Le séisme fait trembler les chances d’Erdogan aux élections – si elles ont lieu
Le président turc, qui est accusé de corruption, traversait déjà une zone de turbulences politiques - le tremblement de terre meurtrier a secoué davantage sa course à la réelection
Au mois de janvier, Recep Tayyip Erdogan avait d’ores et déjà des raisons de s’inquiéter. Après deux décennies au pouvoir, le président turc avait vu craquer les fondations mêmes de sa base politique.
L’inflation galopante et une lire turque qui n’a cessé de dégringoler depuis des années ont entraîné, pour une grande partie de la population, un combat quotidien visant à pouvoir se nourrir, se loger ou à pouvoir payer les factures d’électricité.
« Les élections semblaient, avant le tremblement de terre, devoir se jouer au coude à coude », commente Yusuf Erim, analyste spécialiste de la Turquie au sein de TRT World. « Elles paraissaient devoir figurer parmi les courses à la présidence les plus serrées de toute l’Histoire turque ».
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Erdogan, un politicien expérimenté et habile, se dressait vent debout contre les turbulences.
« Il avait lancé son économie électorale », indique Hay Eytan Cohen Yanarocak, expert au sein de l’Institut de stratégie et de sécurité de Jérusalem.
Erdogan avait permis à des millions de travailleurs qui n’avaient pas atteint l’âge de la retraite de commencer à toucher leur pension, il avait multiplié par deux le salaire minimum, il avait présenté un projet de loi sur l’allègement de l’endettement et il avait même annoncé que 10 000 permis de conduire qui avaient été retirés à leurs propriétaires seraient restitués.
« Il a tout fait pour attirer l’attention des masses », explique Cohen, « il a tout fait pour donner l’impression que l’État assurait la prospérité du peuple ».
Le programme de dépenses massif d’Erdogan avait commencé à payer. Début février, les résultats des sondages avaient révélé que le soutien apporté à Erdogan était sans précédent depuis deux ans.
Puis la terre a tremblé sous ses pieds.
Accusations d’incurie
« Ce séisme a fait fortement vaciller tout son programme, tous ses projets », note Cohen.
« Le tremblement de terre est devenu le seul sujet à l’ordre du jour en Turquie et il continuera très probablement à dominer le débat public à court-terme », dit Erim.
Erdogan, arrivé au pouvoir dans le sillage des critiques virulentes qui avaient dénoncé l’incurie du gouvernement turc face à un séisme catastrophique qui avait endeuillé le pays en 1999, est blâmé par un grand nombre pour l’étendue des dégâts et pour la lenteur de la réponse apportée au cataclysme par les services de secours.
La Turquie avait connu une explosion du secteur du bâtiment sous Erdogan. Mais le président est également accusé d’avoir offert des contrats lucratifs à ses amis, leur permettant d’ignorer les normes de construction en vigueur.
En 2019, avant les élections, alors qu’il se trouvait dans les régions qui ont été dévastées par les récents tremblements de terre, Erdogan s’était enorgueilli d’avoir résolu le problème de la pénurie du logement en accordant l’amnistie aux constructeurs qui avaient ignoré les normes de sécurité.
La Turquie avait adopté une taxe, en 1999, dont l’objectif était de recueillir des fonds alloués à la préparation du pays à d’éventuels tremblements de terre. Suite à un séisme qui avait touché la région d’Izmir, en 2020, l’opposition avait prétendu que le gouvernement avait détourné des milliards de dollars qui devaient aider à protéger le pays contre les tremblements de terre majeurs – comme celui qu’il a finalement connu au début du mois.
Et en limitant drastiquement les activités des organisations de la société civile, Erdogan a aussi éliminé ce qui avait été un pilier déterminant de la réponse apportée au séisme de 1999.
« Ce que nous avons expérimenté, ce que nous avons vu et ce dont nous avons été témoin montre que non seulement les constructions individuelles, mais également les colonnes soutenant un pays tout entier se sont effondrées », a écrit Ibrahim Varli dans le journal d’opposition BirGün. « Nous sommes confrontés à un appareil de l’État ‘en ruine’ qui a pourri à tous les niveaux de la hiérarchie, dont les institutions et les organisations ne fonctionnent plus parce qu’elles ne sont plus en mesure de le faire ».
« Les Turcs ont compris qu’encore une fois, la réalité nue est que l’État s’est transformé en outil protégeant le règne des voleurs », ajoute le journaliste dans son éditorial.
La nation sous le choc
Toutefois, il est difficile de dire à quel point la colère à l’égard d’Erdogan sape réellement ses chances de réélection.
« Pour le moment, les critiques proviennent des mêmes qui s’opposaient d’ores et déjà à Erdogan », constate Gallia Lindenstrauss, chercheuse à l’Institut d’études de sécurité nationale à Tel Aviv.
« La nation est encore sous le choc et il est difficile de savoir, pour le moment, comment la situation va évoluer », continue-t-elle.
Tous les politiciens « seront jugés sur ce qu’ils vont faire au cours des trois prochains mois », estime pour sa part Erim.
Erdogan pourrait même avoir un avantage sur ses adversaires de l’opposition parce que s’il gère la reconstruction en se montrant compétent, il sera alors en mesure de revendiquer des résultats tangibles.
Il a promis de reconstruire des logements pour les millions de Turcs sans-abri d’ici un an. Dans l’intervalle, les étudiants turcs reviendront à l’enseignement à distance, leurs dortoirs ayant été réquisitionnés pour les victimes du séisme.
Les autorités turques ont émis plus de cent mandats d’arrestation à l’égard d’entreprises qui se seraient rendues coupables de violations des normes de construction.
De plus, Erdogan profite du fait que l’opposition ne s’est pas encore accordée sur un candidat et que l’échéance pour ce faire a été reportée à cause du séisme.
Incertitude
Alors qu’Erdogan se démène pour imposer son narratif après la tragédie, il n’y a pas de certitude non plus sur la tenue du scrutin.
« Je ne peux pas vous dire avec certitude que les Turcs iront jeter un bulletin dans l’urne le 14 mai », reconnaît Cohen.
Les élections devaient initialement se tenir au mois de juin mais elles avaient été avancées au mois de mai, de manière à ce que la population puisse aller dans les bureaux de vote au moment où elle ressentait le plus les bénéfices du programme de dépenses du président sortant – et avant que l’inflation n’empire.
Ce ne serait pas un problème de les reprogrammer à nouveau à leur date traditionnelle du mois de juin, selon Lindenstrauss.
Mais elles pourraient aussi être repoussées à une date plus éloignée.
« Nous devons aussi réfléchir à un scénario où les élections pourraient être reportées pour une période prolongée dans la mesure où enregistrer les plus d’un million de personnes déplacées et sans-abri, décider où elles vont voter, enlever les morts des listes et prendre une décision sur le statut des portés-disparus sont des défis qui nécessiteront une discussion nationale », explique Erim.
Mais selon l’article 78 de la Constitution turque, les élections ne peuvent être repoussées qu’en période de guerre. Erdogan pourrait chercher à amender la constitution, mais une telle initiative nécessiterait le soutien de l’opposition pour obtenir la majorité nécessaire des deux-tiers.
Et pourtant, Erdogan a affiché sa volonté de prendre des mesures drastiques dans le cadre de l’état d’urgence qui est actuellement en vigueur dans le pays. Pendant l’état d’urgence – très long – qui avait suivi le coup d’état militaire manqué de 2016, Erdogan avait supervisé un référendum constitutionnel qui avait approuvé le remplacement du système parlementaire par une présidence puissante.
Même si les résultats des élections – quand elles auront lieu – auront de lourdes implications pour l’avenir de la Turquie, les liens qui ont été récemment restaurés entre le pays et Israël ne devraient pas être mis en péril.
La question palestinienne continuera à entraîner des vagues occasionnelles indépendamment du nouveau président mais « les deux parties devraient être capables de prendre en charge ces tensions », estime Erim.
Et l’aide rapide apportée par l’État juif à la Turquie aidera sûrement à cimenter encore davantage cette relation, affirme Cohen.
« Nous avons apporté la preuve à la population turque que notre amitié va au-delà des gouvernements », s’exclame-t-il.
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