Le récit de la bataille du mont du Temple conté par un journaliste, témoin de l’Histoire
Il y a 50 ans, à la veille de la guerre des Six Jours, un courageux et jeune journaliste de Long Island prend la décision de s'envoler pour Israël. Voici ce qu'il a vu
Abraham Rabinovich est un journaliste américain et auteur de plusieurs ouvrages sur l’histoire contemporaine d’Israël. Ce qui suit est un témoignage de son expérience lors de la bataille pour Jérusalem durant la guerre des Six Jours.
Les nouvelles du Moyen Orient avaient pris une tournure différente. Nous étions en plein de mois de mai 1967, l’Égypte faisait avancer son armée dans le désert du Sinaï, expulsant les gardiens de la paix de l’ONU et fermant le détroit de Tiran aux cargaisons à destination d’Israël. J’avais commencé à travailler pour un nouveau quotidien à Long Island quelques mois auparavant. Le dernier dimanche de mai, je suis sorti de New York et j’ai marché pendant une heure sur une route de campagne à ruminer. Devrais-je ? Pourrais-je ? Que se passerait-il si ?
Le lendemain, j’ai annoncé à mon éditeur que j’avais décidé de m’envoler pour Israël, pour vivre ce qu’il y aurait à vivre. J’ai indiqué que j’aurais aimé que cette absence soit comptabilisée dans mes deux semaines de congé annuel. Il a accepté, bien que je n’eusse pas suffisamment d’ancienneté pour y prétendre. « Deux semaines, m’a-t-il dit. Guerre ou pas guerre. »
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Le 31 mai, j’ai pris l’avion pour Tel Aviv, avec un retour prévu deux semaines plus tard. À part les étudiants de yeshiva qui reprenaient leurs études, l’un des rares passagers de l’avion était Mandy Rice-Davies, qui avait été impliquée quatre ans auparavant dans le scandale Profumo qui avait tourmenté le gouvernement britannique.
Elle était désormais mariée au propriétaire d’une boite de nuit de Tel Aviv. Un étudiant de yeshiva m’a signalé qu’elle était là, et elle a accepté de m’accorder une courte interview. Quand je lui ai demandé si elle se rendait compte qu’elle arrivait dans un pays qui pourrait être en guerre, elle a répondu avec le flegme d’une Britannique : « oui. C’est là où je dois être. J’y habite désormais. »
Cinq jours plus tard, j’étais dans le centre-ville de Jérusalem quand des coups de feu ont commencé le long de la ligne qui séparait les parties israéliennes et jordaniennes de Jérusalem. L’artillerie jordanienne s’est rapidement associée aux tirs, et je me suis jeté sur la seule porte ouverte que j’ai pu trouver. Sur le mur, une plaque annonçait ‘municipalité de Jérusalem’. J’ai demandé au garde si le maire était dans le bâtiment. Il l’était.
« Quel est son nom ? »
« Teddy Kollek. »
Le maire attendait devant la porte de son bureau quand l’ascenseur a atteint son étage. Je me suis tenu à ses côtés et nous avons regardé les obus qui semblaient détruire la ville. « Je descends », a-t-il dit. Avec deux adjoints, il a rejoint un immeuble (qui n’existe plus) derrière la mairie, a environ 40 mètres des murailles de la Vieille Ville. Je l’ai suivi.
De temps en temps, Kollek plongeait sous les voitures garées tandis que les coups de feu résonnaient dans les bâtiments alentours. Il était impossible de savoir d’où venaient les tirs. A l’intérieur du bâtiment, les résidents étaient assis à même le sol, et ne disposaient pas de sous-sol. L’arrivée de Kollek a remonté le moral.
« Que va-t-il se passer, Teddy ? », a demandé une femme.
« Nos garçons se battent bien dans le sud », a-t-il dit.

Un sergent a conduit le maire vers le premier étage, où se trouvait un soldat muni d’un bazooka, debout sur un lit, caché derrière un rideau qui révélait une position jordanienne renforcée sur le mur crénelé opposé de la Vieille Ville. En descendant les marches, nous avons entendu le bruit du bazooka et avons senti un courant d’air.
Cette nuit, Kollek est allé au Jerusalem Post pour dicter un message à l’attention des riverains pour l’édition du matin. Ma sœur Malka était éditrice pour le journal, et c’était devenu mon point de chute. J’utilisais une machine à écrire pour écrire mon article pour le journal de Long Island. Pour l’envoyer, je devais traverser des rues obscures pour rejoindre le bureau du censeur dans le quartier russe, m’appuyer sur les murs pour marcher, utiliser mes orteils pour déceler les tournants.

Depuis le bureau du censeur, je marchais quelques minutes vers le bureau de poste où des opérateurs télex travaillaient toute la nuit. J’ai fini par héler une voiture sur la rue Shivtei Yisrael, dans laquelle se trouvaient des parachutistes. Ils venaient de ramener des camarades blessés vers un hôpital dans une voiture jordanienne et tentait de revenir sur le champ de bataille. Je me suis présenté et je leur ai demandé si je pouvais me joindre à eux, mais ils ont refusé.
J’ai passé la majeure partie des jours de la bataille de Jérusalem dans la région frontalière de Musrara, à essayer de voir ce que je pouvais du côté arabe de la ville et à parler avec les gens dans les abris. Le moral était bon, malgré les coups de feu à l’extérieur. La radio israélienne ne donnait aucune information sur la progression de la guerre ce premier jour, laissant ainsi libre cours au Caire pour crier victoire.

Ce n’est qu’après minuit que le chef d’Etat-major Yitzhak Rabin s’est exprimé sur les ondes pour annoncer que les forces israéliennes étaient en plein désert du Sinaï. Motti Hod, commandant de l’aviation israélienne a continué d’une voix sèche et lasse, et a annoncé le surprenant nombre de 400.
400 avions arabes avaient été détruits, principalement au sol. Les pertes israéliennes, avait-il dit, s’élevaient à 19 avions. Quand je suis sorti de l’abri au crépuscule, chaque voiture avait les pneus crevés. Les voitures avaient été transformées en tamis par les éclats d’obus et l’air sentait le gaz.
Le deuxième soir, les bombardements jordaniens avaient cessé, et je m’étais étendu pour dormir dans le parc de l’Indépendance. J’ai été réveillé en pleine matinée par le cri perçant d’un objet qui laissait derrière lui une trainée de condensations alors qu’il se dirigeait vers le sud, vers Bethléem ou Hébron. J’ai pris la route vers le Jerusalem Post où j’ai retrouvé Charlie Weiss, le rédacteur en chef, seul dans la salle de conférence. Il m’a confié que les troupes israéliennes étaient déjà à l’intérieur de la Vieille Ville. J’ai suggéré que nous y allions.

Nous avons marché vers Mandelbaum Gate, à 15 minutes à pied, qui est d’ordinaire un point de passage pour les diplomates et le clergé. C’était désert. Les soldats qui avaient pris le contrôle du bâtiment au début de la guerre étaient partis. La police et le personnel des douanes qui s’y trouvaient d’habitude n’étaient pas encore revenus. Le poste-frontière jordanien sur le côté externe de la frontière semblait vide également.
Nous avons traversé un no man’s land et avons marché dans les rues vides de la Jérusalem jordanienne, dans ce que nous pensions être la direction de la porte de Damas dans la Vieille Ville. À ce stade, nous étions passé à côté d’un véhicule de l’armée qui avait été touché par un obus.
Le chauffeur mort était toujours derrière le volant, le bras en l’air avec la rigidité d’un cadavre. Nous avons croisé des parachutistes israéliens, un pâté de maisons plus loin. Ils nous ont dit d’éviter la porte de Damas et d’entrer dans la Vieille Ville par la porte des Lions, dans la muraille orientale de la ville.
Charlie a continué vers le mur Occidental, mais je suis resté pour regarder le spectacle sur le mont du Temple. Au fond du quartier, des parachutistes piochaient dans un stock d’armes jordaniennes, et ont trouvé une caisse de sodas. Ils se sont assis pour boire et ont accepté de répondre quand je leur ai demandé quelles étaient les implications politiques de la bataille qu’ils venaient de livrer.

« Ils peuvent avoir tout le reste, a déclaré l’un d’entre eux. Mais pas notre ville sainte. »
D’autres ont parlé de garder certains des territoires capturés en Cisjordanie et dans le Sinaï. (L’attaque sur le Golan n’avait pas encore commencé.) Un soldat préférait tout rendre, y compris la Jérusalem jordanienne, en échange d’une vraie paix. Le programme politique d’Israël pour le demi-siècle à venir – et plus encore – avait été fixé avant que les derniers tirs n’atteignent la ville.
Quand la guerre a pris fin, quatre jours plus tard, je me suis assis sur la terrasse d’un café près de la rue Agron pour faire mes calculs. J’étais arrivé cinq jours avant la guerre. La guerre avait duré six jours, donc il me restait trois jours de tourisme avant mon vol retour.
En regardant le goudron du trottoir briller sous le soleil du mois de juin, j’ai eu l’impression que les vagues qui montaient sur la route n’étaient pas qu’une illusion d’optique. Elles représentaient l’énergie de cet endroit et de cette époque historique. J’ai décidé que je ne pouvais pas échanger ça contre un retour aux conseils d’administrations de Long Island. J’ai envoyé un télex d’excuses au rédacteur, indiquant que je ne rentrais pas. C’était trop intéressant pour s’en aller.

Je n’avais pas l’intention de m’éterniser en Israël. Je voulais simplement être témoin des évènements et sentir l’électricité dans l’air. Après quelques semaines, les amies de ma sœur ont commencé à me demander quelles étaient mes intentions. Ça en devenait gênant. « Juste me promener » n’était pas une réponse convaincante.
En revanche, « écrire un livre » sonnait bien mieux. Peut-être que je devrais effectivement commencer à écrire un livre. Quel type de livre ? Sur la guerre, bien entendu. Mais Israël post-guerre regorgeait de grands noms du journalisme. J’étais certain que plusieurs équipes travaillaient déjà sur la version 1967 d’Ô Jérusalem.
J’ai pensé à une niche que d’autres risqueraient d’ignorer, un livre sur la façon dont la population civile a vécu la guerre. Pas très intéressant, certes, mais c’était une couverture légitime pour rester. J’ai commencé un stage intensif pour apprendre l’hébreu, et j’ai commencé à interviewer des anglophones.
À ce stade, les réservistes qui avaient combattu à Jérusalem avaient été démobilisés. Quand j’appelais une famille, le mari était généralement disposé à parler de son expérience de la guerre. Ils sont rapidement devenus mon centre d’attention. « Où étiez-vous ? Quelle unité ? Que s’est-il passé ? ». En un mois ou deux, j’ai compris que c’était ce que je devais faire. Désormais, peu m’importait que quelqu’un d’autre écrive le même livre que moi. J’étais à fond. Je voulais savoir comment les batailles avaient été menées, spécifiquement celle-ci, et j’étais idéalement placé pour le faire : sans attaches, au chômage et avec une armée entière prête à parler.

Mes paramètres incluaient désormais les hommes de la 55e brigade des parachutistes et la brigade Harel qui était venu prêter main forte à la brigade Jérusalem, qui avait franchi la frontière. Les réservistes habitaient de part et d’autre du pays. Au cours des deux années qui ont suivi, j’ai interviewé des hommes dans 35 kibboutzim, ainsi que dans des villages et des villes. Ils étaient nombreux à être fermiers et m’emmenaient sur leurs tracteurs. Des gens merveilleux ; le sel de la terre.
En tout, il y aura eu 300 interviews. Leurs histoires ont constitué l’immense puzzle qui pourra former un récit.
C’était l’expérience d’une vie.
Le best-seller d’Avraham Rabinovich The Battle for Jerusalem a été récemment publié au format ebook sur Amazon et en livre de poche, avec un supplément sur le contexte politique et sur l’expertise des Arabes dans la bataille. Le chapitre final est un aperçu de la ville de Jérusalem sur les 50 années qui se sont écoulées depuis la guerre.
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