À quel point l’Iran était-il proche de la bombe, et quel recul lui a infligé Israël ?
Plus nous en savons, plus il s'avère qu'Israël a frappé à temps : l'Iran était très proche de la bombe. Ses missiles balistiques devenaient une menace terrible. Et puis il y a ce « plan de destruction d'Israël » ridiculisé
David est le fondateur et le rédacteur en chef du Times of Israel. Il était auparavant rédacteur en chef du Jerusalem Post et du Jerusalem Report. Il est l’auteur de « Un peu trop près de Dieu : les frissons et la panique d’une vie en Israël » (2000) et « Nature morte avec les poseurs de bombes : Israël à l’ère du terrorisme » (2004).

À quel point l’Iran était-il proche de la bombe, et quel recul Israël lui a-t-il infligé ?
Rafael Grossi, le chef de l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA), l’organisme de surveillance des armes nucléaires de l’ONU, disait il y a de cela à peine quelques semaines « Ils n’en sont pas loin », tout en rappelant que l’obstruction systématique de Téhéran aux inspections de son agence avait pour conséquence que l’AIEA n’avait pas pu suivre les derniers progrès en date du régime sur les différents aspects de son programme.
Le Premier ministre Benjamin Netanyahu a été plus dramatique encore en qualifiant le recours d’Israël à la force, vendredi dernier, comme une action préventive contre une menace « vitale » et imminente.
Dans une allocution vidéo diffusée au tout début des bombardements, Netanyahu y explique que l’Iran dispose de suffisamment de stocks d’uranium pour fabriquer neuf bombes, qu’il a pris des mesures sans précédent, ces derniers mois, pour militariser cet uranium enrichi et qu’il pourrait fort bien se doter de la bombe « dans un très bref délai– un an ou même quelques mois ». (Au début des bombardements, l’armée israélienne disait que l’Iran pouvait enrichir suffisamment d’uranium au niveau militaire pour fabriquer 15 bombes « en quelques jours », sans toutefois préciser combien de temps il lui faudrait pour mener à bien son projet d’armes nucléaires.)
Mardi, CNN a cité plusieurs sources américaines selon lesquelles il manquait « trois ans » au régime iranien pour pouvoir construire, livrer et faire exploser une bombe voire qu’il ne le faisait pas de manière « très suivie » – une affirmation peu plausible si l’on prend en compte la production, documentée par le régime, de quantités toujours plus importantes d’uranium de qualité quasi militaire dénuées de toute application civile.
D’après ce qu’il m’a été donné d’établir sur la base d’échanges avec plusieurs sources proches de la question, les services de renseignement israéliens ont estimé que l’Iran était très proche de l’arme nucléaire – comme dans la construction et la livraison d’une bombe fonctionnelle. Plus proche même que l’avis donné par Netanyahu urbi et orbi.
Les Iraniens ont stocké de l’uranium enrichi à Fordo, site relativement invulnérable, et non sur les lieux de la principale installation d’enrichissement de Natanz, aujourd’hui détruite en grande partie. Tout aussi inquiétante est la mise au point d’un détonateur nucléaire très complexe – le dispositif d’ingénierie qui provoque l’explosion nucléaire du noyau d’uranium de la bombe. Et ils maitrisent depuis longtemps la technologie des missiles pour assurer l’emport de la charge nucléaire.

On m’a fait comprendre que la mise en place de tous les éléments nécessaires, si l’Iran voulait le faire, prendrait tout au plus deux mois, et peut-être même bien moins, une semaine peut-être.
Mais plutôt devrions-nous parler au passé – de ce qui prévalait avant qu’Israël ne bombarde l’Iran.

Pourquoi n’est-ce plus le cas, étant donné que les stocks d’uranium enrichi à 60 % sont jusqu’à présent imprenables, où ils peuvent être enrichis à des fins militaires, et étant donné que l’Iran a les connaissances – qui ne peuvent pas être détruites lors d’attaques aériennes – pour mener à bien son programme ?
Eh bien, tout d’abord, Israël est persuadé que ses bombardements portent des coups durs au savoir. Lors d’une conférence de presse, lundi soir, Netanyahu a indiqué qu’Israël avait tué 10 éminents scientifiques nucléaires iraniens et qu’il en neutraliserait bientôt d’autres.
(En effet, le bilan est aujourd’hui-même passé à 14.) Ces scientifiques, m’a-t-on dit, constituent l’élite du programme d’armes nucléaires : il s’agit d’un petit groupe d’experts qui ont les connaissances et l’expérience requises pour mener à bien la campagne d’armement nucléaire de l’Iran. Il sera possible de les remplacer, bien sûr, mais par des successeurs moins talentueux.
Par ailleurs, après avoir perquisitionné dans les archives du programme d’armes nucléaires de l’Iran à Téhéran, en 2018, à la faveur de l’une des opérations les plus audacieuses du Mossad, et ramené en Israël d’importantes quantités de matériel à bord de plusieurs camions, Israël a, sans que ce soit très relayé cette semaine, fait exploser des documents et matériaux relatifs au projet, à commencer par les sauvegardes informatiques de ces archives.
En d’autres termes, Israël est persuadé de faire reculer le programme en éliminant ses personnels clés et en privant leurs successeurs de la mémoire nécessaire pour relancer efficacement et rapidement le programme.
Il serait plus simple de s’attaquer physiquement à la pièce maîtresse de l’installation de Fordo si le président Donald Trump faisait entrer les États-Unis dans le conflit et ordonnait aux bombardiers B-2 de larguer des GBU-57, ces « injecteurs de munitions massives » destinés à briser les bunkers. Injectées via un trou dans le site, construit sous une montagne, ces munitions très spéciales pourraient le détruire, selon le scénario esquissé par le New York Times mardi.
A Trump de « décider de ce qui est bon pour l’Amérique », a déclaré Netanyahu lundi. « Nous acceptons toute forme d’aide. »
Mais Israël ne pense pas que Fordo soit impénétrable.
« Nous continuons à détruire de manière ordonnée des cibles nucléaires », a poursuivi Netanyahu. Certains suggèrent à mots couverts qu’il existe plus d’une façon de neutraliser les cibles les moins accessibles et les plus fortifiées.

Un des points communs des bombardements israéliens contre l’Iran, depuis vendredi dernier, est la qualité des renseignements qu’ils impliquent. Israël a pris le contrôle de l’espace aérien iranien entre la frontière ouest et Téhéran, détruit sur ce segment, par des bombardements ciblés, la totalité des défenses aériennes, un grand nombre d’usines de missiles et de lanceurs ainsi que des sites nucléaires et éliminé des scientifiques spécialistes du nucléaire sans oublier les principaux chefs militaires du régime, ainsi que leurs adjoints et successeurs.
J’ai écrit vendredi que « la haute-hiérarchie des services de sécurité pensait que c’était le bon moment et aussi le moment requis pour bombarder – avant que l’Iran ne reconstruise les défenses détruites lors de l’attaque beaucoup moins forte d’Israël en octobre dernier, et au moment où les informations sur le programme [nucléaire] iranien sont considérées comme particulièrement solides. »
Hors, la haute-hiérarchie des services de sécurité craignait que ses renseignements sur le programme nucléaire du régime ne soient plus « très solides » très longtemps – un signe de plus que la poussée des ayatollahs en vue de la bombe entrait dans sa phase finale.
Tout porte à croire qu’Israël a agi à temps pour empêcher un régime idéologiquement et territorialement rapace de se doter de l’armement avec lequel il avait l’intention de détruire Israël et d’imposer son hégémonie dans la région et peut-être même au-delà.

Changement de régime : « Nous en serions ravis»
Le changement de régime n’est pas, en soi, un objectif officiel du gouvernement israélien dans cette guerre, mais il ne fait aucun doute qu’il s’agit d’un résultat souhaité.
Dès le début des bombardements, Netanyahu a déclaré au peuple iranien que sa « libération de la tyrannie n’avait jamais été aussi proche » et les bombardements israéliens sur des symboles du régime, à commencer par les médias officiels, sont clairement là pour affaiblir son emprise sur la population.
Dans une interview accordée mardi à sa chaîne de télévision israélienne préférée, N12, Netanyahu a affirmé que 80 % des Iraniens « détestaient » leurs dirigeants.
Comme c’est souvent le cas, le conseiller à la sécurité nationale, Tzachi Hanegbi, a eu les mots les plus clairs sur la question.
Faire tomber le régime n’est « certainement pas un des objectifs de l’opération », a-t-il déclaré à la chaine N12 mardi soir, « car nous savons pertinemment que les personnes les mieux à même de faire tomber le régime iranien sont les Iraniens ».
« Mais nous serions ravis si, en conséquence » des bombardements israéliens contre cette « direction extrémiste », elle subissait le même sort que d’autres régimes de ce type, a poursuivi Hanegbi, en faisant notamment allusion à la chute du régime Assad en Syrie.
« Non seulement nous ne serions pas désolés, mais ce serait la meilleure chose qui puisse arriver pour le monde, la région et bien sûr Israël », a-t-il ajouté. « Avons-nous les moyens de le faire nous-mêmes ? Absolument pas. Ce que nous faisons aujourd’hui conduira-t-il à ce genre de résultat ? certains le croient. »
Asymétrie
Une personne des plus sages m’a fait remarquer un point que je suis heureux de partager avec vous : « Lorsque l’on parle du conflit entre Israël et l’Iran, il faut vraiment insister sur l’asymétrie entre les intérêts des deux États : l’Iran voudrait détruire Israël et Israël… aimerait ne pas être détruit par l’Iran. Ce n’est pas une situation où l’impartialité est de mise. »
Combien de missiles Arrow ?
Le Wall Street Journal a indiqué mercredi matin que l’armée israélienne était « à court » d’intercepteurs de missiles Arrow, ce à quoi l’intéressée a répondu qu’elle était « prête à tous les scénarios », sans pour autant dire un mot sur « la question des munitions ».
Il est très improbable que l’armée israélienne, qui a passé des mois et des mois à préparer cette opération et y travaille, dans l’ensemble, depuis des années, soit entrée en guerre sans trop de stock de ses intercepteurs antimissiles.
L’armée israélienne pensait que l’Iran tirerait 600 missiles balistiques lors des premières représailles aux bombardements israéliens de vendredi. Ce que l’Iran n’a pas fait puisqu’il n’a pas riposté immédiatement. À ce jour, il a tiré quelque 400 missiles et on estime qu’il lui en reste près de 1 800.

« Le projet de destruction d’Israël »
Le succès précoce et pour le moins saisissant des bombardements israéliens sur les capacités et personnels nucléaires et militaires de l’Iran a replongé Israël dans son angoisse liée aux défaillances du 7 octobre 2023.
Comme ce fut là aussi le cas, lorsqu’Israël a fait exploser des milliers de téléavertisseurs bourrés d’explosifs dans les poches ou les mains de leurs propriétaires – des hommes du Hezbollah – en septembre dernier, nous nous tourmentons à nouveau en repensant à l’aveuglement insondable et têtu qui a mené les autorités politiques, militaires et du renseignement à laisser Israël ouvert aux quatre vents et aux monstrueux massacres du Hamas dont les 53 derniers otages se trouvent toujours à Gaza, 20 d’entre eux peut-être encore en vie.
Cela vaut le coup de s’arrêter un temps de façon à se figurer ce qui serait arrivé à Israël si le Hamas s’était coordonné avec son homologue – alors beaucoup plus puissant -, le Hezbollah, et son parrain iranien.
Un scénario dans lequel non seulement le Hamas aurait fait entrer ses milliers de terroristes en territoire israélien sous couvert de salves de roquettes lourdes, mais où le Hezbollah aurait lui aussi attaqué frontalement dans le nord du pays, et où l’Iran aurait tiré des centaines de missiles balistiques partout en Israël – un scénario tellement funeste qu’il relève de l’indicible.

Le risque qu’une telle attaque coordonnée prenne réellement Israël par surprise aurait diminué au fur et à mesure qu’elle aurait été discutée car les renseignements israéliens auraient alors sans doute réalisé ce qui se tramait, ce qui aurait permis aux autorités politiques et militaires de se préparer à temps.
Mais il est important de souligner que les quatre objectifs officiels de ces bombardements contre l’Iran, tels qu’approuvés par le cabinet de sécurité et révélés par Hanegbi vendredi dernier, comprennent le bombardement des capacités de l’Iran lui permettant de détruire Israël au moyen d’une invasion terrestre sur plusieurs fronts.

Hanegbi a souligné que si cela en faisait rire certains, les dirigeants iraniens continuaient de croire que c’était réalisable.
L’armée israélienne a publié vendredi dernier une déclaration précisant que sa direction du renseignement avait « amassé et analysé d’énormes quantités de renseignements qui révèlent que le régime avait un plan concret pour détruire l’État d’Israël, appelé « Plan de destruction d’Israël ».
Elle a d’ailleurs publié une vidéo pour étayer son propos.
« Au-delà des initiatives du régime iranien pour se doter de l’arme nucléaire, le régime a mis énormément de ressources dans la fabrication de dizaines de milliers de missiles et de drones, et défini les plans d’une offensive terrestre contre Israël sur plusieurs fronts simultanés », a expliqué l’armée israélienne, dans une déclaration saisissante et qui a pourtant été très peu relayée dans les premières heures de l’opération israélienne.
« Les documents recueillis pendant la guerre prouvent la coordination entre le régime iranien et les dirigeants du Hamas et du Hezbollah, y compris après le massacre du 7 octobre, preuve s’il en est des intentions du régime de réarmer les organisations terroristes », a-t-elle ajouté.

Selon des sources militaires, le projet d’invasion terrestre prévoyait de saper les régimes en Égypte et en Jordanie, afin de permettre une attaque coordonnée via toutes les frontières.
Ces derniers jours, une fois encore sans que ce soit très remarqué, l’armée israélienne a annoncé le renforcement de ses déploiements à la frontière jordanienne ainsi que dans le nord.
Grâce à son programme nucléaire, au développement de ses missiles balistiques et à une offensive terrestre sur plusieurs fronts, les ayatollahs iraniens étaient convaincus qu’ils pourraient sous peu anéantir Israël.
En lançant une campagne préventive pour les en empêcher, le porte-parole de Tsahal a déclaré vendredi que « l’État d’Israël n’a[vait] pas eu le choix ».
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