence à la condition de capacité.

Selon Milanovic, la campagne aérienne d’Israël ne répondrait même pas à une vision moins stricte de « l’imminence » car, a-t-il soutenu, il n’y a pas suffisamment de preuves que l’Iran avait l’intention d’attaquer Israël avec une bombe nucléaire, ou que le 13 juin était la dernière occasion d’empêcher la République islamique de le faire.
« Les preuves attestant que l’Iran s’est irrévocablement engagé à attaquer Israël avec une arme nucléaire, une fois qu’il aura développé cette capacité, sont minces », a poursuivi Milanovic.
Même Netanyahu a précisé dans son message filmé du 13 juin au matin que l’Iran était encore à des mois de l’obtention d’une bombe et que des négociations sur le programme nucléaire étaient en cours entre les États-Unis et Téhéran, a-t-il fait remarquer. Dans ces conditions, Milanovic a trouvé très difficile d’affirmer « de manière plausible que le recours à la force aujourd’hui était la seule option disponible ».
Le professeur Ben Saul de l’université de Sydney a pour sa part cité des arguments similaires dans un article rédigé pour The Guardian. Pur lui, « la rhétorique incendiaire et même génocidaire des responsables iraniens » ne correspond pas à un plan concret impliquant une attaque nucléaire imminente.
D’après Saul, en l’absence d’attaque imminente, il était encore possible « de rechercher des moyens non violents pour faire face à la menace », incluant une intervention du Conseil de sécurité des Nations Unies, des sanctions et des actions diplomatiques. Il a noté que les États-Unis et l’Iran étaient au milieu de négociations sur le programme nucléaire lorsqu’Israël a lancé son attaque.
Le professeur Robbie Sabel de l’Université hébraïque a convenu, lors d’un échange avec le Times of Israël, qu’il était impossible pour l’État juif de prouver l’imminence d’une attaque nucléaire iranienne contre Israël, Téhéran n’ayant pas encore construit une telle arme. L’Iran a besoin de davantage de temps pour réussir à fabriquer une bombe nucléaire, a-t-il ajouté.
Il a toutefois souligné que lorsque l’on tente d’empêcher une attaque recourant à des armes de destruction massive, l’exigence d’imminence peut être moins stricte. En effet, attendre qu’un pays ait développé cette capacité pourrait rendre toute frappe inutile, car trop tardive.
Sabel a en outre exprimé son doute sur le fait que les négociations entre les États-Unis et l’Iran auraient pu freiner le programme nucléaire de la République islamique. De telles négociations ont été menées par intermittence pendant des décennies, et Téhéran n’a jamais renoncé pour autant à ses installations d’enrichissement, a-t-il indiqué.

« L’Iran a toujours insisté sur son droit à enrichir de l’uranium, même durant les négociations en cours. Ils n’auront aucun mal à atteindre un enrichissement à 90 %, par rapport aux 60 % qu’ils savent déjà faire », a expliqué Sabel, faisant référence au niveau d’uranium enrichi nécessaire pour fabriquer une bombe nucléaire.
Le professeur Michael Schmitt de l’Académie militaire américaine de West Point, a abordé la question de l’intention dans un billet publié sur le blog « Articles of War ». Pour lui, compte-tenu de la rhétorique d’anéantissement visant Israël martelée par les dirigeants iraniens depuis de nombreuses années, il n’était « pas déraisonnable » de conclure que Téhéran mettrait sa menace à exécution s’il en avait la capacité.
« S’il existe une certaine d’incertitude quant à savoir si les dirigeants iraniens pensent ce qu’ils disent, le risque d’avoir tort devrait être assumé par l’auteur de la déclaration menaçante », a affirmé Schmitt.
Comme Sabel, il a ajouté qu’étant donné la menace existentielle pour l’État juif, Israël devrait bénéficier de plus de latitude pour mener son attaque contre l’Iran. « La menace d’avoir tort est indéniablement existentielle », a-t-il poursuivi.
D’après lui, en outre, en raison du risque que représentent les armes nucléaires, la condition selon laquelle l’Iran possède la capacité d’attaquer pourrait être remplie par la probabilité qu’il acquière cet armement dans un proche avenir.
Schmitt a conclu que l’opération Rising Lion « ne remplissait pas les conditions préalables à l’autodéfense préventive » selon la définition « traditionnelle ». Mais il a toutefois soutenu qu’une « interprétation libérale » de chacune des exigences de capacité et de dernière fenêtre d’opportunité pourrait se conformer à une norme moins rigide dans le cas d’une frappe préventive dans le contexte nouveau de ces dernières années, rendant obsolète l’ancienne interprétation.
Pour Sabel, les arguments liés à la question de savoir si Israël avait légalement le droit de recourir à la force le 13 juin sont caducs, Israël et l’Iran étant alors déjà en guerre. Le lancement de l’opération Rising Lion était alors simplement un élément de cette guerre et ne nécessitait donc aucune justification juridique particulière.
« L’Iran a armé ses mandataires, il les a encouragés à attaquer Israël, et ces mandataires ont agi sous la direction de l’Iran », a-t-il déclaré, rappelant également les barrages de missiles iraniens tirés contre Israël en avril et octobre 2024.

L’Iran a lancé des tirs massifs de missiles balistiques sur Israël à deux reprises en 2024, après qu’Israël a ciblé un général iranien de premier plan à Damas en avril de la même année, et assassiné le chef du Hezbollah, Hassan Nasrallah, en septembre.
« Ces actes constituent une attaque armée de l’Iran », a-t-il indiqué, ajoutant que dans le cadre de ce conflit armé, il était « parfaitement légitime » de frapper le programme nucléaire de Téhéran, même dans une nouvelle campagne.
Milanovic a exprimé son désaccord avec ce raisonnement. D’après lui, même si un conflit armé était bien en cours entre Israël et l’Iran, « la majorité » des attaques iraniennes contre Israël avaient cessé, et même si elles se poursuivaient, elles présentaient une « intensité minimale » et « n’étaient pas de nature à justifier une attaque totale contre le programme nucléaire iranien ».
Mais c’est cet argument que Saar a utilisé dans sa lettre au Conseil de sécurité des Nations Unies, faisant valoir qu’Israël et l’Iran étaient déjà engagés dans un conflit en cours pour expliquer le lancement de l’opération Rising Lion.
Selon Saar, les très nombreux actes hostiles de l’Iran contre Israël, pendant de nombreuses années et en particulier ces derniers mois, marquaient sans aucun le conflit armé intense et continu opposant Israël à Téhéran, qui justifiait la dernière campagne de l’État juif.
Il a pointé ce qu’il a décrit comme « l’important réseau des mandataires terroristes de l’Iran entourant Israël » avant de rappeler que Téhéran, par l’intermédiaire de son corps des gardiens de la révolution islamique, était « considérablement impliqué dans les attaques persistantes et illégales menées par ses mandataires contre Israël ».
Il a aussi évoqué les barrages iraniens tirés en avril et octobre de l’année dernière, qu’il a qualifiés d’autres exemples d’attaques iraniennes contre Israël.
« Israël, en tant que patrie des Juifs, n’est pas en mesure d’accepter et n’acceptera pas cette menace d’extermination », a écrit Saar.
« Les agressions iraniennes en cours constituent une menace existentielle pour Israël et une grave menace pour la paix et la sécurité internationales. »
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