Les biographes de Charles Trenet démentent les rumeurs de collaboration
Harcelé par la presse collaborationniste pendant la guerre, qui l'accuse d'être Juif, Charles Trenet a donné un concert en Allemagne nazie et été condamné à la Libération
Le chanteur français Charles Trenet a disparu il y a 20 ans, le 19 février 2001, à 87 ans.
À cette occasion, Valentin Schmite, professeur à Sciences Po et au CELSA, publie La révolution Trenet. Jacques Pessis, journaliste et réalisateur, biographe et ami du défunt chanteur, a écrit Charles Trenet, hors chant, la biographie qui innocente le chanteur. France 3 a diffusé vendredi dernier le documentaire « L’Enchanteur ». Et Thomas Dutronc a repris l’été dernier un de ses titres, « La mer ».
Avant ce dernier, ils sont nombreux à avoir encensé ou chanté Trenet, de Jacques Higelin, Georges Brassens, Serge Gainsbourg, Anne Sylvestre à Benjamin Biolay.
« Il n’y a pas de limite avec Trenet, c’est un souffle de liberté dans la chanson française, comme ‘Y a d’la joie, la tour Eiffel part en ballade/Comme une folle, elle saute la Seine à pieds joints’ », explique Valentin Schmite.
« Trenet, c’est le libérateur, quand ‘la Tour Eiffel part en balade’, on n’est pas loin du psychédélisme de ‘Lucie dans le ciel avec des diamants’ (‘Lucy in the sky with diamonds’, des Beatles), c’est totalement révolutionnaire », abonde Bertrand Dicale, auteur du Dictionnaire amoureux de la chanson française.
Mais derrière le sourire du chanteur, il y avait la part sombre des textes de l’auteur, un homme pas épargné par les coups.
Pendant la Seconde Guerre mondiale, lui et sa mère, accusés d’être Juifs, ont été harcelés par les autorités. Les journaux collaborationnistes Je suis partout et Le Réveil du peuple ont évoqué le « chanteur juif Netter, nom spécifiquement juif, dit Charles Trenet » ou encore sa ressemblance avec « le Juif Harpo Marx ». Il se fait tirer dans la jambe en fuyant la Gestapo et finit par présenter un certification d’aryanisation à la Kommandantur, lui permettant de ne plus être inquiété.
Au lendemain de la guerre, le chanteur a été accusé de collaboration et condamné à huit mois d’inactivité, ramenés à trois mois – « un mauvais procès tenu par un comité d’épuration, » selon Valentin Schmite. En cause : un concert donné en Allemagne nazie avec Tino Rossi et la composition de la chanson « La Marche des jeunes pétainistes », qui figurait sur la face B de « Maréchal nous voilà » (tentait-il de donner des gages à la presse collaborationniste qui le harcelait ?). Cela alors qu’il est rapporté que Trenet a refusé de jouer à Paris devant des soldats nazis, rompant son contrat avec les Folies Bergère.
Jacques Pessis, biographe et ami de Charles Trenet, tente lui aussi dans son nouveau livre de le réhabiliter face à ces rumeurs de collaboration.
Dans une interview pour L’Indépendant Catalan, il a dénoncé les « menaces de mort » que l’artiste a reçues pendant la guerre
Selon lui, s’il est bien allé chanter en Allemagne, « comme Piaf », c’est parce qu’il avait « un revolver dans le dos » et que « des menaces de mort [planaient] sur sa mère », ainsi que des menaces d’incarcération. « Il prenait cette menace d’autant plus au sérieux qu’il avait déjà dû prouver à la Gestapo qu’il n’était pas Juif après des accusations de la presse collabo », a-t-il rappelé au Parisien.
Pessis et Schmite réhabilitent également le chanteur face à une « rumeur abjecte et infondée d’une pédophilie présumée » dans les années 1960. Condamné d’abord à un an de prison, il a écopé en appel d’une amende et est sorti au bout d’un mois. Il est « en fait victime d’homophobie, tout simplement », résume Valentin Schmite. « Ce sont des déclarations calomnieuses de la part de deux personnes. Des gens qui voulaient tout simplement lui soutirer de l’argent, du chantage », dit lui Jacques Pessis, qui ajoute que les rumeurs se sont propagées notamment car Trenet a toujours laissé les « Monsieur et Madame Bobard » propager les ragots.
Vingt ans après sa mort, la succession de Trenet n’a toujours pas été réglée. La justice devrait prochainement trancher et désigner la personne qui héritera des droits d’auteur du chanteur. Charles Trenet est enterré au cimetière de l’Ouest de Narbonne.
Glenn Cloarec et l’AFP ont participé à cet article.