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Les fantômes du génocide hantent toujours le Rwanda

Le génocide rwandais contre la minorité tutsi organisé par les Hutus a débuté le 7 avril 1994 et a fait 800 000 morts

Le président rwandais Paul Kagame allume la Flamme du Souvenir au Mémorial du Génocide de Gisozi à Kigali le 7 avril 2015,  la première journée de deuil marquant les 21 ans du génocide de 1994 qui a coûté la vie à 800 000 personnes en plus de 100 jours.  (Crédit : Stéphanie Aglietti/AFP)
Le président rwandais Paul Kagame allume la Flamme du Souvenir au Mémorial du Génocide de Gisozi à Kigali le 7 avril 2015, la première journée de deuil marquant les 21 ans du génocide de 1994 qui a coûté la vie à 800 000 personnes en plus de 100 jours. (Crédit : Stéphanie Aglietti/AFP)

« J’ai l’impression d’avoir vécu le génocide ». Sarah Uwumugishan, 19 ans, est née après les massacres de 1994. Pourtant, chaque année, à l’approche des commémorations du génocide qui fit 800 000 morts au Rwanda, elle se cloître, en proie à d’insondables tourments.

Chaque année, les professionnels de la santé mentale reçoivent des centaines de Rwandais, trop jeunes pour avoir assisté aux meurtres des Tutsi et de Hutu modérés, mais qui présentent les mêmes symptômes de stress post-traumatique que les rescapés: angoisses ou visions obsédantes de scènes qui se sont pourtant déroulées avant leur naissance.

Le mal-être de Sarah a commencé alors qu’elle avait six ans, lorsque sa mère Alice Mukarurinda lui a raconté son histoire.

Le 7 avril 1994, au premier jour des massacres, dirigés essentiellement contre la minorité tutsi, Alice Mukarurinda, la fille qu’elle vient alors de mettre au monde et son mari, se réfugient dans l’église de Nyamata, pensant pouvoir échapper aux miliciens hutu Interahamwe.

Ils parviennent à s’échapper mais 36 membres de leur famille sont massacrés à la machette et par balles. Ils se cachent dans les marais pendant plusieurs jours, mais les tueurs finissent par les retrouver.

« Il ont frappé, m’ont coupé la main et ont tué ma fille qui était sur mon dos », raconte Alice Mukarurinda, dont la joue gauche porte une large cicatrice et qui caresse de sa main valide son bras droit terminé par un moignon. Laissée pour morte, elle parvient à en réchapper avec son mari.

Ce terrifiant récit, les trois frères et la sœur – tous plus jeunes – de Sarah l’ont aussi entendu. Mais elle seule a développé de telles crises d’angoisse. « Mon école primaire était située à côté d’une prison », où étaient enfermés de nombreux bourreaux du génocide. « Ca me faisait peur, je pensais que si les prisonniers me voyaient ils allaient me tuer », se souvient la jeune fille.

« J’ai toujours peur même si ça va mieux », explique la lycéenne aux cheveux courts. « J’y pense tous les jours, mais c’est pire pendant les commémorations, (…) je ne peux pas rester seule et lorsque je regarde ma maman, ça me replonge là-dedans », raconte-t-elle en baissant la tête.

Sarah n’a jamais été suivie par un psychologue. Mais, selon les spécialistes de la santé mentale, elle pourrait faire partie de ces enfants victimes de stress post-traumatique dit « transgénérationnel ». Un phénomène qui a notamment été constaté chez des enfants de Juifs rescapés de la Shoah.

‘Epidémie de crises’

« Ce que nous avons remarqué, c’est que dans les familles, ceux qui encadrent les enfants leur transmettent inconsciemment ce qu’ils ont vécu », explique Françoise Murekatete, coordinatrice du programme de santé mentale à Avega, l’association qui vient en aide aux veuves du génocide.

« C’est un phénomène auquel on s’attendait. (…) Tout ce qui ne se dit pas, se transmet », renchérit le docteur Naasson Munyandamutsa, psychiatre rwandais.

Ce phénomène est particulièrement visible durant la période des commémorations, qui commence chaque année le 7 avril. Durant cette période de deuil national, les souffrances des rescapés s’expriment de façon souvent impressionnante et parfois collective: sidération, exaltation, larmes, syncopes, épilepsie…

Il n’est pas rare, pour les professionnels de la santé mentale, de prendre en charge des jeunes nés après 1994 mais manifestant les mêmes symptômes que les survivants.

Comme dans le cas de Sarah, ce sont les récits familiaux, les débats éducatifs dans les villages ou les films diffusés à la télévision qui déclenchent les crises. Un phénomène de « compassion » ou d’empathie à l’égard de leurs aînés de la part de ces jeunes dont la personnalité est en train de se forger, avancent les spécialistes.

« Cela peut même entraîner une sorte de contagion au niveau du subconscient collectif », explique le docteur Rutakayile Bizoza, médecin psychiatre à l’hôpital neuropsychiatrique Ndera à Kigali, décrivant des « sortes d’épidémies de crises » dans les écoles lors de projections de films sur le génocide.

Des crises qui peuvent toucher ceux dont les parents ont participé aux massacres, mais aussi des enfants dont les familles ont été totalement épargnées par les tueries.

S’il était prévisible, ce phénomène reste nouveau et incompréhensible pour de nombreux Rwandais.

Le plus souvent, explique Françoise Murekatete, les gens compatissent aux crises des rescapés, mais « ne comprennent pas ces comportements » chez les plus jeunes.

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