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Les seder « virtuels » de cette année ont un écho ancien, selon une historienne

À travers la prospérité et l'obscurité – et maintenant la modernité –, l'histoire de l'Exode a suivi l'évolution du peuple juif : l'historienne Vanessa Ochs décrit ce voyage

La rabbin Vanessa Ochs est l'auteure d'un nouvel ouvrage : "The Passover Haggadah: A Biography". (Autorisation)
La rabbin Vanessa Ochs est l'auteure d'un nouvel ouvrage : "The Passover Haggadah: A Biography". (Autorisation)

Juste à temps pour l’une des nuits de seder les plus inhabituelles de mémoire récente, la célèbre érudite Vanessa Ochs a publié un nouveau livre sur l’histoire de la Haggadah.

The Passover Haggadah: A Biography [La Haggadah de Pessah : une biographie] est la contribution de Vanessa Ochs à la série « La Vie des grands livres religieux » des éditions américaines Princeton University Press, qui comprend des explorations du livre de la Genèse et des lettres de Dietrich Bonhoeffer. La Haggadah présente néanmoins des défis uniques.

Bien qu’elle soit classée comme un livre, son statut est assez nuancé. « Je crois qu’on peut dire que c’est un texte liturgique, un texte pour une liturgie de table », commente l’auteure auprès du Times of Israël lors d’une conversation téléphonique. Elle le définit comme « un livre qui a été révisé, réimprimé, republié plus de 6 000 fois ».

« Je ne crois pas que quiconque ait jamais été assez fou pour écrire une histoire complète, plus ou moins, de la Haggadah », indique Vanessa Ochs. Cette histoire est même antérieure à l’Exode, lorsque « des milliers d’Israélites asservis n’auraient été qu’une lueur dans les yeux, avec une prédiction à Abraham », et elle se poursuit jusqu’à aujourd’hui, continue-t-elle.

Pourtant, personne n’aurait pu prédire qu’après la publication, Vanessa Ochs recevrait des questions sur une nouvelle sorte de Haggadah – une Haggadah virtuelle, due au coronavirus.

« Toutes les heures, je reçois une nouvelle demande : avez-vous une Haggadah pour un seder virtuel, des conseils pour un seder virtuel ? », rapporte-t-elle. « Cette année, il est clair qu’il y aura des Haggadot créés pour l’instant présent. »

« The Passover Haggadah: A Biography », de la rabbin et professeure d’études religieuses Vanessa Ochs. (Autorisation : Princeton University Press)

Bien que les Haggadot virtuelles ne soient pas abordés dans son livre, il y en a beaucoup d’autres à découvrir, reflétant un éventail d’auteurs, de périodes et de lieux. Il s’agit notamment des versions orales décrites dans la Mishnah (ou loi orale), des versions imprimées du Moyen Âge et des textes plus récents reflétant l’histoire moderne des Juifs – le mouvement réformateur et le sionisme, la Shoah et la fondation de l’État d’Israël, les droits des femmes et le judaïsme soviétique.

Vanessa Ochs a fait des recherches dans des archives en Israël et aux États-Unis, notamment chez Stephen Durchslag à Chicago, qu’elle décrit dans le livre comme « le premier collectionneur privé de Haggadah imprimée en Amérique ».

Sur les 6 000 versions différentes de l’histoire, l’historienne déclare : « Elles se ressemblent probablement plus qu’elles ne sont différentes. Certaines choses sont généralement reprises dans toutes. »

Il y a les quatre questions, les dix fléaux, mais on retrouve aussi dans son livre une célèbre entreprise de café – Maxwell House, fabricant de ce que Vanessa Ochs croit être la Haggadah la plus populaire de tous les temps. Il y a le message unificateur « [d’]une injonction biblique aux pères de raconter l’histoire de l’Exode d’Égypte à leurs enfants », écrit l’auteure. Pourtant, dans le récit (le sens littéral du terme hébreu, « haggadah »), certaines traditions ont été mises à jour. Au lieu des quatre fils, de nombreuses Haggadot présentent désormais les quatre enfants, tandis que la coupe de Miriam rejoint celle d’Élie.

Jordan B. Gorfinkel, alias Gorf, et Erez Zadok avec leur roman graphique Pessah Haggadah. (Crédit : Erez Zadok)

Vanessa Ochs se décrit comme une « anthropologue qui étudie la pratique religieuse contemporaine ». Ordonnée rabbin et professeure au département d’études religieuses de l’université de Virginie, elle a notamment publié le livre lauréat du prix américain du Livre juif Inventing Jewish Ritual. Elle explique que le fait de travailler sur Inventer le rituel juif lui a permis d’acquérir une expérience inestimable dans ses recherches sur la Haggadah, notamment sur le phénomène des seder féminins.

« Ayant appris comment de nouveaux rituels émergent, comment ils sont adoptés, ce genre de recherche a été très utile dans la réflexion de ce projet », indique-t-elle. « Cela m’a certainement alertée sur le fait que chaque pratique juive avait une trajectoire. Chaque rituel était à un moment donné nouveau. »

Vanessa Ochs écrit que les premiers Haggadot étaient des instructions orales mentionnées dans la Mishnah et son supplément, la Tosefta. Dans la Tosefta, elle trouve « une cérémonie de Pessah ad hoc à domicile qui se déroule entre 70 et 200 de notre ère et au-delà ». Citant le professeur Judith Hauptman, elle écrit que par rapport à la Mishnah, la Haggadah de la Tosefta « était plus brève et moins élaborée », et qu’elle « pourrait même être arrivée en premier ».

Ironiquement, pour ceux qui planifient des seder virtuels aujourd’hui, les seder originaux avaient leur propre qualité virtuelle pour les Juifs qui ne pouvaient pas pratiquer leur culte au Second Temple après sa destruction en 70 de l’ère commune.

Une Haggadah antique. (Crédit : thefoundationstone.org)

« Certes, le seder de la Mishnah greffe des pratiques anciennes de la fête de pèlerinage de Pâques à Jérusalem impliquant le sacrifice d’agneaux dans l’ancien temple », a déclaré M. Ochs. « À la place, il est devenu lui-même le premier Pessah virtuel. »

Elle trouve des similitudes entre le seder décrit dans la Haggadah orale et le symposium gréco-romain. Cependant, elle n’est pas d’accord avec les universitaires qui établissent des parallèles entre le seder et la Cène de Jésus.

De nombreux chrétiens ont supposé que la Cène était un seder

« De nombreux chrétiens ont supposé que la Cène était un seder », indique-t-elle. « Pour de nombreux érudits juifs, il y a débat. J’ai tendance à me ranger du côté des érudits juifs qui pensent que la Cène n’était pas un seder de Pessah. Au contraire, à presque toutes les réunions cérémonielles juives, il y aura du pain et du vin, des bénédictions sur le pain et le vin. »

Panneau initial avec les mots : Ha Lahma aniya (Le pain de l’affliction), au début du texte de la Haggada. Origine: Espagne, NE, Catalogne / Barcelone. (Crédit : domaine public)

Alors que la diaspora s’étend du Moyen-Orient à l’Europe, les Juifs s’inquiètent de plus en plus de la tradition orale pour Pessah. Selon Vanessa Ochs, entre le 9e et le 11e siècle de l’ère commune, ils demandaient aux amoraim, ou sages, d’écrire des instructions. Celles-ci faisaient à l’origine partie des livres de prières, mais sont ensuite devenues des volumes autonomes. La première Haggadah imprimée a été réalisée à Guadalajara, en Espagne, en 1474. Les Haggadot imprimées ont connu un essor considérable après l’invention de la presse à imprimer.

« Une fois que la presse à imprimer est apparue, cela a conduit à ce que beaucoup plus de gens disposent de leur propre texte », explique-t-elle, citant « de beaux textes enluminés, manifestement pour les gens aisés », dont certains « heureusement conservés ». Parmi celles-ci, la Haggadah d’Amsterdam, imprimée pour la première fois en 1695 pour une communauté de Séfarades aux Pays-Bas, bien qu’elle contienne des versions pour les lecteurs séfarades et ashkénazes.

Vanessa Ochs suit l’histoire de l’évolution du judaïsme au niveau confessionnel aux 19e et 20e siècles, y compris la première Haggadah réformée en 1842. Selon elle, le mouvement réformateur était « assez critique à l’égard du texte traditionnel » et a apporté quelques changements.

« Le but était de créer un service de seder de bon goût qui ferait appel à la sensibilité de l’homme moderne », commente-t-elle. « Les quatre questions ont été publiées. Il n’y avait qu’une question succincte en deux parties. Pourquoi cette nuit est-elle particulière, et quelle est la signification de ce service ? »

Une ancienne Haggadah tâchée de vin de la Collection Schneerson. (Crédit : autorisation)

Pourtant, relate-t-elle, « dans certaines Haggadot où il y avait des exclusions importantes… les communautés qui ont créé ces Haggadot ont finalement réintroduit [des parties] de la liturgie qui avaient été exclues. Le mouvement réformateur en Amérique a eu des Haggadot précoces qui ne contenaient pas les fléaux. Mais ils ont fait leur retour ».

L’Amérique est le lieu de naissance d’un autre développement, plus durable. Il a commencé dans les années 1920, lorsqu’une certaine entreprise de café a décidé de se lancer dans une entreprise de marketing destinée à la communauté juive. Bien qu’elle ne soit pas juive, elle a adopté la recommandation d’un annonceur juif – l’agence de publicité Joseph Jacobs – et la Haggadah Maxwell House est née.

Le mouvement réformateur en Amérique a eu des Haggadot précoces qui ne contenaient pas les fléaux. Mais ils ont fait leur retour

Vanessa Ochs estime que « l’idée d’une Haggadah de marque était assez curieuse », notant dans le livre qu’il n’existe pas, par exemple, de Kleenex Lamentations. Pourtant, le texte était à la fois libre et traditionnel, et il est devenu un incontournable de Pessah. Vanessa Ochs peut réciter de mémoire sa prononciation ashkénaze translittérée du début des Quatre Questions : « Mah nish-ta-naw… »

Une Haggadah de l’entreprise Maxwell House Coffee. (JTA)

« Elle a été révisée tellement de fois depuis 1920, a déclaré Ochs, en mentionnant The Marvelous Mrs. Maisel Haggadah de l’année dernière. Il s’agissait d’un partenariat entre la série populaire, Maxwell House et Amazon Prime qui incluait une texte sans discrimination de genre mais qui conservait la prononciation ashkénaze. Ochs a récemment parlé avec quelqu’un qui avait grandi en lisant la Maxwell House Haggadah à Cuba, et a dit que des copies ont été envoyées en Israël. « Je suis sûr, que dans l’ancienne Union soviétique, elle était envoyée avec des boîtes de matza », a-t-elle déclaré.

Ochs a aussi parlé de ce qu’elle qualifie « d’Haggadot des ténèbres », des versions orales ou écrites créées quand Pessah a lieu pendant une période de tragédie inimaginable – notamment la Shoah.

« C’est incroyable ce que les gens avaient besoin de faire s’il n’avaient pas d’Haggadah », a déclaré Ochs. « Certaines personnes en ont prise une avec eux comme un véritable trésor auquel ils pouvaient se raccrocher. » Pour ceux qui n’avaient pas d’Haggadah, des « individus, [en fonction] de ce qu’ils pouvaient se rappeler, même sans les éléments pour le seder, récitaient les paroles », a noté Ochs. Elle a ajouté « l’idée était que… même s’il s’agissait d’une période très sombre, le besoin de célébrer les moments et la mémoire sacrés avec l’espoir de rédemption était très puissant. »

Une page de la « Haggadah des survivants » écrite pour le Seder des survivants de 1947 à Munich, en Allemagne. (Crédit : Bibliothèque nationale d’Israël)

Pour elle, le récit de la famille Landau de Pologne constitue un récit particulièrement puissant. Une famille polonaise non-juive les a accueillis et leur a laissé préparer un repas casher avec leur four pour Pessah. Le patriarche Shmaryahu Landau a récité la Haggadah de mémoire à son fils Elimelekh, âgé de 17 ans. Celui-ci l’a écrite dans une version illustrée qui est maintenant à Yad Vashem.

Elimelekh Landau est ensuite parti en Palestine sous mandat britannique et a servi dans la Haganah pendant la guerre d’Indépendance. Son bataillon a été assiégé et, au moment de Pessah, il a écrit une autre Haggadah, pour ses camarades soldats. La Haggadah se trouve aussi à Yad Vashem.

Une Haggadah d’enfants de 1945 fait un parallèle entre le récit de Pessah et la Shoah. (Crédit : Yeshiva University Museum / Center for Jewish History / via JTA)

Ochs note que l’édition de 1974 de la Hagaddah réformée reflétait la Shoah à travers les écrits d’Anne Frank, d’Elie Wiesel et de Martin Buber. Elle a déclaré que « l’attitude du mouvement réformé envers la Terre d’Israël avait changé », avec un accent porté sur l’expression qui termine la Haggadah traditionnelle, « l’an prochain à Jérusalem », ou « L’Shana haba’ah b’Yerushalayim ».

Cette phrase a pris une complexité supplémentaire dans l’histoire moderne. « Après la guerre des Six Jours, il y a eu tous les types d’options et de célébrations », a déclaré Ochs. « Certainement, les Haggadot de cette époque, en pensant à L’Shana haba’ah b’Yerushalayim, les Juifs américains pensaient à la joie d’Israël. »

Une page de la Haggadah écrite par le 36e Palmach du Troisième bataillon pour Pessah 1948. (Crédit : bibliothèque nationale)

Ochs a déclaré penser que pour « une petite partie » cette phrase signifie qu’ils « attendent le moment où il y aura un troisième temple, que les sacrifices dans le temple reprendront ».

Et pourtant, Ochs a déclaré que « L’Shana Haba’ah B’Yerushalayim, de mon point de vue, n’appelait jamais à aller, à voyager physiquement, vers un endroit particulier. C’est plutôt un espoir messianique d’une communauté ultime de Jérusalem, un ère messianique de paix, d’achèvement, plus qu’un simple voyage physique ».

Il semble peu probable que l’on puisse voyager à Pessah cette année. Mais les Juifs célèbrent cette fête, et peut-être qu’ils pourront trouver un peu d’espoir en apprenant dans le livre d’Ochs comment la Haggadah a traversé de nombreuses périodes difficiles. Le livre leur donnera peut-être l’espoir que la Haggadah les aide à traverser l’épreuve délicate d’un seder virtuel cette année.

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