Le « système confessionnel » libanais, un temps loué, désormais voué aux gémonies
Longtemps loué pour sa capacité à faire la synthèse de la mosaïque confessionnelle du Liban, ce système est aujourd'hui présenté comme la source de nombreux maux

Fustigés par la population, mis sous pression internationale, plusieurs dirigeants libanais ont appelé ces derniers jours à un abandon du « système confessionnel » qui régit la vie politique du pays, mais reste à savoir quelle forme peut prendre le changement.
Longtemps loué pour sa capacité à faire la synthèse de la mosaïque confessionnelle du Liban, ce système est aujourd’hui présenté comme la source des maux dont est accusée la classe politique : immobilisme, incompétence, népotisme et corruption.
Pour de nombreux Libanais, l’explosion tragique du 4 août au port de Beyrouth (au moins 188 morts, 6 500 blessés), où une énorme quantité de nitrate d’ammonium était stockée depuis des années au mépris des risques, a agi comme le révélateur de trop, un siècle après la création du Grand-Liban.
Un patchwork de confessions
Le Liban est un pays où coexistent toujours 18 communautés, en dépit d’une guerre civile (1975-1990) qui a fait des dizaines de milliers de victimes.
Sur la répartition démographique, pour des raisons politiques, il n’y a pas eu de recensement officiel depuis 1932, à l’époque du mandat français.
Mais selon des estimations remontant à plusieurs années, sur environ 4,6 millions de Libanais, les chrétiens représentent un gros tiers (34,9 %) et les musulmans l’écrasante majorité du reste de cette population (environ
65 %).

Le « système confessionnel »
Les fonctions au sein de l’Etat sont réparties sur une base confessionnelle, à commencer par les plus hauts postes : le président de la République est chrétien maronite – cas unique dans le monde arabe –, le chef du gouvernement musulman sunnite et le président du Parlement chiite.
Cette tradition remonte au « Pacte national », un accord non écrit conclu à l’indépendance en 1943, en vertu duquel les musulmans ont renoncé à leur rêve d’unité arabe et les chrétiens à rechercher une protection de l’Occident.
Au terme d’une guerre civile dévastatrice de 15 ans, les accords de Taëf (Arabie saoudite) accèdent au souhait des musulmans, qui réclament une plus grande représentativité.
Ils instaurent ainsi la parité entre musulmans et chrétiens au sein du Parlement, où ces derniers étaient majoritaires, et réduisent les prérogatives du président de la République au profit du Conseil des ministres et du président du parlement.
S’instaure alors une véritable troïka, qui ne fonctionne que lorsque les trois présidents sont sur la même longueur d’onde, car chacun d’un dispose d’une capacité de blocage.
Ainsi, chaque élection présidentielle ou chaque formation de gouvernement a été l’occasion d’une crise et souvent de périodes de vacance de pouvoir, aucun mécanisme n’existant pour faciliter un accord.

Qu’ont-dit les responsables ces derniers jours ?
La fin de ce carcan était une demande du mouvement de contestation transcommunautaire né il y a bientôt un an. Ses appels sont restés sans réponse, puis le mouvement a baissé d’intensité face aux ravages de la crise économique et aux contraintes de la lutte contre la Covid-19.
À la suite de l’explosion du 4 août, le président Michel Aoun, allié du Hezbollah pro-iranien, a toutefois reconnu la nécessité d’un changement, appelant à proclamer un « Etat laïc ».
Quelques heures plus tôt, le chef du puissant groupe terroriste du Hezbollah chiite – seul mouvement à ne pas avoir déposé les armes à la fin de la guerre civile –, avait annoncé être prêt à discuter d’un nouveau « pacte politique ».
Hassan Nasrallah s’est référé aux démarches de la France, dont le président Emmanuel Macron a évoqué les « contraintes d’un système confessionnel » ayant conduit « à une situation où il n’y a quasiment plus de renouvellement (politique) et où il y a quasiment une impossibilité de mener des réformes ».
Le président du Parlement et chef du mouvement chiite Amal, Nabih Berri, a appelé également à « changer le système confessionnel ».
L’accord de Taef prévoyait « l’abolition du confessionnalisme politique » qui devait parvenir, à terme, à un régime politique totalement refondé.
Et pour rassurer les communautés inquiètes, un Sénat rassemblant leurs représentants devait être constitué. Mais ces deux points n’ont jamais été appliqués et l’abolition du confessionnalisme peut cependant déchaîner les passions.