Les critiques sur « l’Etat juif » exacerbées par l’absence de négociations
Netanyahu finira par accepter une version assouplie de sa législation controversée, affirme un ancien assistant
Raphael Ahren est le correspondant diplomatique du Times of Israël
Le projet de loi connu sous le nom du « projet de loi sur la nationalité » défendu par le Premier ministre, Benjamin Netanyahu, qui définira juridiquement Israël comme « Etat juif » est loin d’être une affaire conclue. Il faut encore qu’il passe les trois lectures à la Knesset. Et il est fort probable que la version actuelle changera énormément avant qu’il ne devienne une loi.
Et pourtant, le gouvernement doit déjà faire face à de nombreuses critiques tant au niveau international que national.
En Israël, on retrouve parmi les critiques le procureur général Yehuda Weinstein, le président Reuven Rivlin, la ministre de la Culture Limor Livnat, l’ancien ministre de la Défense Dan Meridor (Ces quatre derniers sont des vétérans du Likud). Mais les partis de l’opposition juif et arabe, quelques membres de la coalition, et beaucoup d’autres Israéliens, dont de nombreux conservateurs s’opposent aussi à cette loi.
Comme si Israël n’avait pas été suffisamment sous le feu des critiques cette année, le projet de loi – qui, dans sa version actuelle, stipule que le droit à l’autodétermination nationale « est unique au peuple juif » – a été dénoncé par les fonctionnaires européen et américain et a fait l’objet des Unes des médias internationaux – même s’il est intéressant de souligner que les critiques sont peu vives pour le moment.
Le porte-parole du Département d’Etat américain Jeff Rathke a déclaré lundi que Washington attend d’Israël qu’il « continue à respecter ses principes démocratiques ». La politique américaine, note-t-il, considère « qu’Israël est un Etat juif et démocratique dans lequel tous les citoyens doivent jouir des mêmes droits ».
Même si la formulation est assouplie, le projet de loi « devrait être rejeté » pour le New York Times qui insiste sur ce point dans son éditorial intitulé « Israël restreint sa démocratie » publié mardi. Il est « navrant » que le cabinet israélien ait approuvé en principe la législation dimanche, déplore le journal. « Au mieux, la loi n’aura aucun effet en pratique ; au pire, il pourrait sérieusement contrarier la minorité arabe déjà en colère et éroder la position d’Israël parmi les nations démocratiques ».
The Gray Lady [la dame grise, surnom donné au New York Times] n’est pas connu pour ses positions favorables envers le gouvernement israélien actuel, mais des journaux qui sont favorables à Israël se sont offusqués. Le Times of London, par exemple, titrait son article sur la question avec un « Israël fera des Arabes des citoyens de deuxième classe ».
Citant ce titre dans un discours passionné à la Knesset mercredi après-midi, le chef de l’opposition Isaac Herzog du parti travailliste a accusé Netanyahu de créer une vague « sans précédent » de critiques anti-Israël.
Les diplomates européens ont aussi ajouté leur grain de sel. « Nous avons pris note de cette législation en suspens », souligne une source haut placée de l’Union européenne au Times of Israel mercredi. « Nous avons confiance et nous espérons que quelle que soit la version du projet qui sera adoptée, elle reconnaitra entièrement et respectera l’engagement d’Israël envers les principes démocratiques de base ».
L’ambassadeur néerlandais en Israël, Caspar Veldkamp, précise que le débat entourant le projet de loi israélien sur la nationalité est suivi de près partout dans le monde occidental. « Nous nous attendons à ce qu’Israël continue à être à la hauteur de ses idées et de ses pratiques démocratiques », a-t-il déclaré au Times d’Israël.
Netanyahu est conscient de l’attention internationale, mais ne se laissera pas dissuadé pour autant, comme il l’a clairement précisé dans son discours à la Knesset. « Il suit de près l’opinion internationale », a déclaré une source proche. « Sur cette question, il pense qu’il y a beaucoup de désinformation en Occident ».
Le Premier ministre a lu l’éditorial du New York Times mardi matin avant de rencontrer son homologue tchèque, Bohuslav Sobotka, et a délibérément cherché à répondre à certaines des idées fausses soulevées par l’article, selon la même source.
« Israël est un Etat démocratique, comme il l’a été, comme il le sera toujours », a déclaré Netanyahu lors d’une conférence de presse avec le Premier ministre tchèque, Bohulsav Sobotka à Jérusalem.
« Je ne connais aucun pays dans le monde qui n’est plus démocratique, ou de démocratie plus dynamique d’Israël, et certainement pas dans la région. Ce qui est contesté aujourd’hui est l’existence d’Israël en tant qu’Etat-Nation du peuple juif, et de ce fait, nous ancrerons juridiquement ce droit du peuple juif aux côtés de la protection des droits individuels de tous les citoyens d’Israël ».
Pendant la session orageuse de la Knesset mercredi, Netanyahu a de nouveau défendu son projet, citant, entre autres, la Déclaration Balfour de 1917 et sa volonté déclarée d’empêcher la formation d’un Etat binational en créant deux Etats nationaux distincts – un pour les Palestiniens et un autre pour les Juifs.
Mais l’absence de pourparlers de paix avec les Palestiniens, admettent les sources israéliennes, exacerbe les critiques au sujet du projet de loi – qui selon le président de l’Autorité palestinienne Mahmoud Abbas mine encore davantage les perspectives de progrès.
Il est peu probable que ce genre de déclarations atténue les critiques internationales si le projet de loi progresse à la Knesset.
Netanyahu semble prêt à tenir tête à l’opposition de l’étranger – et à celle de sa coalition ; Yesh Atid et Hatnua ont clairement affirmé leurs désaccords sur ce projet. Il est même prêt à prendre le risque d’organiser de nouvelles élections à cause de ce projet de loi si sa coalition venait à s’effondrer. Mais ce projet est-il vraiment si important pour lui pour qu’il soit prêt à mettre la réputation d’Israël en tant que démocratie en danger ?
« Je suis convaincu qu’il se soucie de la perception qu’a la population au sujet d’Israël », soutient Yoaz Hendel, qui a dirigé la Direction de la diplomatie publique au bureau du Premier ministre entre 2011 et 2012.
Netanyahu ne veut pas nuire à la réputation d’Israël, relève Hendel, mais le débat actuel sur les différentes versions du projet de loi doit être considéré à la lumière du contexte de la politique électorale, en prenant en compte les spéculations actuelles qui circulent sur le fait que Netanyahu pourrait choisir ou être contraint d’organiser des élections en 2015.
Hendel pense que la loi va passer, sous une forme ou sous une autre : tôt ou tard, les partisans et les adversaires de la législation – en chef de file la ministre de la Justice Tzipi Livni et le ministre des Finances Yair Lapid – se mettront d’accord sur un compromis, qui sera beaucoup moins drastique que le projet actuel, soutient Hendel.
Netanyahu, qui a promis que la loi serait adoptée à n’importe quel prix, finira par « redescendre de son nuage » et fera des compromis sur les termes spécifiques controversés, prédit-il.
« Dès qu’un compromis sera trouvé et que Netanyahu et Livni se mettront d’accord sur une version qui permettra de préserver la démocratie d’Israël, il sera plus facile de limiter les dégâts », explique Hendel, qui dirige aujourd’hui l’Institut de stratégie sioniste. Mais le tollé international et l’amertume des observateurs internationaux persisteront pendant un certain temps. Le mal est fait, » ajoute-t-il.
De nombreuses ambassades occidentales en Israël ont reçu beaucoup de demandes d’explications de leurs pays pour comprendre cette mesure ostensiblement discriminatoire.
Le monde se demande pourquoi un tel projet de loi est nécessaire, pourquoi il est proposé à un moment aussi instable, et quelles conséquences il pourrait avoir sur l’avenir du processus de paix israélo-palestinien, a déclaré un diplomate de haut rang occidental en poste à Tel Aviv au Times of Israel mercredi. « Ce projet de loi a été très rapidement lié à la question de la solution à deux Etats ou à un Etat binational ».
Les diplomates du ministère des Affaires étrangères à Jérusalem, chargés d’expliquer les politiques israéliennes et de protéger la réputation d’Israël à l’étranger, expliquent que leur tâche n’a pas été facilitée par la controverse entourant la loi sur « l’État juif ». Pourtant, affirment-ils, c’est un débat légitime, et il serait prématuré de condamner Israël sur un projet de loi dont l’avenir est incertain et dont le texte est encore en discussion.
En attendant, la réponse officielle du ministère aux questions concernant le projet de loi est d’affirmer qu’ « Israël et le monde occidental partagent des valeurs communes et nous n’avons pas la moindre intention de renoncer ou d’abandonner ces valeurs ».
La nature du texte final déterminera la mesure dans laquelle la communauté internationale acceptera cet argument. Quelle que soit la version finale du projet, si la Knesset vote ce projet et lui donne la force de loi, Israël fera l’objet des titres et des éditoriaux et dans certains milieux sera encore plus critiqué qu’il ne l’a été cette dernière semaine.