Les difficultés économiques feront-elles éclater la bulle des Juifs de Russie ?
La situation financière pourrait l’emporter sur l’antisémitisme pour motiver les Juifs de Russie à faire leur alyah ?

ST. PETERSBOURG, Russie (JTA) – Dans le sous-sol de l’une des plus grandes synagogues d’Europe, 100 Juifs attendent de rencontrer la star de cinéma locale Boris Smolkin.
La foule applaudit avec enthousiasme tandis que le comique de 66 ans, qui a prêté sa voix à Maître Yoda dans la version russe de la trilogie de la Guerre des étoiles, mâchouille une cigarette électronique au cours d’une interview sur ce que représentait le fait de grandir en tant que juif et de rechercher la célébrité dans la Leningrad communiste, nom de cette ville à l’époque soviétique.
“Pour faire carrière, faire état de sa judéité n’était pas une très bonne stratégie à l’époque », a affirmé Smolkin dans une intervention le 30 novembre à la Choral Synagogue, éveillant les gloussements des Juifs qui se souviennent de l’antisémitisme virulent des gouvernements soviétiques.
« Cela n’a aucune commune mesure avec la liberté qu’ont les Juifs aujourd’hui de pratiquer leur foi et leur tradition en Russie, comme le prouve notre rassemblement en ce moment même », a ajouté Smolkin.
Malgré les craintes d’un gouvernement de plus en plus intolérant envers les dissidents et partisans d’une législation liberticide, la vie culturelle juive est en pleine floraison dans la Russie de Vladimir Poutine.
L’évaporation de l’antisémitisme institutionnalisé a déclenché un important renouveau juif. Des dizaines d’événements juifs ont lieu chaque mois à Moscou et Saint-Pétersbourg, à des lieues de la renaissance juive plus religieuse promue ailleurs par les émissaires du mouvement Loubavitch.
Au restaurant de la Choral Synagogue, des Juifs en tenue décontractée dans leur trentaine, certains avec des guitares à la main, se retrouvent avant de se rendre dans un pub ou chez l’un d’eux. À une table, quelques jeunes grignotent des légumes, assis en demi-cercle autour d’un ordinateur portable diffusant une conférence TED sur la robotique des drones.
« C’est une communauté discrète et intellectuelle qui suit un paradigme nordiste », explique Roman Kogan, directeur exécutif de Limmud FSU, qui organise des conférences éducatives juives pour les russophones. « Le clinquant et le matérialisme associés avec Moscou sont moins prégnants ici. »
Dans les deux villes, la vie culturelle juive a dépassé de loin la formule basique des conférences et activités communautaires qui aident les Juifs de l’ex-Union soviétique à sortir de l’ombre.
En plus de la célèbre conférence de Limmud à Moscou, qui cette année a attiré un record de 1 200 participants, cette année, la capitale a couronné la première Miss Jewish Star lors d’un concours de beauté en Russie, qui s’est tenu à l’hôtel cinq étoiles Metropol devant une foule de 400 spectateurs.
Et en juin, des dizaines de célébrités et oligarques juifs se sont réunis à Moscou dans un studio pour enregistrer une reprise de trois heures de temps du « Hallelujah » de Leonard Cohen, dans une tentative de briser le record mondial du plus long remake jamais produit.
Les Juifs de Russie semblent peu affectés par ce que Human Rights Watch a appelé cette année « la répression contre les critiques de la société civile et du gouvernement ».
L’organisme russe de surveillance de l’extrémisme SOVA a pointé du doigt la politique du gouvernement et « une hausse manifeste de la violence ethnique » en 2013, lorsque 21 personnes sont mortes et 178 personnes ont été blessées suite à de la violence raciste, en grande partie dirigée contre les musulmans et les immigrés en provenance d’Asie centrale.
« Le changement dans les politiques gouvernementales a incité l’ultra-droite à utiliser des tactiques plus agressives contre les migrants, » écrit SOVA.
Le problème a empiré après que Moscou a annexé la Crimée de l’Ukraine en mars, déclenchant une flambée de nationalisme et des sanctions occidentales. Associé à la chute des prix du pétrole, cet événement a eu un impact dramatique sur l’économie russe, faisant perdre au rouble 45 % de sa valeur par rapport au dollar.
S’ils s’inquiètent de la situation économique, de nombreux membres de l’élite juive de Russie et la masse de la communauté se sentent largement épargnés de la montée de la xénophobie, une situation que beaucoup attribuent à la forte position du gouvernement contre l’antisémitisme. Poutine a invoqué à plusieurs reprises la nécessité de lutter contre l’antisémitisme ukrainien pour justifier l’intervention russe là-bas.
« Si l’on entend beaucoup parler de la xénophobie, que l’on peut voir même dans la rue, nous-mêmes ne la sentons pas, » confie Raya Gutin, une ophtalmologue juive qui a assisté au spectacle de Smolkin. « Je suis le seul médecin juif de mon département et, pour la première fois depuis longtemps, je ne suis pas le moins du monde soucieuse de ma judéité. »
Les Juifs russes voient l’aggravation de la situation économique comme une plus grande menace pour leur existence. Les responsables de l’alyah de la région parlent d’un effet cumulatif, dans lequel la crise économique se combine avec l’inquiétude croissante sur la politique du Kremlin, et fait pencher la balance en faveur de l’émigration.
« Si la crise financière se poursuit, même pendant quelques mois, je pourrais partir pour Israël, indépendamment de la politique, simplement pour gagner ma vie », déclare Ilya Agron, un ingénieur et homme d’affaires de Moscou.
Howard Flower, directeur de l’alyah de l’Ambassade chrétienne internationale de Jérusalem basée à St. Pétersbourg, la crise économique qui a touché le pays n’a pas encore touché le fond.
« Une fois que cela coulera », déclare Fowler, « je pense que nous verrons bientôt une augmentation importante de l’alyah. »
Même Smolkin, qui en 1999 a reçu la plus haute distinction de l’Etat russe d’excellence artistique, semble garder un œil sur la porte de sortie.
“Dites-moi », plaisante-t-il, « vous savez s’il y a pour moi des contrats intéressants à l’étranger ? »
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