Sous la pression américaine, le gouvernement de l’AP présente sa démission à Abbas
Le Premier ministre Shtayyeh a indiqué à son président que de nouveaux "arrangements politiques" pour la Gaza d’après-guerre sont nécessaires ; le Hamas veut un consensus national
RAMALLAH — Le président de l’Autorité palestinienne Mahmoud Abbas a accepté lundi la démission du gouvernement, annoncé plus tôt en journée, à l’heure où les tractations en coulisses s’intensifient pour réformer le leadership politique palestinien dans le cadre de « l’après-guerre » à Gaza.
« J’ai présenté la démission du gouvernement à monsieur le Président le 20 février et je la remets aujourd’hui par écrit », a déclaré solennellement lundi matin à Ramallah, Mohammed Shtayyeh, chef de l’Autorité palestinienne depuis le printemps 2019.
Et dans la soirée, le président Abbas a publié un décret « acceptant cette démission » tout en mandatant Mohammed Shtayyeh et ses ministres « de rester temporairement en poste jusqu’à ce qu’un nouveau gouvernement soit formé ».
« La prochaine étape requiert de nouvelles mesures gouvernementales et politiques qui tiennent compte de la nouvelle réalité dans la bande de Gaza (…), un besoin urgent d’un consensus interpalestinien » et la création d’un Etat palestinien ayant autorité sur la Cisjordanie et Gaza, avait déclaré M. Shtayyeh.
Cette décision fait suite aux pressions croissantes exercées par les États-Unis sur le président de l’AP, pour qu’il réforme cette dernière, ce qui lui permettrait de jouer un rôle plus important dans la gestion de la bande de Gaza d’après-guerre.
Les efforts internationaux se sont intensifiés pour mettre fin aux combats à Gaza et commencer à travailler sur une structure politique pour gouverner l’enclave après la guerre.
Abbas choisira probablement Mohammad Mustafa, président du Fonds d’investissement palestinien, comme prochain Premier ministre.
Cette décision témoigne de la volonté des dirigeants palestiniens, soutenus par l’Occident, d’accepter des changements susceptibles de déboucher sur des réformes jugées nécessaires pour revitaliser l’AP.
Les Etats-Unis ont salué lundi le processus de réformes engagé au sein de l’Autorité palestinienne en réaction à la démission du Premier ministre.
« Nous saluons les mesures prises par l’Autorité palestinienne pour se réformer et se revitaliser », a déclaré à la presse le porte-parole du département d’Etat, Matthew Miller.
Il a souligné que le secrétaire d’Etat Antony Blinken avait encouragé l’Autorité palestinienne « à prendre ces mesures » lors de ses récents entretiens avec le président Mahmoud Abbas.
« Nous pensons que ces mesures sont positives. Nous pensons qu’elles constituent une étape importante vers la réunification de la bande de Gaza et de la Cisjordanie sous l’égide de l’Autorité palestinienne », a-t-il ajouté.
Il s’est refusé à commenter directement la démission du gouvernement du Premier ministre Mohammed Shtayyeh, soulignant qu’il s’agissait d’une affaire interne à l’Autorité palestinienne.
Depuis des affrontements fratricides en juin 2007, le leadership palestinien est divisé entre l’AP de Mahmoud Abbas, qui exerce un pouvoir limité en Cisjordanie, tandis que le groupe terroriste palestinien du Hamas contrôle la bande de Gaza.
L’AP a été créée il y a 30 ans dans le cadre des Accords d’Oslo. Elle exerce une gouvernance limitée sur certaines parties de la Cisjordanie, mais a perdu le pouvoir à Gaza à la suite d’un coup d’État sanglant du Hamas en 2007.
La démission du gouvernement Shtayyeh survient avant une réunion des factions palestiniennes à Moscou et alors que des pays de la région, occidentaux et des opposants à Abbas plaident pour une AP réformée chargée à terme de la Cisjordanie et de Gaza sous la bannière d’un État palestinien indépendant.
Un haut responsable du Hamas a déclaré que cette décision devait être suivie d’un accord plus large sur la gouvernance des Palestiniens.
« La démission du gouvernement de M. Shtayyeh n’a de sens que si elle s’inscrit dans le cadre d’un consensus national sur les dispositions à prendre pour la phase suivante », a déclaré Sami Abu Zuhri, haut responsable du groupe terroriste palestinien.
Pour l’analyste palestinien Ghassan Khatib, la démission du gouvernement Shtayyeh n’est pas un geste de défiance à l’égard de Mahmoud Abbas mais plutôt une façon pour l’Autorité palestinienne de montrer qu’elle est prête à s’engager dans la voie de réformes en vue de l’après-guerre à Gaza.
Des pays arabes incluant le Qatar, des puissances occidentales ainsi que des opposants à Mahmoud Abbas plaident pour une Autorité palestinienne réformée chargée à terme de la Cisjordanie et de Gaza sous la bannière d’un Etat palestinien indépendant.
Avec la démission du gouvernement Shtayyeh, « Mahmoud Abbas veut montrer au médiateur qu’il est prêt aussi à aller dans cette voie », souligne M. Khatib, précisant que ce nouveau leadership palestinien inclurait des éléments de l’Autorité palestinienne mais aussi du Hamas.
« Si Abbas et le Hamas arrivent à un accord, il s’agirait d’une nouvelle phase dans la politique palestinienne. Cela serait significatif car les deux camps ont tenté de nombreuses fois de se rapprocher sans jamais y parvenir », explique M. Khatib à l’AFP.
« Mais il y a encore de fortes chances que le tout échoue car il reste nombre de questions en suspens comme par exemple la composition de ce gouvernement technocratique et l’étendue des responsabilités du Hamas à Gaza », ajoute-t-il.
Pour Khalil Shikaki, directeur du Centre de recherche palestinien sur la politique et les sondages (PCPSR), un institut indépendant de Ramallah, la démission présentée lundi par le gouvernement Shtayyeh n’est que cosmétique et s’inscrit dans une tentative de Mahmoud Abbas de faire croire à une volonté de réforme.
« Abbas veut montrer au monde qu’il est prêt à faire des changements (…) mais la seule vraie réforme serait qu’il rentre chez lui », souligne M. Shikaki, soulignant que quiconque succèdera au gouvernement Shtayyeh « sera forcé d’être loyal » au président de l’AP car ce dernier dirige « comme un one-man show ».
Depuis le 7 octobre, « Abbas n’a pas protégé sa population en Cisjordanie occupée et n’a pas levé le petit doigt pour Gaza. Et là, il veut être présent pour le ‘jour d’après’ mais n’a rien fait depuis le début de la guerre. Si vous pensez que je suis dur, sachez que la majorité des Palestiniens sont encore plus durs que moi », a-t-il ajouté.
La guerre à Gaza a éclaté lorsque le Hamas a envoyé 3 000 terroristes armés en Israël, le 7 octobre, pour mener une attaque brutale au cours de laquelle ils ont tué près de 1 200 personnes. Les terroristes ont également pris en otage 253 personnes, pour la plupart des civils, et les ont emmenées à Gaza. Israël a réagi en lançant une campagne militaire dont l’objectif vise à détruire le Hamas, à l’écarter du pouvoir à Gaza et à libérer les otages.
La semaine dernière, le Premier ministre Benjamin Netanyahu a présenté au cabinet de sécurité un document d’orientation pour la gestion de Gaza dans l’après-guerre, qui entend installer des « autorités locales » non affiliées au terrorisme pour administrer la bande de Gaza en lieu et place du Hamas.
Pendant plus de quatre mois, Netanyahu s’est abstenu de tenir des discussions au sein du cabinet de sécurité sur ce que l’on appelle le « jour d’après » la guerre, craignant que cela n’entraîne des fractures au sein de sa coalition majoritairement de droite. Certains de ses ministres d’extrême-droite souhaitent profiter de ces réunions pour faire pression en faveur de la relance des implantations israéliennes à Gaza et du contrôle permanent de la bande de Gaza par Israël – des politiques auxquelles le Premier ministre se dit opposé et qui ne manqueraient pas d’entraîner la dissipation du dernier soutien dont jouit Israël en Occident.
Netanyahu lui-même s’est contenté de dire qu’il ne permettra pas à l’AP de revenir gouverner Gaza. Il a parfois nuancé cette affirmation en disant qu’Israël ne permettrait pas à l’AP sous sa forme actuelle de revenir dans l’enclave palestinienne, indiquant ainsi qu’Israël pourrait s’accommoder d’une AP réformée du type de celle que l’administration Biden a encouragée. À d’autres occasions, cependant, Netanyahu a opposé un refus plus général à l’idée de permettre à Gaza de devenir le « Fatahstan« , en référence au parti politique dirigé par Abbas.
Shtayyeh a expliqué par le passé que l’objectif d’Israël d’éradiquer le Hamas de Gaza ne pouvait être atteint parce que le groupe terroriste existe en tant « qu’idéologie » et que nombre de ses principaux dirigeants et membres ne se trouvent même pas dans la bande de Gaza.
Sa démission est survenue alors que les efforts de négociation d’une trêve temporaire et d’un accord sur la libération des otages semblent progresser, tandis qu’Israël s’apprête à lancer une incursion terrestre dans la ville de Rafah, au sud de Gaza, dernier bastion du Hamas, Mais également une zone où des centaines de milliers d’habitants de Gaza ont trouvé refuge au milieu des combats, ce qui a suscité des inquiétudes au niveau international quant au coût civil de l’opération militaire à venir.