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Le rabbin américain qui a osé envisager une visite sur la tombe d’Arafat

Une communauté juive traditionaliste à Austin, Texas en plein tumulte. Son rabbin souhaite opposer les deux récits, l’israélien et le palestinien, considéré par certains comme inimaginable

Ricky Ben-David est journaliste au Times of Israël

Le rabbin Neil Blumofe de la congrégation Agudas Achim à Austin, au Texas, le 31 août 2016. (Crédit : Ricky Ben-David)
Le rabbin Neil Blumofe de la congrégation Agudas Achim à Austin, au Texas, le 31 août 2016. (Crédit : Ricky Ben-David)

AUSTIN, Texas – Au beau milieu d’une assemblée de kippas rose fuchsia, on distingue une poignée de chapeaux de cow boy blancs dès le début de l’office de la communauté Agudas Achim à Austin. Les fidèles étaient plus nombreux qu’à l’accoutumée.

Certains étaient là pour fêter une bar Mitsvah – d’où les kippot rose fuchsia portées aussi bien par les hommes que les femmes présent(e)s dans cette synagogue égalitaire. Certains étaient venus assister aux bénédictions qui précédent les noces d’un jeune couple.

Nombreux étaient là parce qu’ils y viennent toutes les semaines, plongés dans leur prière et écoutant le discours hebdomadaire du rabbin Neil Blumofe.

Le rabbin d’Agudas Achim, 45 ans, a dirigé la synagogue au cours des sept dernières années. Il y a dix ans, il en était le hazan.

Mais ce samedi, l’office était différent. (Et pas seulement parce que, pour tout vous avouer, mon mari a été appelé pour monter à la Torah à l’occasion du deuxième anniversaire de la mort de son père – ma belle-mère et son époux étant des fidèles de cette synagogue depuis longtemps.)

L’office faisait suite à une semaine particulièrement tendue entre Blumofe et sa communauté allant jusqu’à demander sa démission – ou son renvoi – et ayant lancé une campagne en ligne le dépeignant comme un dirigeant communautaire antisémite et anti-Israël. Selon ses détracteurs, il aurait dû être immédiatement excommunié pour sa sympathie à l’égard de la cause palestinienne et son soutien supposé à des groupes terroristes.

Ces accusations sévères et préjudiciables ont émergé au cours des six dernières semaines donnant naissance à une polémique.

Le débat public a même entrainé l’implication d’un haut responsable du gouvernement de l’état du Texas, un conservateur tea-party et ardent soutien du candidat républicain Donald Trump.

Une proposition de visite sur la tombe d’Arafat

Le coup d’envoi de cette affaire fut la lettre d’un fidèle habitué des lieux, furieux, datant au 20 juillet, remettant en question la direction de la synagogue par Blumofe et son projet de voyage en Israël proposé à la communauté en juin 2017. Le problème ? L’itinéraire proposé devait inclure une visite sur la tombe du dirigeant palestinien décédé, Yasser Arafat, à Ramallah en Cisjordanie.

Ce voyage de 5 jours était organisé par Mejdi Tours, un tour opérateur ‘hors des sentiers battus’, co-fondé par un Juif et un Palestinien, spécialisé sur l’« approche du double récit » à travers ce voyage. Mejdi dit travailler avec les bureaux des gouvernements israélien et palestinien, proposant le point de vue des deux parties.

Il invite des conférenciers du ministères des Affaires étrangères israélien, issus de partis de gauche, ou des associations oeuvrant pour la coexistence comme Breaking the Silence et le Forum du cercle des parents et familles ainsi que le conseil régional de Yesha (l’association sous tutelle des conseils régionaux des implantations juives en Cisjordanie et précédemment à Gaza).

En dehors de l’étape à Ramallah, l’itinéraire en question incluait une visite de l’avant-poste illégal Havat Gilad, en Cisjordanie et une nuit dans l’implantation voisine Har Bracha ainsi qu’une rencontre avec le directeur de sa yeshiva.

Blumofe avait rencontré les guides palestiniens de Mejdi au cours d’une visite personnelle en Israël- l’un de ses nombreux voyages au cours de ces dernières années – et a dit avoir été impressionné par sa vision critique de l’histoire de la Palestine.

Le rabbin a senti que le tour opérateur correspondrait parfaitement à l’idée qu’il se faisait de ce voyage.

En dehors des fidèles intéressés par ce voyage, Blumofe, président également du centre d’action inter-communautaire du Texas, planifiait d’inclure des chrétiens issus de courants pas très amis avec Israël. Il avait espéré que, « sur la base de mon important investissement et ce, depuis longtemps, autour des rapports intra-communautaires, cela pourrait stimuler les relations et ouvrir de nouveaux horizons », a-t-il indiqué au Times of Israel.

Le président de l'Autorité palestinienne Mahmoud Abbas dépose une gerbe sur la tombe du président palestinien défunt Yasser Arafat avant l'Aïd el-Fitr, qui marque la fin du ramadan, à Ramallah, le 6 juillet 2016. (Crédit : Flash90)
Le président de l’Autorité palestinienne Mahmoud Abbas dépose une gerbe sur la tombe du président palestinien défunt Yasser Arafat avant l’Aïd el-Fitr, qui marque la fin du ramadan, à Ramallah, le 6 juillet 2016. (Crédit : Flash90)

S’exprimant depuis son bureau de la synagogue Agudas Achim, dans les locaux de la communauté juive Dell à Austin, Blumofe affirme qu’il avait quelque peu « tilté » lorsqu’il vit la visite proposée sur la tombe d’Arafat mais qu’il avait senti que cela correspondait avec l’esprit de ce voyage. De toute façon, expliquait-il, chaque élément du programme était soumis à discussion auprès des potentiels intéressés au voyage.

« L’itinéraire de ce voyage était une ébauche et devait servir à matière de réflexion pour ceux qui seraient intéressés à participer au voyage », a dit Blumofe au Times of Israel. Il ajouta qu’« il avait prévu de monter ce voyage dans les prochains mois et de vive voix avec les participants potentiels, créant ainsi une interaction et une appropriation des expériences à venir, espérant nourrir un dialogue autour des questions d’identité et l’analyse des différents récits.

Yasser Arafat (Crédit : AFP PHOTO / Thomas COEX)
Yasser Arafat (Crédit : AFP PHOTO / Thomas COEX)

Une première réunion à propos du voyage a eu lieu le 30 juin, comptant 30 fidèles intéressés et au cours de laquelle Blumofe avait dit que la visite sur la tombe d’Arafat n’avait pas été mentionnée.

« Plusieurs aspects de ce voyage soulevaient des questions [au cours de la première réunion] – comme le fait que les gens voulaient passer plus de temps à tel ou tel endroit – mais personne n’a évoqué Arafat », a affirmé Blumofe.

Pour Jon Weisblatt, 46 ans, membre de la communauté depuis sept ans, le principal problème était qu’il n’y avait pas assez de temps passé à Jérusalem puisque l’ébauche de l’itinéraire ne proposait d’y passer qu’un seul jour, un samedi.

Le rabbin, a rapporté Weisblatt, « nous a dit à plusieurs reprises : ‘c’est votre voyage, je veux que vous vous investissiez. Nous pouvions tous donner notre avis sur ce voyage et nous sommes libres ; nous avions tous la possibilité de ne pas nous rendre à certains endroits ».

« Le problème est que ce n’était qu’une ébauche de programme, juste une ébauche » a souligné Weisblatt au Times of Israel au téléphone depuis Austin.

¨Pour Richard Brook, le fidèle furieux ayant rédigé la lettre, ébauche d’itinéraire ou pas, le fait que Blumofe avait en tête d’emmener ses fidèles sur la tombe d’Arafat a disqualifié le rabbin « complètement et définitivement en tant que dirigeant moral et spirituel d’une communauté juive traditionnaliste. »

« Pour moi, il n’y a pas de différence entre aller en Allemagne et vous recueillir sur la tombe d’Hitler, s’il y en avait une », écrivit Brook dans sa lettre à Blomofe, ajoutant qu’il était « temps de démissionner. Partez et débarrassez-nous de vous. Pour l’amour de Dieu, partez ! »

Brook, partiellement retraité à 56 ans et travaillant dans l’électronique est membre de la communauté depuis 1990. Il a refusé de rencontrer le rabbin et de discuter avec lui de ce problème malgré les invitations de Blumofe.

La pression monte

Brook a alors décidé d’aller plus loin, espérant attirer un peu plus l’attention encore.

Après avoir correspondu avec plusieurs personnes, et notamment avec d’autres communautés juives dans tout le pays, le problème a été repris par « Israël Matzav », un blog de droite dirigé par « Carl à Jérusalem ».

Dans un article du 16 août titrant « Lundi, le rabbin a encensé la tombe d’Arafat », Carl développe à propos du rabbin qui « pense que le judaïsme a besoin de lui pour aller vénérer la tombe du père du terrorisme décédé ». « Il publie la lettre de Brook adressée à Blumofe dans son ensemble ainsi que l’ébauche de l’itinéraire proposé par Mejdi.

A travers cette correspondance, rapportée sur un long échange envoyé par mail à la rédaction du Times of Israel, Brook a découvert qu’un autre rabbin, Éric Solomon de la Synagogue Beth Meyer à Raleigh en Caroline du nord allait également organiser un voyage en Israël en mars 2017 avec le même tour opérateur, en incluant également une visite sur la tombe d’Arafat.

Bill Clinton regarde Yitzhak Rabin et Yasser Arafat se serrer la main lors de la signature historique des accords d'Oslo, le 13 septembre 1993. Tout à droite, l'actuel dirigeant palestinien Mahmoud Abbas. (Crédit : GPO)
Bill Clinton regarde Yitzhak Rabin et Yasser Arafat se serrer la main lors de la signature historique des accords d’Oslo, le 13 septembre 1993. Tout à droite, l’actuel dirigeant palestinien Mahmoud Abbas. (Crédit : GPO)

Affolé par cela, Brook a cherché à sonner l’alarme sur ce qu’il considérait être une initiative coordonnée pour remplir des bus de juifs américains et les emmener sur la tombe d’un homme largement considéré comme étant responsable du meurtre de centaines d’Israéliens. Un homme qui avait, entre autres actes terroristes, fourni les moyens puis initié des centaines d’attaques à main armée ou des attaques suicide pendant la Seconde Intifada.

En Israël, et auprès de beaucoup de juifs, Arafat est évoqué comme un dirigeant palestinien malhonnête et intriguant qui parlait de paix-partageant le prix Nobel de la paix en 1994 avec Shimon Peres et Yitzhak Rabin pour leur rôle au cours des accords d’Oslo de 1993 – tout en instrumentant la violence en parallèle.

Brook a confié au Times of Israel que lorsqu’il a découvert le rabbin de Caroline du Nord, il s’est demandé s’il y avait une « cabale de rabbins voulant voir Arafat », arguant dans un courriel du 28 août adressé à une liste d’adresses emails que « s’il y a 2 projets de circuits organisés par des rabbins [sic] pour aller visiter la tombe d’Arafat, j’estime qu’il y en a 20 de plus quelque part dans la nature. Mais je ne sais pas comment les trouver. »

« Ce n’est pas une coïncidence que ces deux rabbins aient planifié le même voyage. Comment cela peut être un hasard ? s’est interrogé Brook au téléphone depuis Austin.

Il apparaît que Solomon et Blumofe se connaissent depuis des années et qu’ils ont suivi leurs études rabbiniques ensemble à l’Institut Shalom Hartman, à Jérusalem.

Blumofe a déclaré n’avoir entendu parlé du projet de circuit de Solomon avec Mejdi qu’au moment où ils étaient tous deux en Israël au mois de juillet pour la remise de leur diplôme.

Solomon est également co-président de T’ruah : un appel rabbinique pour les droits de l’homme, anciennement affilié à l’ONG israélienne de gauche « Rabbins pour les droits de l’homme ». Les deux groupes, tous deux critiques à l’égard de la politique israélienne, se sont séparés il y a trois ans. Néanmoins, T’ruah a récemment conclu un partenariat avec le mouvement controversé Breaking the silence – qui piste les cas d’abus sur les Palestiniens par les soldats de Tsahal – pour organiser des voyages destinés aux communautés et aux universités en Cisjordanie.

Le but de ces voyages, selon T’ruah, est d’ « encourager davantage encore de juifs américains à rencontrer des Palestiniens et des vétérans de Tsahal ayant servi dans les Territoires, d’écouter sérieusement et honnêtement leurs récits et de travailler sur ces témoignages dans l’objectif d’un meilleur futur entre Israéliens et Palestiniens.

Breaking the silence est récemment tombée sous le feu des critiques de la part d’un certain nombre de députés israéliens appelant à rendre ce mouvement illégal, affirmant que c’était une « organisation subversive » dont le but était de dégrader le pays.

Parallèlement à cela, l’un des responsables des circuits chez Mejdi, Josh Bloom, est l’ancien directeur des programmes de T’ruah.

Blumofe a alors été mis en contact, via Solomon avec T’ruah et Breaking the silence, bien que n’étant membre d’aucune de ces associations.

A propos du lien entre T’ruah et Megdi, Blumofe a dit « qu’il n’était pas au courant et que cela n’avait aucun rapport ».

« Je ne cherche pas à mettre ces deux-là en appel d’offre », a-t-il déclaré.

« Pas ami d’Israël »

Le fait que Blumofe ne soit pas lié à ces associations ne l’a pas épargné des plus sévères critiques. Joseph Davidsohn et Avi White, n’appartenant ni l’un ni l’autre à la communauté Agudas Achim vivent à Austin et lisent le blog Israël Matzav.

Dans une lettre ouverte à Blumofe largement diffusée, Davidson a accusé le rabbin d’ouvrir ‘une toute nouvelle page dans l’histoire de la traitrise » et « d’aider [à la] promotion de nouveaux responsables pour faire couler le sang [sic], contre Israël et le judaïsme mondial. »

Davidsohn a également appelé à la fin de Blumofe et à son « droit de visite en Israël » révoqué à vie. » Dans son email, il a indiqué qu’il avait « pris la liberté d’envoyer des emails à des amis, des journalistes, des associations israéliennes et autres institutions, des militants et des responsables en communication tout en mettant en copie de ces mails des soutiens financiers majeurs et autres personnalités.

Michael Dell (photo credit: Mikeandryan, flickr, Wikimedia Commons)
Michael Dell (Crédit : Mikeandryan, flickr, Wikimedia Commons)

Parmi ceux qui reçurent la lettre il y avait Michael Dell, le fondateur de Dell et un donateur très important de la communauté juive à Austin. La communauté Agudas Achim est construite sur les terres de Dell tout comme le centre juif communautaire, l’Académie juive d’Austin, un centre médical juif, une synagogue orthodoxe, une autre réformée et un temple libéral.

White, un ancien soldat israélien de 32 ans ayant déménagé à Beer Sheva depuis Austin il y a une dizaine d’années, dirigeant d’une société de communication et de relations publiques a publié une série de posts sur Facebook désignant Blumofe comme « un sympathisant des terroristes » et l’accusant de « façon calomnieuse ».

White a également publié un communiqué de presse daté au 22 aout appelant Dell, l’ancien directeur général de la communauté juive d’Austin, Jay Rubin, diverses personnalités juives d’Austin et notamment le rabbin orthodoxe Moshe Trepp à désavouer Blumofe pour avoir soutenu, de façon certaine, « les associations de collecte de fonds de George Soros comme T’ruah, Breaking the silence ».

Il demanda à Dell de refuser d’allouer des fonds à Blumofe ainsi qu’à la JCC « jusqu’à ce que Blumofe cesse son attitude calomnieuse et promette d’arrêter d’être soutenu par ces associations antisémites, homophobes et financées par Soros.

Dans une interview avec le Times of Israel, White a réitéré ses affirmations, disant que « toute personne ayant à faire à ces groupes était un sympathisant des terroristes » et que si Blumofe n’avait aucun lien avec eux, il devrait le dire clairement et de manière irrévocable.

« Cela n’arrivera pas du jour au lendemain. Mais lorsque nous trouvons des exemples de cas montrant des rabbins américains suspects d’aide et de complicité par rapport à ce type d’initiatives, en étant au courant ou en ayant été dupés – nous devons les exposer à cela, non seulement pour les gens de leurs communautés mais également pour la communauté juive en général et les amis d’Israël aux Etats-Unis et dans le monde » a-t-il écrit.

Le commissaire à l'agriculture du Texas, Sid Miller. (Crédit : Facebook)
Le commissaire à l’agriculture du Texas, Sid Miller. (Crédit : Facebook)

Par le biais de son agence de relations publiques travaillant avec un certain nombre de politiques républicains au Texas, White a obtenu de la part du délégué à l’agriculture de l’état, Si Miller – ayant récemment fait campagne pour Trump – de poster sur Facebook le 22 aout à ses 25 000 partisans un post dénonçant le « soi-disant dirigeant Juif d’Austin, Texas « d’avoir envisager d’emmener un groupe de texans en Israël » pour rendre hommage à l’assassin et terroriste Yasser Arafat ».

Ce post a depuis été supprimé mais le texte a été transmis au Times of Israel. Miller a continué et a posté un autre post le 26 août- toujours en ligne – avec un lien sur le blog Israël Matzav en tagguant Blumofe.

« Ce n’est pas possible, Neil Blumofe, de vous faire appeler ami d’Israël alors que vous encouragez en même temps des gens à aller faire une visite sur la tombe d’un dirigeant terroriste » a écrit Miller, récoltant plus de 1 200 likes et des dizaines de commentaires.

Naïveté et responsabilité

Dans le bureau de Blumofe la semaine dernière, entouré d’une centaine de livres, d’aquarelles encadrées du mont du Temple, d’un piano où il s’essaie aux nouveaux airs autour de ses fonctions de hazan, d’un bureau majestueux « calqué sur le modèle de celui de Shai Agnon à Jérusalem, le rabbin s’exprime posément, prenant bien soin de ne pas se faire passer pour la « victime d’une campagne d’intimidation et de diffamation en ligne ».

Blumofe a expliqué qu’alors qu’il comprenait la réaction violente, il n’avait pas vraiment « anticipé les intrigues politiques derrière tout cela » parce qu’il « ne vit pas dans ce monde-là ». Il « ne pensait pas que cela arriverait dans cette communauté », comptant 680 familles de différentes origines et « issues d’une très grande diversité d’opinions politiques »

« Ce n’était pas un voyage visant à plaire et à attirer l’attention de qui que ce soit. Je pensais que nous aurions eu une réflexion sur les lieux que nous aurions visités » a-t-il dit. « Je n’ai pas transformé ma fonction de rabbin en exercice politique et concernant cette visite sur la tombe, j’aurais tout aussi bien pu la retirer. Je pensais que les gens me faisaient assez confiance.

Lorsqu’on lui demanda s’il n’était pas un peu naïf pour n’avoir pas vu venir une telle réaction, même de la part de membres d’une communauté semblant libérale comme la sienne, Blumofe fit une pause et répondit : « Si, je pense avoir été un peu naïf ».

Brook, a dit Blumofe, a refusé catégoriquement de me rencontrer affirmant savoir ce que je pensais et sans aucune permission, il a publié sur internet, sciemment, l’ébauche de l’itinéraire comme une réprimande, autorisant les autres à continuer à m’insulter, à me diffamer et à me calomnier. D’autres ont également continué dans cet esprit négatif, cherchant à accuser l’ensemble de la Fédération juive.

A cause de cela, a dit Blumofe, tout le circuit a été annulé ‘pour des raisons de sécurité’.

Dans un email datant du 17 aout, Blumofe écrivait qu’un nouveau voyage aurait lieu à la place en juin 2017 sans visite sur la tombe d’Arafat.

« Je pense que les perspectives visant à aborder Israël dans sa lutte pour maintenir son statut de démocratie et d’état juif peuvent être atteintes par une autre voie plus positive, écrit-il.

Un voyage à la tombe d’Arafat n’était pas « dans les cartes dans un avenir prévisible, » a-t-il ajouté.

Excuses de partout

Les critiques à propos de Blumofe lui ont fait obtenir gain de cause mais Brook a lui, senti, que ce n’était pas suffisant.

« Je n’en n’ai pas terminé avec le rabbin Blumofe, » écrivait Brooke le 28 aout dans son mail. « Ce n’est pas [sic] suffisant qu’ils aient annulé le voyage. Le plus gros problème est que Blumofe ne semble pas [sic] comprendre pourquoi il n’aurait pas dû inclure cela dans le programme dès le départ. »

C’est un sentiment que Brook a également exprimé au Times of Israel, accusant le rabbin d’essayer de détourner l’attention.

« Tout au long de ces 6 semaines [depuis sa lettre à Blumofe] tout ce que j’entends c’est déception, déni et tromperie » a déclaré Brook. Pour lui, le problème réside dans le simple fait que Blumofe croyait pouvoir inclure la visite de la tombe dans le voyage.

« Je serais l’idiot du village pour croire à une telle explication », de penser que le voyage devait aider à favoriser le dialogue, a affirmé Brook.

« S’il veut aller parler aux Palestiniens, c’est son problème. La question ici est la tombe d’Arafat. Il n’a rien à faire là-bas, en tant que représentant de cette communauté, » a-t-il déclaré.

« Pouvez-vous imaginer un prêtre orthodoxe ukrainien voulant emmener ses fidèles visiter la tombe de Staline ?» Il terminerait surement comme Mussolini, enfermé dans son église à laquelle on aurait mis le feu. »

Blumofe, a dit Brooke « peut utiliser un langage soutenu pour parler comme Shakespeare mais il a le cœur de [Geoffrey] Chaucer, » ce poète anglais du 14e siècle dont l’une des œuvres les plus importantes était une histoire basée sur un meurtre. (Brook refusa d’élaborer et de commenter davantage).

Brooke a dit à Blumofe qu’il devait présenter des excuses et s’expliquer auprès de sa communauté « sans tricher ».
« Si c’était une erreur de sa part, il devrait le dire. Mais tout dépend de comment il voit cela. Était-ce une erreur parce qu’il s’est fait avoir ? » a demandé Brook.

White et d’autres critiques pensent que c’est certainement le cas. Ils exigent de savoir quelle est la vraie raison qui se cache derrière cette annulation – un regret sincère ou une tentative de calmer le jeu après toute cette exposition médiatique – et attendent de Blumofe qu’il explique ses relations avec T’ruah, Breaking the silence et Mejdi tours.

L’annulation a eu lieu, a dit White, uniquement par ce « qu’il était exposé médiatiquement pour ce que c’était – un circuit bancal qui ne ressemblait à rien de ce qui était décrit comme « amical » envers l’état d’Israël.

Blumofe, a ajouté White, a « refusé de reconnaître que le voyage en lui-même était une erreur. En lieu de cela, il évoque des problèmes de sécurité comme la raison rationnelle/cartésienne de l’annulation plutôt que de parler de la colère et de l’inquiétude exprimée par les membres de sa communauté et les autres. »

« Ce n’était pas la nature du voyage, son itinéraire ou la visite prévue sur la tombe d’Arafat qui fit annuler le voyage à Blumofe mais bien cette publicité qu’il n’avait pas prévue et dont il ne voulait pas, tout comme ces critiques, » a-t-il déclaré.

Le médiateur gênant

Dans son communiqué de presse du 22 août, White a interpellé le rabbin Moshe trepp, un ami personnel de Blumofe et un collègue d’étude de Torah, à le désavouer. Trepp, un rabbin anglais orthodoxe, vivant à Austin depuis 11 ans, est le rabbin du campus de l’université du Texas et en poste en tant que leader spirituel pour de nombreux juifs d’Austin, non affiliés à une communauté et notamment White et Davidsohn.

Le rabbin se trouve dans une position plutôt inconfortable, essayant de comprendre ses élèves alors qu’il défend Blumofe contre les plus sévères accusations.

« Le problème, ce sont les insultes et les injures. Lorsque ce n’est plus à propos d’Israël et que ça commence à devenir personnel, alors c’est juste comme une bataille entre rivaux politiques » a indiqué Trepp au Times of Israel.

Beaucoup de questions autour des intentions et des motifs de Blumofe « sont des bonnes questions et je comprends d’où elles viennent et pourquoi les réponses sont attendues. Mais il y a de meilleures façons de faire cela que de tout exposer sur Facebook et de se ruer vers la presse, » a affirmé Trepp.

En outre, Trepp a posté sur sa propre page Facebook en faveur de Blumofe, affirmant qu’il était véritablement pro-Israël ; ce qu’il suppose ne pas avoir bien été reçu par ceux qui cherchaient son soutien.

A l’heure actuelle, il essaie d’organiser une rencontre entre White et Blumofe, persuadé que cela serait une bonne idée de les voir éclaircir cette affaire et tourner la page sur ces désagréments.

L’erreur est humaine

Parmi ses fidèles, et même parmi ceux qui pensent qu’une visite à la tombe d’Arafat est absurde, Blumofe est décrit comme un rabbin considérant et particulièrement attentionné et généreux.

« Il est bon et bienveillant et il donne 110 % de lui-même. Même les gens qui ne l’aiment pas le respectent, » a rapporté le Docteur David Goldblatt un fidèle de longue date dans cette communauté. « En ces temps où les synagogues traditionnelles voient leur nombre se réduire comme peau de chagrin, la nôtre s’est développée et rayonne, et cela, c’est grâce à lui. »

« Etait-ce une erreur ? Oui. Mais le tuerais-je pour autant ? Non. C’est mon rabbin et je l’aime. Les gens font des erreurs tout le temps, » a dit Goldlatt.

Michael Granof, un ancien président de la communauté et fidèle depuis 44 ans a rapporté qu’alors qu’il n’avait pas d’objection envers ce genre de voyage, il s’est demandé pourquoi des juifs voudraient aller voir la tombe d’Arafat.

« Parler à des Palestiniens, c’est une chose, mais qu’apprend-on en allant visiter une tombe ? » affirma Granof au Times of Israel.

Et pourtant, a déclaré le professeur de comptabilité de l’Université de Texas, les gens doivent « évaluer le rabbin sous un angle plus large et considérer l’ensemble de ses actions et pas uniquement cet élément ».

Ce sentiment a été également partagé par Steve Bernstein, membre de la communauté depuis 1993 ayant également étudié la Torah avec Blumofe. Il indiqua que si ce genre de voyage le mettait dans « l’embarras », il n’y avait pas de raison à ce que le rabbin démissionne ou soit renvoyé.

Mais Cathy Schechter, écrivain et consultante, membre également de longue date de la communauté, voit un problème beaucoup plus large. Ce n’est pas seulement à propos de cette visite sur la tombe d’Arafat, mais le débat interne entre les juifs américains à propos d’Israël se révélant mouvementé depuis la campagne des présidentielles qui se déroule en ce moment.

C’est comme essayer de lire Shakespeare avant d’apprendre l’alphabet ‘la plupart des gens – dans n’importe quelle communauté – ne sont pas prêts pour ce genre de voyage. » Et cela est valable pour ce projet de visite de la Palestine aussi.

« Il y a une différence entre ceux qui vont régulièrement en Israël et parlent avec des Israéliens, lisent les journaux, y ont de la famille, et les autres, pour lesquels c’était leur premier voyage là-bas. C’est plus difficile, pour ceux qui ne passent pas beaucoup de temps sur place de comprendre « les conversations autour du conflit et le climat politique actuel », a-t-elle expliqué par téléphone depuis Austin.

Au regard des conséquences « très désagréables » et des critiques envers Blumofe, Schechter pense que le climat politique américain y est pour beaucoup.

« C’est devenu acceptable d’être extrémiste sur un problème si vous pensez avoir raison, peu importe les faits, » a-t-elle dit, ajoutant que cela pointe un problème typiquement américain à mener un dialogue de façon civilisée.
« Je sais ce que Neil essayait de faire et je l’admire pour cela. » a dit Schtechter. « Mais d’abord, les gens doivent apprendre comment ne pas être d’accord et comment mener un dialogue. »

Arafat dans le contexte

En Israël également, Miri Eisin, un colonel de l’armée à la retraite et ancienne conseillère en communication du Premier ministre Ehud Olmert, constate le même phénomène.

« Il y a certainement un climat, en Israël et partout ailleurs dans le monde, de séparation, de nous contre eux. Nous l’avons vu lors du récent Brexit en Grande-Bretagne, du fiasco du burkini en France et des [actuelles] élections aux Etats Unis, a dit Eisin au Times of Israel par téléphone depuis Israël.

Miri Eisen, colonel retraitée de l'armée israélienne et ancienne conseillère média de l'ancien Premier ministre Ehud Olmert. (Crédit : capture d'écran YouTube)
Miri Eisen, colonel retraitée de l’armée israélienne et ancienne conseillère média de l’ancien Premier ministre Ehud Olmert. (Crédit : capture d’écran YouTube)

Eisin, donnant des conférences de temps en temps au cours des circuits de Mejdi et s’étant rendue sur la tombe d’Arafat a expliqué qu’il était la personnalité la plus importante dans l’histoire de la Palestine et qu’une visite sur sa tombe était un moment important dans un voyage ayant pour but de montrer également le point de vue palestinien.

« Il était qui il était, il était mon ennemi en tant qu’Israélienne, mais c’est une personnalité historique importante à leurs yeux. Par ailleurs, il n’y a pas beaucoup d’endroits où les Palestiniens peuvent vous emmener pour vous montrer leur héritage national. Où vont-ils aller ? » a expliqué Eisin, qui scrute la presse et les différents récits au centre interdisciplinaire d’Herzlia (IDC) en Israël.

« Il s’agit de symbolique, » a dit Eisin, ajoutant qu’elle comprenait qu’« à ce jour, il était très difficile de comprendre, pour des groupes juifs, parce qu’une visite sur la tombe est perçue comme un soutien à ce qu’il disait, ce qu’il faisait. »

Aziz Abu Sarah, co-fondateur du tour opérateur Mejdi Tours avec Scott Cooper, a dit qu’il ne comprenait pas ce que signifiait tout ce remue-ménage.

Aziz Abu Sarah (avec son appareil photo autour de son cou) à l'entrée du mur Occidental (Crédit : autorisation d'Aziz Abu Sarah)
Aziz Abu Sarah (avec son appareil photo autour de son cou) à l’entrée du mur Occidental (Crédit : autorisation d’Aziz Abu Sarah)

« Ceux qui ont critiqué le rabbin l’ont attaqué à propos d’un programme qui n’était pas encore finalisé voire autorisé. Ils ne comprennent pas notre concept, ils ne comprennent pas ce qu’un « double récit » signifie. Dans leur tête, peut-être que le fait même d’apprendre à propos des Palestiniens est considéré comme anti-Israël. » dit Abu Sarah.

Il a démenti avoir fait pression pour emmener les juifs américains sur la tombe d’Arafat avec Mejdi et a affirmé qu’il n’avait jamais eu ce genre de Juifs ou de groupe à majorité juive sur ce circuit.

« Ceci dit, nous n’arrêterons pas de suggérer une visite sur la tombe en option. Comment cela peut-il être interprété comme une approbation ? Si c’était le cas, personne d’entre nous ne pourrait jamais voyager nulle part » a-t-il dit.

Mejdi organise des circuits pour une sélection de clients, et notamment pour plusieurs groupes récents de l’AIPAC ou l’Institut des études juives Pardes et l’Institut Shalom Hartman. Il propose plusieurs guides en tout genre sur un large spectre d’opinions, » a expliqué Sarah.

« Nous travaillons de près avec les gouvernements palestinien et israélien [sur les circuits], nous coordonnons les voyages avec le ministère des Affaires étrangères israélien, ils regardent nos itinéraires – y compris lorsque nos circuits proposent une visite à la tombe d’Arafat – nous n’avons jamais été accusés d’être anti-Israël, a-t-il affirmé.

Un mail « d’amour »

A Austin, Blumofe semblait positif/optimiste après l’office du Shabbat, lorsque les fidèles ont commencé à former une queue pour venir lui parler. Certains l’ont enlacé, d’autres lui ont serré la main, d’autres ont discuté avec lui calmement et respectueusement.

Il a dit avoir traité des appels et autres messages de soutien toute la semaine. De la même manière, sur les réseaux sociaux où des amis, des collègues, des fidèles et d’anciens étudiants ont posté des statuts exprimant leur consternation à propos des attaques verbales dont il a été victime, leur respect et leur admiration pour le rabbin.

« Ce qui arrive à Neil est arrivé à tant d’autres rabbins et dirigeants communautaires. Personne ne devrait craindre pour sa carrière ou sa réputation à cause de son opinion sur Israël ou sur tout autre sujet. C’est à nous de réparer les divisions, les injures et toute cette négativité qui a envahi le judaïsme américain, » a posté une femme en commentaire sur le mur Facebook de Blumofe.

« Je crois que nous venons de tirer une leçon sur nos précieuses relations que nous ne devrions pas prendre pour acquises. »

L’actuelle présidente de la communauté, Caroline Legatt, a écrit qu’elle a été touchée par les « posts, appels, emails de gens ayant partagé leurs histoires personnelles à propos de la façon dont notre rabbin Neil Blumofe avait été une source d’inspiration et de force, de courage et de réconfort. Je suis fière de faire partie de cette communauté non seulement avec lui mais avec vous tous ceux qui m’ont rappelé le pouvoir de la compassion et de la bonté. Votre force me donne de la force. »

Blumofe a dit avoir reçu des centaines de messages privés et prévoit de répondre à chacun d’entre eux.
Il sent que cet épisode « a apporté quelque chose à ma communauté hétéroclite et a encourager les gens à intensifier leurs efforts dans l’engagement à apprendre des difficultés et des problèmes sensibles ».

« Je crois que nous sommes en train d’apprendre une sacrée leçon nous enseignant à ne pas prendre nos précieuses relations pour acquises… voyant comment certains peuvent agir en tant que destructeurs, » a-t-il ajouté.
De Brook, Blumofe attend ses excuses et qu’il reconnaisse « à quel point ses agissements ont été contre productifs. »

Un possible procès

Cela n’arrivera pas de si tôt puisque Brook a dit qu’il était plus déterminé que jamais à faire renvoyer le rabbin.
Dans une seconde interview avec le Times of Israël, Brook a dit avoir été appelé à une réunion entre la présidente de la communauté, Legatt et un ancien président et avocat, Michael Whellan au cours de laquelle il affirme avoir été clairement menacé d’un procès en diffamation.

Brook a appelé cela « une nouveau coup bas » pour la communauté « et une preuve supplémentaire que quelque chose ne va pas ».

« Ils essaient de me faire taire, » déclare-t-il mais « les rabbins vont et viennent, et le moment arrivera où celui-là devra s’en aller ».

Whellan a confirmé qu’une conversation avec Brook avait eu lieu et que l’on lui aurait dit que « les mots ont une force, les faits sont tout ce qui comptent, tenir des propos désobligeants et faire de la diffamation à propos d’individus dans la communauté ne sera pas toléré. »

Whellan a affirmé qu’aucune action ne sera prise encore et que personne n’avait contracté ses services « ni le rabbin, ni la communauté ni le conseil d’administration qui les représente ».

Le but de cet entretien, a dit Whellan, était de « comprendre à quoi nous en tenir et si la diffamation [sur Blumofe] allait continuer. Mais, a-t-il ajouté, « j’espère ne plus jamais avoir à être en contact avec [Brook]

Blumofe, qui n’était pas à la réunion mais était au courant qu’elle avait lieu, a indiqué qu’il préférait « inviter Mr Brook à s’assoir et étudier avec lui-nos textes saints traitant du dilemme à rester humble face à des discours blessants et inutilement haineux.

En ce qui concerne le voyage en lui-même, Blumofe a conclu : « c’est important d’avoir un dialogue entre tous les juifs que nous sommes, tous attachés à Israël, » a-t-il dit. « Personne ne doit être condamné parce qu’il cherche sa voie dans un monde dangereux. »

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