Les écoles des déserteurs ultra-orthodoxes bientôt sanctionnées ?
Un nouveau projet de loi établit des objectifs annuels pour le recrutement militaire des ultra-orthodoxes qui, s'ils ne sont pas respectés, résulteraient en des coupes budgétaires
Raoul Wootliff est le correspondant parlementaire du Times of Israël
Alors que la date-butoir législative imposée par les partis ultra-orthodoxes se rapproche rapidement, le ministère de la Défense a publié dans la nuit de lundi ses recommandations pour trouver un « arrangement durable, réaliste et pertinent » dans le cadre d’un projet de loi visant à formaliser une conscription limitée des ultra-orthodoxes.
La question du recrutement des ultra-orthodoxes au sein de l’armée est controversée depuis longtemps au sein de l’Etat juif – elle tourne autour d’un débat datant de plusieurs décennies sur la question de savoir si les jeunes hommes ultra-orthodoxes qui étudient dans les yeshivot, ou les séminaires d’étude de la Torah, devraient être appelés au service militaire obligatoire, comme le reste de la population juive.
Cette nouvelle proposition établit des objectifs minimaux à atteindre en termes d’enrôlement militaire pour les Juifs ultra orthodoxes. S’ils ne sont pas réalisés, des sanctions financières seraient alors imposées aux séminaires où sont inscrits les étudiants.
« Le nombre de recrues issues de la communauté ultra-orthodoxe a été multiplié par 10 au cours de la dernière décennie. Nous devons continuer ces efforts pour augmenter progressivement ce taux d’enrôlement au sein de l’armée et dans le service national », a dit le ministère de la Défense dans un communiqué.
« L’armée israélienne a besoin de recrues ultra-orthodoxes et de la capacité à les intégrer de la meilleure façon possible et d’une manière qui puisse contribuer à leur emploi continu sur le marché du travail », a-t-il précisé.
La proposition recommande spécifiquement « d’établir de nouveaux objectifs pour l’armée israélienne et le service national, avec une hausse annuelle du nombre de ceux qui effectuent leur service, avec également des sanctions financières significatives pour les déserteurs et une hausse des allocations et de la rémunération pour ceux qui sont dans l’armée ».
S’il est adopté, l’objectif, pour 2018, se situerait juste en-dessous de 4 000 recrues. Ce nombre augmenterait de 8 % par an pendant trois ans, de 6,5 % pour les trois années qui suivraient et de 5 % pour les quatre années d’après.
Si ces objectifs ne devaient pas être réalisés à hauteur de 95 % au moins, les sanctions sous la forme de réduction des fonds de l’Etat alloués aux yeshivot ultra-orthodoxes seraient mises en place et augmenteraient chaque année où les buts n’ont pas été atteints.
« Le principe de la conscription universelle est une valeur déterminante et il est nécessaire pour préserver l’armée israélienne en tant qu’armée nationale de l’Etat », ont expliqué les recommandations.
Mais la communauté ultra-orthodoxe profiterait encore d’exemptions variées de la loi sur le service militaire, ses recrues n’ayant l’obligation de rejoindre l’armée qu’à l’âge de 24 ans et non de 18 ans, comme les autres conscrits.
Les recommandations créent également un vide juridique possible qui pourrait augmenter le nombre des recrues en permettant à ceux qui ont quitté la communauté orthodoxe avant l’âge de 18 ans d’être inclus dans les objectifs.
Ces recommandations surviennent en amont d’une date-butoir fixée par la Haute cour de justice, au mois de septembre, pour que la Knesset légifère à nouveau sur une exemption antérieure que les magistrats avaient disqualifiée.
En septembre 2017, la Haute Cour de justice avait invalidé la loi exemptant le service militaire des hommes ultra-orthodoxes qui effectuaient des études religieuses, affirmant que cela portait atteinte au principe d’égalité devant la loi. Cependant, le tribunal avait suspendu sa décision pendant un an pour permettre la mise en place d’un nouvel arrangement, donnant au gouvernement la possibilité d’adopter une nouvelle loi.
Donnant à ses partenaires de coalition un ultimatum, le chef du parti YaHadout HaTorah ultra-orthodoxe, Yaakov Litzman, avait annoncé la semaine dernière que si la proposition n’était pas devenue une loi le 22 juin, lorsque commenceront les congés d’été de la Knesset, le parti quitterait le gouvernement, mettant probablement un terme définitif à ce dernier.
Le ministère de la Défense a indiqué qu’il espérait créer un « arrangement durable, réaliste et pertinent qui répondra aux besoins de l’armée en tant qu’armée égalitaire et nationale, qu’il résistera au jugement d’annulation de la Cour suprême [de la législation antérieure] et qu’il recevra la vaste approbation nécessaire pour devenir une loi ».
Netanyahu a déclaré dimanche aux législateurs du Likud que le processus législatif portant sur le texte commencerait dès réception des recommandations du ministère de la Défense afin de terminer le travail avant la date-butoir du 22 juin.
Des sources de la coalition ont déclaré au Times of Israel que le texte serait probablement présenté cette semaine au procureur-général puis, dimanche prochain, à la commission des lois qui, ils l’espèrent, donnera l’autorisation d’un processus législatif accéléré à travers la Knesset.
Après qu’un ultimatum similaire a été donné par le parti YaHadout HaTorah de Litzman au cours de la session d’hiver, les partenaires de la coalition avaient trouvé un accord de dernière minute pour coopérer sur cette question controversée et trouver un arrangement avant la date-limite fixée. Mais un compromis avait été impossible, le ministre de la Défense Avigdor Liberman ayant alors promis que son parti laïc, Yisrael Beytenu, ne s’inclinerait pas devant les demandes de ses partenaires ultra-orthodoxes.
Les partis ultra-orthodoxes ont déposé deux projets de loi parallèles sur le service militaire obligatoire.
Le premier, qui serait une loi fondamentale quasi-constitutionnelle, inscrirait les études à long-terme de la Torah comme l’une des formes reconnues de service officiel à l’Etat, en place et lieu du service militaire obligatoire. Le second texte obligerait le ministère de la Défense à offrir des reports aux étudiants des yeshivot et se réfère de manière répétée à la proposition de loi fondamentale, en défendant les arrangements pré-définis. Les partis ultra-orthodoxes ont été longtemps opposés par principe au soutien des lois fondamentales.
Selon l’accord souscrit au mois de mars, les projets de loi des ultra-orthodoxes sur le service militaire avaient été mis en suspens jusqu’à ce que le ministère de la Défense ait présenté ses propres recommandations d’amendements, qui devraient alors être présentés à un vote à la Knesset.
Ces derniers mois, il y a eu des manifestations sporadiques organisées par ce qu’on appelle la Faction de Jérusalem, qui refuse toute connexion avec les militaires.
Même si les ultra-orthodoxes sont habituellement exemptés de l’armée, ils doivent se rendre dans un bureau de recrutement afin de signer un ajournement de service. Les chefs rabbiniques de la faction de Jérusalem ont indiqué à leurs étudiants de ne pas le faire. Les manifestations, qui se concentrent habituellement sur Jérusalem, Bnei Brak et Beit Shemesh, ont mené à des affrontements violents avec la police.
Les étudiants des séminaires ultra-orthodoxes ont été largement exemptés du service militaire israéliens depuis qu’en 1949, le ministre de la Défense de l’époque, David Ben-Gurion , a permis à 400 étudiants de s’y soustraire dans la mesure où « leurs études sont leur métier. »
Au cours des années, la Haute-cour de justice a rejeté un certain nombre de changements dans les lois concernant les exemptions de service militaire pour les ultra-orthodoxes, considérant qu’ils contrevenaient au principe d’égalité.