Israël en guerre - Jour 433

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Le projet de loi sur « l’Etat juif » pour les nuls

Pour comprendre pourquoi ce texte a fait couler tant d’encre, une explication du projet de loi de Netanyahu et des projets de députés de droite.

Haviv Rettig Gur est l'analyste du Times of Israël

Un drapeau de l'Etat d'Israël (Crédit : Uri Lenz/Flash 90)
Un drapeau de l'Etat d'Israël (Crédit : Uri Lenz/Flash 90)

On a beaucoup écrit sur les projets de loi touchant aux fondements de l’État. Mais il y a parfois tellement d’erreurs ou d’approximations sur les éléments de base, qu’une mise au point sur les lois existantes et sur les débats qui les entourent peut fournir aux lecteurs des outils de base pour ses interrogations.

Un projet de loi parrainé par le gouvernement est en cours de rédaction sous la direction du Premier ministre Benjamin Netanyahu et sous la supervision du procureur général Yehuda Weinstein.

Beaucoup a été dit sur ce projet de loi qui veut renforcer le caractère juif de l’Etat : entre autres, qu’il «rétrécit» la démocratie en Israël et qu’il change le statut juridique formel des minorités d’Israël.

En même temps, un grand nombre de questions plus profondes soulevées par le projet de loi – alors que ni la législation israélienne, ni même les Lois fondamentales ne mentionnent l’« égalité » – ont été largement oubliées dans le débat médiatique [Rappelons qu’Israël n’a pas de Constitution écrite et dispose d’un certain nombre de Lois fondamentales qui ont été adoptées à partir de 1958].

Bon nombre des principaux faits et sujets ont été en quelque sorte perdus en route. Par exemple, les versions de droite les plus controversées du projet de loi sont nées au centre de l’échiquier politique et ont même bénéficié du soutien de nombreux députés de gauche.

On peut encore citer le fait que les versions les plus à droite du projet de loi – souvent citées par les médias simplement comme « le projet de loi » – ne constituaient qu’une position de départ : certains de leurs promoteurs avaient déjà concédé une bonne partie des articles les plus controversés avant le vote du cabinet, et bien avant que les médias ne le remarquent.

Ce qui suit est la traduction intégrale de la version la plus récente du projet de loi à la disposition du public : les «14 principes» adoptés le 19 novembre par le cabinet comme un point de départ de la version Netanyahu-Weinstein du projet de loi devraient être présentés à la Knesset dans les prochaines semaines.

Après cela, nous allons présenter une comparaison des principales différences entre le projet de loi du gouvernement et les projets de loi provenant de députés de droite.

Les 14 principes présentés par le Premier ministre pour la rédaction du projet de loi du gouvernement

Principe 1 – Objet :

Définir l’identité de l’Etat d’Israël comme l’Etat-nation du peuple juif, et ancrer les valeurs de l’État d’Israël en tant qu’Etat juif et démocratique, dans l’esprit des principes énoncés dans la Déclaration d’Indépendance de l’Etat d’Israël.

Principe 2 – Principes fondateurs :

A. La terre d’Israël est la patrie historique du peuple juif et le lieu de naissance de l’Etat d’Israël.

B. L’Etat d’Israël est le foyer national du peuple juif, pour lequel il s’acquitte de son droit à l’autodétermination conformément à son héritage culturel et historique.

C. Le droit à la réalisation de l’autodétermination nationale dans l’État d’Israël est propre au peuple juif.

D. L’Etat d’Israël est un Etat démocratique, établi sur les fondements de la liberté, de la justice et de la paix à la lumière de la vision des prophètes d’Israël, et réalise les droits individuels de tous ses citoyens en vertu de la loi.

Principe 3 – Les symboles de l’Etat :

A. L’hymne de l’État est l’« Hatikvah ».

B. Le drapeau de l’État est blanc, avec deux bandes bleu clair près de ses bords et une étoile de David bleu clair en son centre.

C. Le symbole de l’Etat est le chandelier à sept branches, avec des branches d’olivier sur ses deux côtés et le mot « Israël » en dessous.

Principe 4 – Retour :

Chaque Juif a le droit d’immigrer au pays [Israël] et de recevoir la citoyenneté de l’Etat d’Israël en vertu de ce droit.

Principe 5 – Rassemblement des exilés et renforcement des liens avec le peuple juif dans la diaspora :

L’Etat doit agir pour rassembler les exilés d’Israël et renforcer l’affinité entre Israël et les communautés juives de la diaspora.

Principe 6 – Aide au peuple juif en détresse :

L’Etat doit agir pour apporter une aide aux membres du peuple juif en détresse ou en captivité en raison de leur judéité.

Principe 7 – Héritage :

A. L’Etat doit agir pour préserver l’héritage et la tradition culturelle et historique du peuple juif et contribuer à leur développement en Israël et dans la diaspora.

B. Dans tous les établissements d’enseignement au service du public juif en Israël les annales du peuple juif, son héritage et sa tradition, doivent être étudiées.

C. L’Etat doit agir pour permettre à tous les habitants d’Israël, sans égard à la religion, la race ou la nationalité, d’agir pour préserver leur culture, leur héritage, leur langue et leur identité.

Principe 8 – Calendrier officiel :

Le calendrier hébreu est le calendrier officiel de l’Etat.

Principe 9 – Jour de l’Indépendance et jours de commémoration :

A. Le Jour de l’Indépendance est la fête nationale de l’Etat.

B. La Journée de commémoration des morts des guerres d’Israël et la Journée de la Shoah et du souvenir de l’héroïsme sont les journées commémoratives officielles de l’État.

Principe 10 – Les jours de repos :

Les jours de repos établis dans l’État d’Israël sont le shabbat et les jours de fêtes, où aucun employé ne doit être employé, sauf dans les conditions fixées par la loi. Les membres de groupes [religieux] reconnus sont autorisés à se reposer pour leurs propres jours de repos et jours fériés.

Principe 11 – Loi hébraïque :

A. La loi juive doit servir de source d’inspiration pour la Knesset.

B. Si un tribunal est confronté à une question juridique qui doit être décidée, et ne peut pas trouver une réponse dans la législation, la jurisprudence ou de déduction claire, il doit statuer sur la question à la lumière des principes de liberté, de justice, d’intégrité et de paix dans le patrimoine d’Israël .

Principe 12 – Protection des lieux saints :

Les lieux saints doivent être protégés de toute profanation, de tout préjudice, et de tout ce qui peut entraver le libre accès des religieux aux Lieux saints, ou d’offenser leurs sentiments envers ces lieux.

Principe 13 – Déni de droits :

Les droits mentionnés dans la Loi fondamentale ne peuvent être refusés, sauf dans une loi qui s’accorde avec les valeurs de l’État d’Israël, qui est destinée à un usage approprié ou en vertu de l’autorité explicite qu’elle contient.

Principe 14 – Rigidité :

Cette Loi fondamentale ne peut être modifiée que par une Loi fondamentale adoptée par une majorité des membres de la Knesset.

Les projets de loi venant de la droite et leurs différences

Il y a eu deux projets de loi de droite. L’un a été proposé par le député Likud Zeev Elkin, et le second par trois députés des trois partis de la coalition de droite : Yariv Levin (Likud), Ayelet Shaked (HaBayit HaYehudi) et Robert Ilatov (Yisrael Beitenou).

La différence la plus notable entre les projets de la droite et le projet de loi du gouvernement est en fait la position rhétorique du mot «démocratie».

La démocratie est mentionnée comme partie de l’identité ou de la définition de l’Etat [« Etat juif et démocratique »] dans les principes du Premier ministre. Dans les deux projets de loi de droite, l’identité démocratique de l’Etat est réduite à une rhétorique plus spécifique et [ses critiques font valoir] limitée : « L’Etat d’Israël a une forme démocratique de gouvernement ».

Les auteurs des deux projets de loi ont affirmé que cela est une réponse à ce qu’ils ressentent quant à l’activisme trop agressif des magistrats au cours des 22 dernières années, depuis l’adoption de la Loi fondamentale sur la dignité et la liberté de l’individu [en 1992].

La Cour suprême d’Israël est peut-être la plus militante et la plus puissante dans le monde démocratique. Au-delà de son rôle de cour d’appel la plus élevée de la nation, la Cour suprême est la Haute Cour de justice, un tribunal d’équité auquel toute personne touchée par une institution de l’Etat peut faire appel en temps réel.

Connue sous l’acronyme de « Bagatz » en hébreu, celle-ci a réussi à interférer et à annuler des batailles militaires en plein cours. Elle n’a pas juste annulé des lois entières, mais dans une décision célèbre de l’ancien président de la Cour Aharon Barak, elle a décrété le principe « du crayon bleu » selon laquelle les juges possèdent un droit de veto sur les articles de lois, et peuvent annuler aussi bien des articles que des mots contenus dans la loi.

Et la Haute Cour s’est aventurée, bien que souvent à contrecoeur, dans des questions très controversées d’identité nationale, telles que la reconnaissance des conversions juives libérales à des fins d’immigration ou le droit de petites communautés de limiter leur appartenance à leur propre définition étroite de sous-groupes ethniques ou religieux.

Souvent, la Haute Cour a été obligée de se prononcer sur ces questions après que la Knesset, morcelée à l’image de la société israélienne elle-même, a refusé pendant des décennies de les articuler dans un texte constitutionnel.

A l’heure actuelle, de nombreux députés de droite ont l’intention de faire exactement cela. Après une longue période où des questions fondamentales ont été réglées par les juges de la Cour suprême, les députés sont venus à considérer le terme «démocratie» lui-même, au moins quand il est utilisé par la gauche, comme un euphémisme pour signifier que le pouvoir judiciaire doit continuer à l’emporter sur la législature élue sur des questions fondamentales posées à la société israélienne.

Alors, quand les étrangers écoutent le débat israélien, ils doivent comprendre que pour les députés israéliens engagés dans un texte, la lutte ne porte pas sur la substance objective des projets de loi, mais sur la façon dont les députés estiment que la Cour suprême va les lire. Une partie importante de la constitution fragmentaire d’Israël a été écrite par des législateurs à la recherche d’un langage qui limite la flexibilité d’interprétation de la magistrature.

Et, contrairement à la version du Premier ministre, nous trouvons dans le projet Elkin des limites spécifiques à l’interprétation juridique. Dans l’article 1 du projet Elkin, qui définit l’Etat d’Israël comme l’État-nation des Juifs et donne au seul peuple juif le droit à l’autodétermination nationale dans l’Etat, le projet de loi stipule : « Ce qui est dit dans la Loi fondamentale, ou dans toute autre loi, doit être interprété à la lumière de ce qui est établi dans cet article ».

Et ailleurs, dans le même projet du député Likud, nous trouvons : «L’État peut permettre à une communauté, y compris aux membres d’une même religion ou nationalité, de s’établir de manière séparée ». Cela est une tentative de renverser la Cour dans la «décision Kaadan » devenue une loi qui limite sévèrement dans la pratique la capacité des différents groupes, juifs ou arabes, religieux ou laïques, à empêcher d’autres groupes de s’établir dans leurs villes et villages respectifs.

Les projets de droite comprennent également des références à la langue hébraïque et aux «implantations juives» absentes des principes du Premier ministre.

La langue hébraïque est formellement définie comme «la langue officielle de l’État», tandis que l’arabe reçoit expressément un « statut spécial, et, selon ses promoteurs, le droit à l’accès linguistique aux services de l’Etat serait déterminé par la loi. »

Les opposants soutiennent que cette formule réduit le statut de la langue arabe qui passerait de langue officielle de facto à un statut inférieur. L’arabe est actuellement imprimé sur la monnaie d’Israël, avec l’anglais et l’hébreu, et se trouve présent sur beaucoup d’autres symboles de l’Etat. Pour compliquer les choses, certains adversaires libéraux soutiennent effectivement la définition de l’hébreu comme seule langue officielle – et affirment que cela seul peut suffire à établir Israël comme un Etat juif, sans la nécessité de tout élément ethnique ou national qui serait mentionné.

Le projet de loi Elkin va plus loin : « L’Etat doit agir… pour les implantations juives dans leurs limites, et attribue des ressources à ces fins ». Cet article renvoie à une période antérieure au sionisme qui a vu les implantations juives comme un élément-clé pour stabiliser l’Etat. Cela est destiné à exprimer l’engagement de l’État envers les implantations juives dans le Néguev, en Galilée et également en Cisjordanie.

Ce projet a été critiqué avec véhémence par les centristes et les hommes politiques de gauche, qui soutiennent que parler expressément d’« implantations juives » dans un tel texte reviendrait à créer un « racisme sanctionné par l’État ». D’autres font remarquer que les « frontières» de l’Etat sont informes, contrairement aux « limites ». La Cisjordanie pourrait être incluse dans les « frontières» de l’État, même si une grande partie de celle-ci se trouve en dehors ce que la loi israélienne reconnaît officiellement comme les frontières de l’Etat. De cette façon l’article équivaudrait à une tentative de donner un imprimatur constitutionnel aux projets d’implantations de Cisjordanie.

Le projet de loi Levin-Shaked-Ilatov est plus proche des principes du gouvernement. Par exemple, il n’y est pas mentionné d’articles sur les implantations ou sur l’hébreu comme langue officielle, à la différence du projet Elkin. Mais il y a des différences. Ce texte précise que la démocratie est une «forme de gouvernement» plutôt que d’exprimer qu’elle fait partie de l’identité fondamentale de l’Etat.

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