Le « spectaculaire » bilan juif de la chancelière allemande Angela Merkel
La dirigeante de l'Union chrétienne-démocrate, qui a annoncé son départ, a été une véritable alliée d'Israël et des juifs
BERLIN (JTA) – L’écrivain israélien Eldad Beck considère l’engagement d’Angela Merkel avec Israël et le judaïsme de « spectaculaire ».
La chancelière allemande a « développé un lien très personnel avec l’État d’Israël et le peuple juif, [devenant] l’un des rares politiciens allemands qui – en parlant des leçons apprises du passé – sait vraiment de quoi elle parle, et le pense vraiment », a déclaré Beck, dont le livre, Chancellor Merkel, Israel and the Jews, a été publié en hébreu l’an dernier par Yedioth Books. « Pas comme tant d’autres politiciens allemands qui répètent des slogans qu’ils ont appris à dire. »
Madame Merkel a décidé le mois dernier de ne plus se présenter aux prochaines élections en Allemagne.
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Son annonce de départ de la présidence de l’Union chrétienne-démocrate – un rôle qui garantit généralement celui de chancelier au parti vainqueur – fait suite à l’érosion de la base électorale conservatrice de la CDU en raison de la colère croissante de son électorat devant la gestion de la crise avec les migrants par Merkel.
En 2015, en disant « Nous pouvons y arriver », elle a ouvert les frontières allemandes et plus d’un million de personnes ont afflué. Ils n’étaient pas tous de vrais réfugiés.
Sa décision a suscité la crainte et la colère de nombreux Allemands et, selon certains, a contribué à la montée du parti d’extrême-droite « Alternative pour l’Allemagne » – le premier parti du genre depuis 1945 à siéger au Parlement allemand.
Merkel doit maintenant en payer le prix politique. Elle pourrait encore rester chancelière pendant deux ans jusqu’aux prochaines élections nationales. Loin d’être un canard boiteux, elle déterminera le ton et l’orientation de son pays.
Ceux qui s’intéressent aux relations entre l’Allemagne et Israël et au développement de la vie juive en Allemagne sont impatients de savoir ce qui se passera avec la remplaçante de Merkel. Rien ne garantit que les successeurs de Merkel à la tête de la CDU suivront son exemple.
La dirigeante juive allemande Charlotte Knobloch craint qu’il n’y ait jamais une autre personnalité politique comme elle, et souhaite qu’elle puisse reconsidérer sa décision.
Mme Merkel « a défendu Israël et le peuple juif avec cœur et âme, pas seulement en tant que responsable politique mais en tant que personne », a déclaré Mme Knobloch, 86 ans, qui dirige la communauté juive de Munich et de Haute-Bavière dans une interview téléphonique à JTA.
En 2008, alors qu’elle était à la tête du conseil central des juifs d’Allemagne, Mme Knobloch a accompagné Mme Merkel en Israël, où la chancelière est devenue la première chef de gouvernement étranger à prendre la parole devant la Knesset.
« Ce fut inoubliable, sa magnifique déclaration sur la responsabilité de l’Allemagne envers Israël », se souvient Knobloch. « Elle a dit que c’était une ‘raison d’Etat’ pour l’Allemagne » et un intérêt national.
Partout dans le reste de l’Europe, les dirigeants juifs sont peinés de la voir partir.
« A l’heure où les vents de l’extrémisme et du populisme soufflent de plus en plus fort sur notre continent, aucune voix n’a été plus forte que celle de la chancelière, pour appeler à la tolérance et s’opposer au racisme et à l’antisémitisme, a déclaré Moshe Kantor, chef du Congrès juif européen basé à Bruxelles », dans un courriel à JTA.
D’autres dirigeants juifs sont également inquiets.
« Angela Merkel a clairement été un pilier des relations entre juifs et Allemands », a déclaré à JTA Deidre Berger, chef du bureau de Berlin du comité juif américain. « Elle a un lien profond avec Israël tout à fait remarquable. Malgré des désaccords politiques occasionnels, elle a propulsé les relations germano-israéliennes à leur apogée. »
Certes, la mer n’a pas toujours été calme sous Merkel. Mais ces treize dernières années ont connu des moments marquants.
En plus d’être le premier chef de gouvernement allemand à avoir pris la parole devant la Knesset, Mme Merkel a également lancé en 2008 – avec le Premier ministre israélien de l’époque Ehud Olmert – des consultations annuelles conjointes au plus haut niveau entre les deux pays sur un large éventail de sujets. C’était la première fois que l’Allemagne participait à des consultations du cabinet avec un pays non-européen; la prochaine réunion est prévue pour 2019 à Berlin.
Mme Merkel a également ouvertement critiqué Israël. En 2011 par exemple, elle a menacé de suspendre la livraison d’un sous-marin allemand pour protester contre la politique des implantations du Premier ministre Benjamin Netanyahu. Elle a cédé après qu’Israël a remis 100 millions de dollars en taxes et droits de douane gelés à l’Autorité palestinienne.
En tant que chancelière, Mme Merkel a réagi rapidement à la montée de l’antisémitisme dans son pays – après avoir été critiquée pour avoir hésité à expulser un homme politique antisémite de l’Union chrétienne-démocrate en 2003.
En 2012, grâce en partie à l’intervention de Mme Merkel, le Bundestag a adopté une loi autorisant les juifs et les musulmans de pratiquer la circoncision rituelle des garçons après que ce droit se soit trouvé menacé lors de ce qui a été largement considéré comme une campagne antisémite.
Ce qui rend l’engagement de Mme Merkel avec Israël et le judaïsme si « spectaculaire, c’est qu’elle vient en fait d’Allemagne de l’Est… une région qui était très hostile à Israël et qui ne s’est jamais vraiment intéressée aux juifs, et à ce qui leur est arrivé pendant la Shoah », a ajouté Beck.
Mme Merkel est née en 1954 à Hambourg, en Allemagne de l’Ouest, mais a déménagé avec ses parents en Allemagne de l’Est après que son père, pasteur luthérien, y a été affecté dans une paroisse. Elle est devenue chimiste et a travaillé dans ce domaine jusqu’à ce qu’elle s’implique en politique en 1989, juste avant la chute de l’Etat communiste et l’unification de l’Allemagne. Elle s’est hissée au rang de protégée du chancelier Helmut Kohl au sein de son parti et a été élue chef de la CDU en 1998.
Lorsqu’il a fallu aborder des sujets tabous en Allemagne de l’Est – comme la Shoah et Israël – Mme Merkel a dû apprendre par ses propres moyens.
« Elle m’a souvent dit qu’elle n’avait presque rien entendu pendant son enfance au sujet de la persécution et du massacre des juifs, c’est pourquoi elle était déterminée à se battre pour les juifs », a expliqué Mme Knobloch, qui a survécu à la Shoah en se cachant en Allemagne.
Beck et d’autres ont expliqué les motivations de Mme Merkel à accepter des réfugiés en fonction de ce contexte. L’auteur a déclaré que Mme Merkel « estime qu’à la lumière de la tragédie humaine en Syrie et en Irak, l’Allemagne ne peut pas rester sans rien faire ».
Mme Merkel a également hésité à imposer des « sélections » à la frontière, « en raison du sens historique du mot par rapport à la Shoah », a expliqué M. Beck. « L’Allemagne est donc devenue victime de son incapacité à distinguer le passé du présent. »
Berger de l’AJC est d’accord pour dire que Merkel « était vraiment motivée par des préoccupations humanitaires. Néanmoins, le fossé social et économique s’est creusé, la société s’est polarisée, et la CDU semble avoir le sentiment général qu’il est temps de changer de leadership. »
Le défi lancé aux dirigeants juifs d’Allemagne est également clair, a déclaré M. Berger, qui a récemment accompagné une délégation de l’AJC à une réunion avec Mme Merkel marquant le 20e anniversaire de l’organisation à Berlin.
« Dans une ère post-Merkel, dans laquelle nous ne sommes pas encore, il sera plus que jamais nécessaire de travailler à maintenir la mémoire du passé », dit Berger, « ainsi que des liens étroits avec le monde juif en Israël et en Allemagne ».
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