Les Juifs, une minorité ethnique ? Un débat à la BBC fait polémique
Une émission avec quatre panélistes non-juifs discutant du statut de minorité a ébranlé la communauté britannique ; l'invité juif de l'émission l'a jugée "franchement ridicule"

JTA — La BBC est depuis des années accusée de couvrir tout ce qui a un lien de près ou de loin avec Israël, de façon biaisée. Mais le radiodiffuseur public s’est attiré les foudres des Juifs britanniques pour une autre couverture médiatique plus locale.
Quelle est la cause de la plus grande controverse qu’ils aient eue depuis des années ?
Il s’agit de la diffusion d’un débat sur la question de savoir si les Juifs doivent être considérés comme une minorité ethnique – une table ronde à laquelle ont participé quatre panélistes non juifs et un commentateur juif à titre d’invité.
La discussion de lundi a touché un point sensible dans la communauté organisée, où de nombreux Juifs se sentent marginalisés par un traitement médiatique supposé hostile et par la montée de l’antisémitisme, tant de l’extrême-droite que du cœur du parti travailliste de gauche.
La diffusion a été motivée par les propos tenus le mois dernier par la législatrice travailliste Angela Rayner, qui a félicité un élu écossais d’origine pakistanaise en le qualifiant de « tout premier chef de minorité ethnique d’un parti politique au Royaume-Uni ».
Certains juifs ont protesté sur les réseaux sociaux, faisant remarquer que des Juifs avaient dirigé des partis, du Premier ministre conservateur Benjamin Disraeli au 19e siècle à l’ancien leader travailliste Ed Miliband à partir de 2010.
Désigner ou non les Juifs comme membres d’un groupe ethnique – un débat entre les Juifs eux-mêmes – a des implications politiques et culturelles. De nombreux Juifs et d’autres considèrent les Juifs comme une entité ethnique cimentée par la culture, la tradition et la génétique. L’ancien grand rabbin de Grande-Bretagne, Lord Jonathan Sacks, avait, en revanche, fait valoir que la judaïcité n’est pas une ethnicité mais un « bricolage de multiples ethnies ».
D’autres, y compris de nombreux anti-sionistes, refusent de reconnaître la dimension de peuple du judaïsme dans son ensemble, en disant que les Juifs devraient être considérés strictement comme membres d’une religion. La définition du terme « ethnique » a des implications au regard des lois de prévention de la discrimination, ainsi qu’au regard de l’opinion publique.
La controverse de la BBC fait écho à un débat aux États-Unis sur la question de savoir si la plupart des Juifs doivent être considérés comme blancs et donc privilégiés, comme membres d’une minorité vulnérable et protégée, les deux ou aucun.
Lundi, la plus grande organisation d’information du Royaume-Uni a cherché à aborder certaines de ces questions au cours de l’émission de télévision « Politics Live ! ». Cependant, au lieu de résoudre le débat, le discours a encore plus irrité les dirigeants et les membres de la communauté juive, dans un contexte de montée de l’antisémitisme.
« Imaginez que je sois Noir et que l’on demande à quatre Blancs de juger si je suis membre d’une minorité ethnique. Ce serait aussi offensant », a tweeté Benjamin Cohen, l’invité juif. Cohen est le PDG d’un journal en ligne pour la communauté LGBT, âgé de 38 ans.
L’animatrice de l’émission, Jo Coburn, qui est juive, a demandé aux quatre panélistes non-juifs – deux parlementaires, un responsable d’un groupe de réflexion et un chroniqueur – si les Juifs constituaient effectivement une minorité ethnique. Les législateurs ne se sont pas prononcés et l’un d’eux, Stewart Wood, du Labour, a déclaré que certains de ses amis juifs n’étaient eux-mêmes pas sûrs de la réponse. Cohen et le groupe de réflexion ont déclaré que les Juifs formaient effectivement leur propre minorité ethnique.
Coburn a suggéré que les propos de Rayner pourraient refléter le fait que de nombreux juifs en Grande-Bretagne ont réussi à atteindre de hautes fonctions politiques et donc « n’ont pas besoin d’être considérés comme un groupe ayant besoin de reconnaissance au même titre que les autres ».
Cela a fait frissonner Cohen.
« Nous faisons face à l’antisémitisme et au racisme de manière très claire », a déclaré Cohen à Coburn. « Nous avons assisté à des années de racisme et d’antisémitisme au sein du parti travailliste, cela suggère donc que les Juifs ne sont pas confrontés au racisme et que nous avons atteint un niveau si élevé que nous ne sommes pas une minorité ethnique. C’est franchement ridicule. Franchement, l’idée de ce débat est ridicule ».

Ce n’est pas la première fois au Royaume-Uni que le fait de déterminer si les Juifs sont ou ne sont pas une minorité ethnique et s’ils bénéficient du soi-disant privilège blanc fait débat.
Un débat similaire a eu lieu en 2018 après qu’un homme politique d’origine pakistanaise a été à nouveau salué comme le premier membre d’une minorité ethnique à être nommé ministre de l’Intérieur – une fonction auparavant occupée par deux Juifs.
« Ce qui rend les choses compliquées, c’est que nous sommes considérés principalement comme une religion plutôt que comme une race ou une ethnicité », avait écrit Abi Symons dans un article d’opinion paru dans The Jewish Chronicle à l’époque. « Mais il y a aussi la perception de notre privilège. »
Les Juifs, écrivait-elle, « passent pour blancs si c’est la couleur de votre peau et donc, à la première impression physique, portent les privilèges associés à l’apparence de faire partie de la puissante majorité ».
Les observateurs juifs ont été amenés à se méfier de Rayner, un partisan de l’ancien leader travailliste Jeremy Corbyn, qui a soutenu un boycott d’Israël et ses détracteurs estiment qu’il a permis à l’antisémitisme de prospérer dans les rangs du parti travailliste. Rayner a également fait l’éloge du livre controversé de Norman Finkelstein, L’industrie de l’Holocauste, qui accusait les Juifs d’exploiter le génocide à des fins personnelles et politiques. Rayner l’a qualifié de « séminal ».

Le Board of Deputies of British Jews a déclaré lundi qu’il était « déçu par le manque de sensibilité dont fait preuve la BBC ».
Le groupe de coordination a ajouté que « les Juifs, qu’ils soient religieux ou non, sont victimes d’antisémitisme au quotidien – et ont été victimes de meurtres de masse, de mémoire d’homme, sur la base de leur appartenance ethnique. Notre communauté devrait s’attendre à de la solidarité et du soutien, et non à des questions sur le fait de savoir si nous en méritons ».
Plus de 1 000 personnes ont signé une pétition intitulée « BBC : Excusez-vous maintenant d’avoir suggéré que les Juifs pourraient ne pas ‘compter’ comme une minorité ethnique ».
La BBC a surenchéri : « selon le gouvernement – pas Politics Live! – les Juifs ne sont pas un groupe ethnique au Royaume-Uni. Donc, si vous pensez qu’ils devraient l’être, dites-le au gouvernement car c’est sa politique », a tweeté Rob Burley, rédacteur en chef des programmes politiques en direct de la BBC, en réponse aux critiques.
Burley a cité un document du gouvernement qui énumère, à des fins de recensement, plusieurs groupes ethniques, mais pas les Juifs. Cependant, le document ne dit pas que les Juifs ne sont pas une minorité ethnique. Il présente également cinq catégories classées comme « autres » et un avertissement disant que la liste ne représente pas « la façon dont tous les gens s’identifient », encourageant les résidents à inscrire leur propre ethnicité sur les documents officiels du gouvernement.
Le ministère de l’Intérieur du Royaume-Uni n’a pas répondu à temps pour cet article à une question sur le fait de savoir si les Juifs constituent un groupe ethnique.
L’émission de la BBC, a écrit Stephen Pollard, rédacteur en chef du Jewish Chronicle, « a provoqué une véritable colère auprès des Juifs de tous bords », et la réaction inflexible de la firme à la critique n’a fait qu’aggraver la situation.
Certains ont écrit sur la façon dont le programme « reflète la fausse notion que les Juifs sont « blancs » et ne peuvent donc pas être une véritable minorité ethnique – et que l’antisémitisme n’est donc pas un véritable racisme », a déclaré Pollard. « Je suis sûr que c’est vrai. Mais il y a autre chose à l’œuvre ici – une ignorance arrogante qui ne connaît aucune contradiction et refuse de se plier ».