Les survivants de la fusillade qui a tué 5 des leurs disent ignorer le mobile
La ville de Basmat Tabun est en ébullition suite au massacre : les gens se terrent chez eux et hésitent à aider la famille endeuillée, qui dénonce un manque de protection

Deux des survivants de la fusillade qui a tué cinq membres de la même famille, dans la ville bédouine de Basmat Tabun, dans le nord du pays, ont dit jeudi leur émotion d’avoir été pris pour cible, ont donné de terribles détails de l’attaque et ont accusé les autorités israéliennes de n’avoir rien fait contre les violences qui sévissent au sein de la communauté arabe.
« Ils m’ont cru mort à cause de tout ce sang, ce qui explique qu’ils ne m’aient pas à nouveau tiré dessus », a déclaré Hassan Daleeka à la Douzième chaine au lendemain de la fusillade, s’exprimant depuis les urgences de l’hôpital Rambam de Haïfa où il a été pris en charge pour des blessures par balle. Hassan est le seul membre de la famille Daleeka à avoir survécu à ses blessures suite à l’attaque.
« Je ne sais pas qui est derrière tout ça », a-t-il dit, disant son incompréhension face à cette attaque et affirmant ne pas connaître l’identité de ses auteurs ou la raison pour laquelle sa famille a été prise pour cible.
Hassan a perdu sa femme, son fils et trois de ses neveux mercredi.
Il a expliqué que des hommes masqués sont entrés dans sa cour, où ses proches et lui-même se trouvaient, et leur ont tiré dessus, à six mètres de distance.
« Je leur ai dit de ne pas tirer, mais rien n’y a fait », a dit Hassan. « Je suis chauffeur routier, j’ai la conscience tranquille. Je n’ai fait de mal à personne, je ne suis impliqué dans aucun conflit. Je ne sais pas pourquoi ils ont aussi tiré sur les femmes et les enfants. »

Il a demandé que le Shin Bet se joigne à la lutte contre la criminalité au sein de la communauté arabe, opinion clivante au sein de cette dernière et souvent récusée par le Shin Bet lui-même, dont les dirigeants estiment que ses méthodes ne doivent pas être utilisés contre les ressortissants israéliens.
Hassan a regretté l’inaction des autorités, estimant que l’approche aurait été différente si les victimes avaient été Juives.
« Les Juifs vivent près de nous. Si des Juifs étaient blessés, ne ferait-on pas tout ce qui est possible pour retrouver les tueurs ? », a-t-il demandé.
Ahmad, 18 ans, se trouvait lui aussi dans la cour lorsque les tueurs ont fait irruption, mais il est parvenu à s’enfuir sans être blessé. Ses deux jeunes frères Walid, 17 ans, et Adam, 14 ans, ont eux été tués.
S’adressant au quotidien Haaretz, Ahmad a rappelé que l’un des tueurs avait d’abord tiré sur sa tante, Zeinab, qui se trouvait près de la porte de leur maison, avant de s’en prendre à son frère et ses cousins. C’est alors que deux autres hommes masqués ont fait irruption et ont tiré sur ses proches déjà blessés avec des armes à feu à canon long, a-t-il précisé.
Il s’est enfui, les tireurs sur les talons, jusqu’aux escaliers qui lui ont offert une cachette, derrière un mur. « Je ne sais pas comment j’ai réussi à m’échapper. J’ai vraiment eu de la chance », a-t-il ajouté.

Jeudi, Basmat Tabun était encore sous le choc de la fusillade.
Les quelques habitants à s’en être ouverts au journal Haaretz ont expliqué que la ville n’avait jamais connu une telle tragédie et n’avait que rarement défrayé la chronique avant ce mercredi. Nombreux étaient les riverains craignant de parler aux médias, de peur d’être ensuite pris pour cibles.
« Nous sommes encore sous le choc. Regardez comme les rues sont vides. La peur est partout. Nous sommes en train de digérer ce qui s’est passé. C’est une petite ville, nous nous connaissons tous. Nous allons devoir trouver le moyen de continuer à vivre », a déclaré un habitant, qui a refusé de se faire connaitre.
Rares sont les voisins à avoir présenté leurs condoléances à la famille Daleeka, manifestement par crainte d’être visés dans une nouvelle fusillade.
« Nous avons peur d’ouvrir les fenêtres et même de sortir dans la rue », a déclaré un proche de la famille ciblée, qui s’est présenté comme étant Issam.
Les membres de cette famille ont dit être des gens sans histoires, sans aucun lien avec des organisations criminelles.

« Nous n’avons reçu aucune menace et nous n’étions pas en conflit. Ceux qui sont en conflit craignent pour leur vie : ils ne restent pas dehors, dans la cour », a déclaré l’oncle d’Ahmad, Rafi.
La famille a reproché à la police d’avoir dit que le massacre de mercredi avait été perpétré en représailles d’une autre fusillade à Haïfa, quelques heures plus tôt. « C’est un tissu de mensonges », a déclaré Rafi.
« Les policiers ne font rien. Ils sont dans le village toute la journée, mais tout ce qu’ils font, c’est distribuer des contraventions. Attraper les meurtriers ou dissuader les criminels ne fait apparemment pas partie de leurs attributions », a-t-il déclaré.
« Nous ne savons pas quoi dire à nos enfants à propos de ce qui s’est passé… C’est un traumatisme pour toute la vie », a ajouté Rafi. « Nous avons tous peur et nous sommes inquiets pour nos proches. On vient nous tuer chez nous. On se prend à inspecter la voiture avant de partir, regarder dans les rétroviseurs… On est très prudent. C’est devenu notre réalité. »
Le maire de Basmat Tabun, Raid Zebidat, tient le gouvernement, et en particulier le Premier ministre Benjamin Netanyahu et son ministre de la Sécurité intérieure, Itamar Ben Gvir, responsable des violences qui ravagent sans discontinuer la communauté arabe.
« Netanyahu fait en sorte de faire la paix avec le monde entier alors que la société israélienne part en lambeaux. Il est en train de détruire le pays », a déclaré Zebidat dans une allusion aux efforts de Netanyahu pour négocier un accord de normalisation avec l’Arabie saoudite.

« Aux injustices auxquelles la société arabe fait face s’ajoutent des ministres comme celui des Finances, Bezalel Smotrich, qui se battent contre nous », a-t-il déclaré, évoquant la tentative de Smotrich de priver les communautés arabes de leurs fonds, qui profiteraient selon certains à des organisations criminelles.
« On nous tue en pleine rue, chez nous, dans les squares pour enfants et même dans les écoles, et le gouvernement se consacre à des sottises. Si les membres de ce gouvernement ne peuvent pas protéger leurs citoyens, ils devraient démissionner », a déclaré le maire.
À Haïfa mercredi, un homme a été abattu en plein jour, apparemment victime d’une confusion avec un proche impliqué dans des querelles criminelles.
La police a arrêté neuf suspects dans la ville voisine d’Umm al Fahm, et le tribunal de première instance de Haïfa a prolongé leur détention provisoire de huit jours.
Jeudi, la procureure générale Gali Baharav-Miara a autorisé la police à utiliser le logiciel espion Pegasus pour enquêter sur la fusillade de Basmat Tabun.
Le gouvernement serait sur le point de mettre sur pied un comité chargé d’examiner l’utilisation des logiciels espions par les forces de l’ordre, suite au scandale de 2022 sur l’utilisation par la police d’outils de piratage des téléphones portables.

Le chef de la police israélienne, Kobi Shabtai, s’est rendu sur les lieux de la fusillade, à Basmat Tabun mercredi, où il a été rejoint par Ben Gvir.
Shabtai a fait une déclaration filmée dans laquelle il a qualifié cette fusillade d’« événement des plus odieux jamais enregistrés, à savoir l’élimination ciblée d’une famille entière en représailles à un meurtre à Haïfa, ce matin ».
Les récentes morts portent le nombre de victimes d’homicides au sein de la communauté arabe à 190 depuis le début de l’année, contre 80 au cours de la même période en 2022.
Ces morts s’ajoutent à celles déjà causées par la vague de crimes violents qui décime la communauté arabe depuis quelques années. De nombreux dirigeants communautaires accusent la police de ne pas parvenir à réprimer des organisations criminelles très puissantes lorsqu’elle n’ignore pas purement et simplement les violences. Ils estiment que des décennies de négligences et discriminations de la part des services publics sont à l’origine de ce problème.
Pour leur part, les autorités accusent le crime organisé, en plein essor, et la prolifération des armes, ce à quoi s’ajoute parfois l’incapacité des communautés à travailler avec les forces de l’ordre.
Ben Gvir, qui est responsable des forces de police, a également été critiqué pour son manque d’action face à ces violences.