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Les mots “camps de la mort polonais” diffament-ils la Pologne ? Et si oui, qui blâmer ?

Alors que la Pologne prépare un projet de loi rendant diffamatoire d’appeler “polonais” les camps de la mort nazis, un regard sur le terme qui date de la guerre froide, et la résistance impressionnante de la controverse

L'entrée de la "tour de la mort" SS de l'ancien camp de la mort Auschwitz-Birkenau en Pologne, sous laquelle les trains de déportés juifs passaient en 1944, quand un embranchement a été ajouté à la voie existante. Cette photo de novembre 2015 a été prise depuis l'extérieur de l'entrée du camp. (Crédit : Matt Lebovic/The Times of Israel)
L'entrée de la "tour de la mort" SS de l'ancien camp de la mort Auschwitz-Birkenau en Pologne, sous laquelle les trains de déportés juifs passaient en 1944, quand un embranchement a été ajouté à la voie existante. Cette photo de novembre 2015 a été prise depuis l'extérieur de l'entrée du camp. (Crédit : Matt Lebovic/The Times of Israel)

Même avant que les bottes des premiers nazis ne traversent la frontière de la Pologne en 1939, des accusations de « collaboration polonaise » avec le troisième Reich ont circulé.

La vieille controverse s’est réchauffée ces dernières semaines, alors que le gouvernement polonais prépare un projet de loi pour punir quiconque caractérise les camps de concentration et d’extermination de la période nazie de « polonais ». La loi ciblera les délinquants – majoritairement dans les médias étrangers – qui affirment que la Pologne « a pris part, organisé, ou était co-responsable » des crimes nazis en Pologne occupée. Ces crimes incluent le meurtre de six millions de citoyens polonais, dont la moitié étaient juifs, entre 1939 et 1945.

Dans le cadre de la proposition de loi, l’Etat pourra demander des compensations et imposer jusqu’à cinq ans de prison pour ceux qui se seraient rendus coupables de diffamation contre la Pologne – particulièrement en utilisant le terme « camps de la mort polonais ».

Le parti au pouvoir du pays, Loi et Justice, a lancé le projet de loi en 2013, mais il avait été rejeté en première lecture. Quand le parti a obtenu le pouvoir l’année dernière, il a été remis sur le tapis.

Selon le ministre polonais de la Justice, Zbigniew Tadeusz Ziobro, son pays a été la victime d’une campagne longue de plusieurs décennies de diffamation, au cours de laquelle la responsabilité du génocide nazi des juifs européens et d’autres crimes ont été attribués à tort à la nation polonaise.

‘Assez avec ce mensonge. Il doit y avoir des responsabilités’

« Ce sera un projet qui répond aux attentes des Polonais, qui sont blasphémés dans le monde, en Europe, même en Allemagne, qu’ils sont les auteurs de l’Holocauste, qu’en Pologne il y avait des camps de concentration polonais, des chambres à gaz polonaises, » a déclaré Ziobro pendant un entretien avec la radio polonaise RMF à propos du projet de loi.

« Assez avec ce mensonge. Il doit y avoir des responsabilités, » a déclaré Ziobro.

De Jérusalem à Varsovie, il y a un accord quasi-unanime sur le fait que les camps nazis construits en Pologne occupée ne devraient pas être appelés « polonais ».

En 2005, le ministre des Affaires étrangères de la Pologne, Adam Daniel Rotfeld, a considéré que l’emploi des termes « camps de la mort polonais » était malveillant, avec pour objectif de « déformer l’Histoire et de dissimuler la vérité » avait dit le ministre.

Ruines d'une installation de chambre à gaz et crématorium à Auschwitz-Birkenau, connue sous le nom de Krematorium II, en novembre 2015. (Crédit : Matt Lebovic/The Times of Israel)
Ruines d’une installation de chambre à gaz et crématorium à Auschwitz-Birkenau, connue sous le nom de Krematorium II, en novembre 2015. (Crédit : Matt Lebovic/The Times of Israel)

En 2008, un appel avait été diffusé par l’institut du souvenir national de Pologne pour ajouter le mot « allemand » avant le mot « nazi » sur tous les monuments et les plaques commémorant les morts à la guerre de Pologne, et d’enquêter plus profondément sur les atrocités commises par l’Union soviétique pendant la guerre.

Depuis la tentative de réparation, une série de pétitions, de procès et de demandes d’excuses a été émise par le gouvernement polonais et les organisations de la diaspora polonaise. Une mésaventure à haut niveau a eu lieu en 2012, quand le président américain Barack Obama a fait référence aux « camps de la mort polonais » en parlant, ironiquement, du premier utilisateur important des termes, le légendaire résistant polonais Jan Karski.

Que la loi soit votée ou non, le musée d’Etat d’Auschwitz-Birkenau a récemment lancé une application pour « corriger » les journalistes et les utilisateurs de réseaux sociaux qui tapent les mots « camps de la mort polonais ». Le petit programme combiné à un traitement de texte, appelé « Remember » utilise 16 langues pour identifier l’utilisation du terme et le souligne en rouge, proposant également des solutions de remplacement.

Une nouvelle application du musée d'Etat d'Auschwitz-Birkenau de Pologne corrigera les "erreurs" de mémoire quand un auteur utilise des termes comme "camps de la mort polonais". (Crédit : autorisation)
Une nouvelle application du musée d’Etat d’Auschwitz-Birkenau de Pologne corrigera les « erreurs » de mémoire quand un auteur utilise des termes comme « camps de la mort polonais ». (Crédit : autorisation)

Selon l’attaché de presse Pawel Sawicki, le musée a longtemps cherché à corriger les dossiers quand Auschwitz-Birkenau – où un million de juifs ont été assassinés – a été caractérisé comme « polonais ».

« Nous informons, nous essayons de contacter le journaliste et l’éditeur, nous utilisons également les réseaux sociaux comme Twitter, pour donner cette information, parce que nous pensons que quand vous écrivez sur l’Histoire, vous devez utiliser une formulation adéquate, » a déclaré Sawicki dans un communiqué à propos de l’application.

Des origines obscures pour les camps de la mort « polonais »

Le terme « camp de la mort polonais » apparaît avant la fin de la guerre, pendant que la Pologne est toujours occupée par les nazis et que les opérations dans les camps de la mort se réduisent progressivement.

Dans sa série pour un magazine en 1944 intitulée « Courrier de Pologne », Jan Karski écrit sur sa découverte des camps de la mort opérant en Pologne occupée par les nazis, et sa tentative d’alerter les gouvernements des alliés. Malgré son utilisation du terme « camps de la mort polonais » dans ses articles pour le magazine Collier, Karski n’a pas l’intention d’impliquer que les Polonais en soient les créateurs.

Statue de Jan Karski à côté du musée POLIN d'histoire juive à Varsovie, en Pologne. (Crédit : Matt Lebovic/The Times of Israel)
Statue de Jan Karski à côté du musée POLIN d’histoire juive à Varsovie, en Pologne. (Crédit : Matt Lebovic/The Times of Israel)

Il serait faux d’accuser Karski d’avoir poussé à l’étiquette « camps de la mort polonais », mais la responsabilité pour avoir agi ainsi peut être assignée aux anciens nazis agissant en Allemagne de l’Ouest pendant la guerre froide, et les décennies pendant lesquelles les services secrets ont entrepris de laver l’Histoire.

Jusqu’au milieu des années 1960, le gouvernement d’Allemagne de l’Ouest a refusé de poursuivre les criminels de guerre nazis. Pendant ces années, une organisation affiliée aux renseignements « Agence 114 » a travaillé pour « nettoyer » les dossiers des hommes qui voulaient travailler dans les renseignements. Un bon accord pour ces postulants qui avaient travaillé dans les camps de concentration et d’extermination, d’où le besoin de les « reconcevoir » et d’impliquer les Polonais.

Il doit être noté que l’armée américaine a travaillé de très près avec l’agence 114, principalement dans le but d’obtenir des renseignements sur les agents soviétiques dans la zone d’occupation américaine.

Protégée par l’ancien chancelier Konrad Adenauer, l’agence a également recherché les gauchistes et les pacifistes. En même temps que le KGB soviétique devient un nom connu à la fin des années 1950, l’agence 114 a étendu sa mission pour traquer les « chevaux de Troie bolchéviques » et empêcher un « renversement subversif par les communistes ».

L'ancien camp de la mort nazi de Belzec, dans le sud est de la Pologne, photographié en novembre 2015. (Crédit : Matt Lebovic/The Times of Israel)
L’ancien camp de la mort nazi de Belzec, dans le sud est de la Pologne, photographié en novembre 2015. (Crédit : Matt Lebovic/The Times of Israel)

Dirigé par l’ancien sergent de la police nazie secrète Alfred « Fatty » Benzinger, la stratégie de propagande l’agence 114 a consisté à glisser le terme « camps de la mort polonais » dans les discours sur la guerre. En Allemagne, le groupe a tellement réussi que quand la mini-série « Holocauste « produite aux Etats-Unis a été diffusée en 1979, un panel télévisé d’historiens a été submergé par le nombre d’Allemands qui pensaient que la Pologne était responsable du génocide.

Il a fallu encore une décennie pour que le gouvernement de Pologne ne commence à systématiquement porter plainte contre l’utilisation de ce terme.

Avec la chute du rideau de fer, une nouvelle période de vérité a balayé l’Europe. Alors que les crimes initiés par les Soviétiques étaient « découverts » à l’est, les Polonais concentrés sur l’Histoire ont regardé à l’ouest – vers une Allemagne réunifiée – dans une tentative de réparer ce qu’ils voyaient comme la diffamation des Polonais par ce pays.

Aller à contre-courant

Malgré l’argument répandu qu’appeler les camps nazis « polonais » peut déformer l’Histoire, ce terme raccourci pour « camps construits par les Allemands dans la Pologne occupée par les nazis » est resté. Bien que l’on soit en difficulté pour trouver une organisation affirmant que les camps de mort devraient en fait être appelés polonais, certains chercheurs sont particulièrement intéressés par les collaborateurs nazis de la Pologne.

En Allemagne, l’historien Klaus-Peter Friedrich a affirmé que la Pologne se voyait comme la nation la « plus purement morale » parmi tous les pays occupés par les nazis. Bien que le gouvernement polonais officiel ait cessé d’agir à la suite de l’invasion, la population a été mobilisée pour participer en tant qu’officiers de police locale, et les jeunes polonais ont fait un service national en aidant les nazis à liquider les ghettos juifs, selon Friedrich.

Cette affiche des alliés dit : "Ces atrocités : votre faute" et ciblait les Allemands après-guerre. les efforts de dénazification comprenaient de la propagande comme celle-ci, ainsi que le blanchissement de beaucoup de criminels de guerre nazis. (Crédit : Wikimedia Commons)
Cette affiche des alliés dit : « Ces atrocités : votre faute » et ciblait les Allemands après-guerre. les efforts de dénazification comprenaient de la propagande comme celle-ci, ainsi que le blanchissement de beaucoup de criminels de guerre nazis. (Crédit : Wikimedia Commons)

Dans son essai de 2005, Collaboration dans un pays sans collaborateur, Friedrich a noté que la « ré-identification » polonaise qui a eu lieu après l’invasion, quand les Allemands et les Polonais ethniques sont devenus des « citoyens allemands ».

S’ajouter à la liste allemande signifiait un salaire augmenté, des meilleures rations de nourriture, et le cadeau de biens volés aux juifs. Selon Friedrich, amener à la lumière cette « ré-identification » de la population va à l’encontre du narratif de l’occupation polonaise dans un pays sans collaborateurs.

Le bruit autour de la nouvelle-ancienne loi sur les « camps de la mort polonais » est également lié à d’autres tendances en Pologne. Bien que les juifs polonais dans le leadership aient déclaré que le gouvernement n’était pas antisémite, les observateurs sont inquiets des récentes actions pour limiter la liberté d’expression et de recherche, particulièrement quand elle est liée aux nazis.

Le cas de Jan Tomasz Gross est le plus significatif. Son livre de 2001, Voisins, exposait le rôle des Polonais « ordinaires » dans le pogrom de Jedwabne en 1941. En début de mois, le président de la Pologne a demandé une réévaluation de la médaille attribuée à Gross en 1996 – la croix de chevalier de l’ordre du mérite. Les recherches et les récentes déclarations de l’auteur sur la complicité polonaise dans le génocide sont vus comme « une tentative de détruire le bon nom de la Pologne », selon le président Andrzej Duda.

L'auteur polonais Jan Tomasz Gross, auteur en 2001 du libre "Voisins" sur les meurtres des juifs de Jedwabne par leurs voisins polonais. (Crédit : East News)
L’auteur polonais Jan Tomasz Gross, auteur en 2001 du libre « Voisins » sur les meurtres des juifs de Jedwabne par leurs voisins polonais. (Crédit : East News)

Gross, qui est professeur à l’université de Princeton, a déclaré que la campagne pour lui retirer sa médaille « apparaît comme une tentative politiquement motivée d’intimider et de menacer tous ceux qui exposent l’histoire de l’antisémitisme en Pologne ».

Bien que Gross n’ait pas appelé les camps de la mort polonais, sa quête pour découvrir les implications polonaises dans l’Holocauste a été vertement condamnée à Varsovie, alors que les murmures sur la liberté académique s’amenuisent rapidement.

Entrée principale du camp de la mort d'Auschwitz (Crédit : CC-BY Tulio Bertorini)
Entrée principale du camp de la mort d’Auschwitz (Crédit : CC-BY Tulio Bertorini)

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