Le Qatar, par réalisme, soutient à son tour l’Egypte de Sissi
Ce revirement qatari met fin à une crise régionale de 9 mois ; des zones d'ombre subsistent sur Al-Jazeera et les Frères musulmans
Le Qatar fait preuve de réalisme en se rangeant derrière les autres monarchies du Golfe pour soutenir le président égyptien Abdel Fattah al-Sissi, alors qu’il avait fait de son appui aux Frères musulmans l’axe central de sa stratégie.
Ce changement de ton a été officialisé mardi à Doha au sommet des six pays du Golfe qui s’est conclu par l’annonce d’un « plein soutien à l’Egypte (…) pour assurer sa stabilité et sa prospérité ».
Des experts estiment toutefois que le Qatar et son émir cheikh Tamim Ben Hamad Al-Thani ne devraient pas couper les ponts avec les Frères musulmans, qui représentent selon lui un large courant dans le monde arabe.
Mais, selon eux, Doha est résolu à limiter l’impact de cet appui afin qu’il ne porte pas tort à ses nombreux intérêts politiques et économiques et à ses grandes ambitions sportives.
Le sommet annuel du Conseil de coopération du Golfe (CCG – Arabie saoudite, Bahreïn, Emirats arabes unis, Koweït, Oman, Qatar) a été considéré comme un succès car il permet de clore une crise régionale de neuf mois.
Dans la déclaration finale, ses dirigeants ont exprimé leur « appui au programme (politique) du président Abdel Fattah al-Sissi » et dénoncé « les milices qui contrôlent la scène » en Libye, un pays qui traverse une grave crise politique.
Le Qatar est accusé de soutenir en Libye des milices islamistes, liés aux Frères musulmans, alors que les Emirats arabes unis auraient lancé en août des raids contre des positions d’islamistes dans ce pays nord-africain.
« Le Qatar a fait de grandes concessions concernant l’Egypte et la Libye », estime l’expert Abdel Wahab Badrkhan, basé à Londres.
Selon lui, Doha a aussi concédé que la répression de la contestation à Bahreïn s’inscrivait « dans le cadre de la lutte contre le terrorisme, un retournement dans la position de Doha qui voyait dans les troubles (animés par la majorité chiite) comme un mouvement de contestation populaire ».
Badrkhan explique ce changement d’attitude du Qatar, principal parrain de l’ancien président égyptien islamiste Mohamed Morsi, par « le réalisme politique, et le choix de rester au sein du CCG », qui a été récemment menacé d’éclatement.
Des zones d’ombre
L’attitude qatarie envers l’Egypte était à l’origine de la crise qui avait éclaté en mars avec le rappel des ambassadeurs saoudien, émirati et bahreïni en poste. Cette crise était la plus grave à laquelle a été confronté depuis sa création en 1981 le CCG (Arabie saoudite, Bahreïn, Emirats arabes unis, Koweït, Oman et Qatar).
Une réconciliation a été scellée en novembre et s’est concrétisée par l’annonce du retour des trois ambassadeurs à Doha.
Mais le retournement de la position du Qatar comporte des zones d’ombre, portant notamment sur son bras médiatique, la chaîne Al-Jazeera, qui n’a pas changé de ligne éditoriale.
« Les prochains mois diront si le Qatar a réellement changé de politique ou s’il n’a ni la volonté ni la capacité de le faire », a indiqué un responsable du Golfe à l’AFP.
Selon lui, les concessions faites par le Qatar étaient destinées à « sauver la tenue du sommet » mais elles restent « sans grande incidence sur sa politique ».
Pour Badrkhan, l’équilibre est délicat à trouver pour Doha, qui a intérêt à maintenir les liens avec l’islam politique mais sans qu’ils ne « compromettent ses relations régionales et internationales alors qu’il a de grandes ambitions politiques et sportives ».
Le Qatar a récemment demandé le départ de Doha de certains dirigeants des Frères musulmans mais d’autres personnalités islmamistes y sont toujours, comme le prédicateur Youssef al-Qaradaoui, dont les apparitions dans les médias se font cependant rares.
L’expert koweïtien Ayed al-Manaa appelle à ne pas « tirer rapidement des conclusions » du sommet de mardi, car « l’Egypte doit en retour faire des pas en direction du Qatar ».