Le remaniement « esthétique » de l’AP, une tentative d’Abbas de garder le pouvoir et d’éviter les réformes demandées
Le nouveau Premier ministre, à Ramallah, sera probablement un fidèle du chef de l'AP qui semble tenter d'anticiper les pressions américaines en faveur de changements structurels pour "revitaliser" l'instance

La démission, lundi, du gouvernement de l’Autorité palestinienne – une démission qui a été officiellement acceptée par son président Mahmoud Abbas, mardi – devait marquer une étape majeure dans la « revitalisation » de l’instance administrative, une initiative jugée nécessaire par les États-Unis et par la communauté internationale dans l’hypothèse où l’Autorité soit amenée à reprendre la gouvernance de la bande de Gaza au lendemain de la guerre.
Mais certains Palestiniens font preuve de moins d’optimisme, estimant que ce remplacement du Premier ministre Mohammed Shtayyeh et de son gouvernement par un autre groupe de technocrates ne sera pas suffisant pour sauver une Autorité palestinienne qui est déjà en grande difficulté.
« C’est un changement qui est surtout superficiel, il n’a rien d’important », explique Mohammed Daraghmeh, journaliste vétéran à Ramallah et correspondant pour la chaîne de télévision saoudienne Asharq TV.
« C’était attendu. Abbas était soumis aux pressions internationales et locales qui lui demandaient d’avoir un nouveau gouvernement qui serait prêt pour ‘le jour d’après’ et il a fait démissionner son cabinet pour apaiser la communauté internationale », ajoute-t-il.
Shtayyeh devrait rester Premier ministre par intérim jusqu’à la formation d’un nouveau gouvernement technocratique qui sera probablement dirigé par Mohammad Mustafa, actuel responsable du Fonds d’investissement du gouvernement. Il a été, dans sa carrière, vice-Premier ministre et ministre de l’Économie.
Mais, dans les faits, Abbas conservera l’ensemble des pouvoirs.
En quête de réformes plus radicales au sein de l’Autorité palestinienne, Washington a, selon des informations, prôné un transfert réel des pouvoirs en les faisant passer du président au Premier ministre, tout en laissant Abbas conserver un rôle cérémonial. L’octogénaire, qui est à la tête de l’Autorité palestinienne depuis 2005, semble avoir fait la sourde oreille à ces appels en faveur d’un relâchement de sa mainmise.

« Le changement est purement cosmétique mais Abbas n’est pas en capacité de comprendre que personne n’achètera ce nouveau maquillage », s’amuse Samer Sinijlawi, activiste politique palestinien originaire de Jérusalem-Est et chef du Fonds de développement de Jérusalem, qui se spécialise dans les affaires humanitaires palestiniennes.
En dehors-des coulisses du pouvoir à Ramallah, certaines personnalités politiques palestiniennes influentes ont cherché à formuler une vision pour une Autorité palestinienne réformée, avec à leur tête Mohammad Dahlane. L’ancien responsable de la Sécurité de l’Autorité palestinienne à Gaza, expulsé de la bande par le Hamas en 2007 et qui est depuis exilé aux Émirats arabes unis, a appelé de manière répétée à désigner de nouveaux dirigeants.
L’initiative prise par l’Autorité palestinienne d’annoncer la formation d’un nouveau gouvernement a ostensiblement visé à neutraliser les appels lancés par les critiques d’Abbas, qui lui demandaient d’encourager la mise en place d’un gouvernement indépendant, doté d’une mission et d’un calendrier pour la mener à bien.
« Abbas a anticipé et il a demandé à son Premier ministre de démissionner et à son conseiller politique et économique [Mohammed Mustafa] de former le nouveau gouvernement », déclare Daraghmeh. « Les attentes face à ce nouveau gouvernement sont donc basses, tout simplement parce qu’il n’y a ni unité nationale, ni changement dans les priorités ».
Sinijlawi fait remarquer qu’Abbas n’a pas consulté les factions politiques rivales avant de désigner Mustafa à son poste. « Même s’il réussit à convaincre tout son entourage, à Ramallah, que c’est le bon choix, cela ne signifie pas qu’il est parvenu au consensus. Il est dans une bulle qui ne représente qu’une fraction de la population palestinienne », indique-t-il.
Les deux analystes disent qu’un retour de l’Autorité palestinienne à Gaza nécessitera l’adhésion de son rival, le Hamas, qui a un poids considérable au sein de l’enclave côtière.

« Malgré le démantèlement de ses capacités militaires par l’armée israélienne, le Hamas est encore le principal pouvoir politique à Gaza, c’est lui qui en a le contrôle. Personne ne pourra prendre les clés de Gaza tant que le Hamas y sera », estime Sinijlawi.
La perspective d’un Hamas conservant ne serait-ce qu’une once de pouvoir à Gaza ne sera probablement pas acceptable pour Israël, ni pour les États-Unis. Et le Premier ministre a rejeté l’idée d’un retour de l’Autorité palestinienne à Gaza quand la guerre sera terminée, accordant sa préférence à une administration assumée par des responsables locaux, avec un contrôle sécuritaire entre les mains d’Israël.
Washington, de son côté, appelle à ce qu’une Autorité palestinienne réformée reprenne la barre dans l’enclave côtière, mais les Américains ont exclu toute possibilité d’un Hamas ayant un rôle, quel qu’il soit, au sein du gouvernement à l’avenir.
Néanmoins, la faction du Fatah d’Abbas continue à chercher à se réconcilier avec le Hamas, même si presque deux décennies de tentatives de rapprochement entre les deux groupes n’ont pas permis de trouver un terrain d’entente. Les deux parties prévoient toutefois de se rencontrer pour de nouvelles négociations d’unité, cette semaine.
« Même si les membres du bureau politique du Hamas n’intègrent pas un futur gouvernement palestinien, il faudra les accepter en coulisse parce que ce sont eux qui contrôlent l’administration civile », explique-t-il.
L’activiste cite l’exemple des élections palestiniennes de 2006 – le Hamas avait remporté la majorité des sièges et l’Autorité palestinienne avait tenté d’invalider le scrutin. « Cela n’a pas marché. Le Hamas a repris très rapidement le contrôle de Gaza, » fait remarquer Sinijlawi.
L’Autorité doit ainsi s’appuyer sur un homme à poigne si elle veut espérer reprendre le pouvoir à Gaza.
C’est là que Dahlane pourrait entrer en scène. Natif de Gaza, il aurait rencontré des représentants des factions palestiniennes et notamment le chef du Hamas, Ismail Haniyeh, pour préparer le lendemain de la guerre. Mais il reste toutefois un ennemi du dirigeant de l’Autorité palestinienne.
« Pas d’Abbas, pas de Hamas », a déclaré l’ancien homme fort du Fatah lors d’un entretien récent accordé au New York Times.
Autre nom cité par Sinijlawi comme possible tête de pont de l’Autorité palestinienne à Gaza, Nasser al-Kidwa, né dans la bande et neveu de feu Yasser Arafat. Al-Kidwa avait été ministre des Affaires étrangères de l’Autorité palestinienne dans le passé mais il avait été éjecté du Fatah après avoir tenté de monter une liste qui serait venue défier Abbas lors des élections législatives palestiniennes du mois de mai 2021. Le scrutin avait été annulé peu avant la date prévue.

Al-Kidwa, qui vit actuellement aux États-Unis, se présente dorénavant comme une personnalité de l’opposition de premier plan au sein de l’establishment palestinien et il a déclaré que Mahmoud Abbas était « un totalitaire ».
Dans un entretien qu’il avait accordé à France24, au mois de décembre 2023, il avait dit que la population palestinienne avait le droit « de voir de nouveaux visages » mais que si les dirigeants actuels refusaient de partir volontairement, les choses pourraient devenir « horribles ».
En ne faisant que remanier son cabinet, Abbas signale qu’il n’est pas prêt à céder le pouvoir à ses rivaux ou à d’éventuels hommes forts. Une stratégie qui, selon les analystes, ne l’emmènera pas loin.
« Abbas ne sera pas capable de convaincre la rue en Cisjordanie ou la rue à Gaza. Et je pense qu’il ne sera pas capable de convaincre non plus la communauté internationale », s’exclame Sinijlawi.
« Abbas n’a pas à sortir de la vie politique palestinienne », ajoute-t-il. « Il pourrait rester là, comme président honoraire. Lui et sa famille pourraient bénéficier d’une immunité. Il pourrait conserver tout ce qu’il a entre les mains, tous ses avoirs, tout son argent. Mais il doit céder ses pouvoirs à un gouvernement qui est respecté par la population palestinienne. Pendant 19 ans, nous avons été pris en otage par Abbas. Nous devons avoir le droit d’écrire une nouvelle page de notre Histoire », dit-il.
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