Des survivants de la Shoah partagent « leurs souvenirs à la maison »
Les jeunes générations se retrouvent dans les salons pour écouter les témoignages des survivants
Une trentaine de personnes se sont réunies dans le salon d’un jeune couple à Jérusalem mercredi soir pour écouter le témoignage d’un survivant de l’Holocauste âgé de 87 ans.
Certains se sont assis sur des chaises, tandis que d’autres étaient assis en tailleur sur le sol. D’autres perchés sur une table alors que Michael Blain expliquait comment plusieurs « coups de chance » lui ont permis de rester en vie au moment où l’Allemagne nazie occupa la Hongrie en mars 1944, et que la plupart des membres de sa grande famille ont péri à Auschwitz.
Blain est le grand-père de Maayan Leshem qui, avec sa femme Sasha, a organisé cet événement intimiste. (Blain est également le grand-père du rédacteur en chef adjoint Elie Leshem du Times of Israel.)
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Alors que Blain s’adressait au groupe, d’autres survivants de l’Holocauste partageaient leurs souvenirs avec plus de 1 000 autres groupes semblables partout en Israël et dans le monde à la veille du Jour de Commémoration de l’Holocauste.
Ces rencontres font partie d’une initiative, dirigée par des bénévoles, appelée Zikaron Basalon (Souvenirs à la maison), conçue pour relier principalement les jeunes avec les derniers Juifs en vie qui ont personnellement vécu l’Holocauste.
Ces jeunes ont grandi en apprenant à connaître l’Holocauste et en assistant à des cérémonies de commémoration de l’Holocauste et des manifestations officielles. Mais à ce point, conscient que dans quelques années il n’y aura plus aucun plusieurs témoins oculaires des ghettos et des camps de concentration, ils cherchent à établir une interaction plus directe avec les survivants.
« Ces rencontres sont intimes et informelles. Les gens veulent venir entendre ces histoires », a déclaré Roni Hazon Weiss, le coordinateur de Jérusalem de Zikaron Basalon.
Selon Weiss, qui est un professeur de lycée et aussi le secrétaire général du parti politique et du mouvement social Yerushalmim, l’initiative a commencé avec une simple réunion de quelques amis à Tel Aviv il y a cinq ans.
Cette année, il y avait quelque 200 réunions dans les salons, et à Jérusalem uniquement, avec plus de 800 autres dans plusieurs villes et villages israéliens, ainsi que dans les villes à l’étranger, comme Berlin, Amsterdam ou New York.
Chez les Leshem, la foule présente était formée aussi bien d’adolescents que de retraités.
En général, les rassemblements Zikaron Basalon (où il y a entre 10 à 50 participants, en fonction de la taille de la pièce) attirent surtout les jeunes, des lycéens aux trentenaires. Les participants sont personnellement invités par l’hôte, ou sont dirigés vers un rassemblement via le site Web Zikaron Basalon, où les hôtes, les invités et les conférenciers peuvent tous s’inscrire.
Sasha Leshem a dit qu’elle n’était pas surprise de voir le grand nombre de participants à son domicile mercredi soir.
« La manière traditionnelle de commémorer [la Shoah] soit en passant par une cérémonie officielle ou en en regardant une à la télévision est trop passive. Les gens sont à la recherche d’une façon de commémorer d’une manière plus active », explique-t-elle.
Les personnes présentes sont d’accord avec elle. Noam Yarden, un étudiant de 24 ans, était heureux d’avoir quelque chose de différent à faire le Jour de l’Holocauste cette année.
« C’est quelque chose de plus spécial, c’est différent. Et avec les différentes générations présentes, c’est une atmosphère plus familiale », affirme-t-elle.
Zikaron Basalon donne aux hôtes une multitude de conseils et de suggestions pour animer la soirée.
Chez les Leshem, Blain (né Elimelech Blobstein) a parlé en premier. Après une séance de questions-réponses, le groupe a chanté quelques chansons ensemble. Il y avait une pause pour des rafraîchissements, et ceux qui pouvaient rester tard sont restés pour une discussion de groupe informelle.
Blain avait toute l’attention des personnes présentes alors qu’il entrelaçait les informations historiques sur la Seconde Guerre mondiale avec son histoire personnelle de survivant.
Né en 1928 dans le petit village agricole de Selce dans les Carpates (qui faisait alors partie à l’époque de la Tchécoslovaquie), Blain était parti à Budapest en 1942 pour suivre une formation après avoir terminé l’école primaire.
« Une organisation juive m’a placé en formation pour concevoir et fabriquer les sacs à main pour dames, s’est-il remémoré. Je ne savais même pas ce était un sac à main. Ma mère n’en avait pas un ».
Lorsque l’Allemagne a occupé Budapest en mars 1944, on a assigné à Blain la tâche d’enlever les gravats et les morts des maisons détruites par les bombardements alliés. Il vivait dans une maison pour enfants juifs, mais quand elle a été prise par les Allemands, qui l’ont utilisé pour se loger, il a été transféré dans une autre maison de l’autre côté de la ville.
À ce stade, certains de ses amis sont partis à la gare, avec l’intention de retourner dans leurs villes et villages natales. Blain a tergiversé et n’est pas allé avec eux, ce qui s’est avéré être une bonne intuition. Ses amis ont été arrêtés à la gare.
En novembre 1944, Blain a été arrêté et on l’a emmené à la frontière germano-soviétique et on lui a ordonné de creuser des tranchées pour l’armée allemande.
« Il y avait des tirs, jour et nuit. C’était vraiment horrible », a-t-il décrit.
Lorsque les Allemands battirent en retraite vers Budapest, Blain et les autres jeunes Juifs avec qui il était, ont été abandonnés dans une école. Certains garçons plus âgés qui avaient revêtu des uniformes de soldats hongrois volés, ont réussi à sortir Blain et l’ont emmené à Budapest.
Le 24 décembre, il a été arrêté par les Croix fléchées (les Nazis hongrois) et on l’a obligé avec les autres à entreprendre une marche de la mort vers les camps de travail autrichiens.
« Je me souviens que nous marchions sur le dernier pont restant sur le Danube, et je portais un petit enfant sur mes épaules », se remémore Blain.
Après que les Juifs aient traversé à l’ouest sur le Danube vers Buda de Pest, les soldats, se sont rendus compte que la ville avait été encerclée par les Soviétiques et les ont divisés en deux groupes. Le groupe de Blain a été renvoyé vers Pest.
Les autres ont été alignés le long de la rive du Danube et abattus.
La résistance juive a cherché Blain et les autres qui étaient dans son groupe et le 15 janvier 1945, ils ont été libérés par les Soviétiques.
Dès que les trains fonctionnaient à nouveau, Blain est retourné dans son village à la recherche de sa famille. Il a été le premier survivant juif à revenir à Selce, qui était alors sous le contrôle soviétique et qui est devenu une partie de l’Ukraine.
« Je n’ai pas trouvé d’autres survivants, et mes voisins [non-juifs] n’étaient pas très contents me revoir en vie », explique-t-il.
Blain a finalement retrouvé un de ses frères, qui a à peine survécu aux camps de travail allemands.
Cependant, après plusieurs mois à Selce, Blain et plusieurs de ses amis ont décidé de s’échapper pour se rendre en Tchécoslovaquie. Ils ont embauché un agriculteur pour les faire sortir du pays.
Quand ils sont finalement arrivés à la frontière, après l’avoir traversé en charrette tirée par des chevaux sous la neige, seul Blain et un ami (sur cinq) ont survécu et sont passés du côté tchèque.
De Prague, Blain a été envoyé en Angleterre avec 736 autres enfants juifs orphelins.
« Londres était un grand soulagement. J’ai travaillé dans mon corps métier, et j’ai étudié l’anglais la nuit », a-t-il décrit.
Après avoir attendu quatre années avant de pouvoir obtenir un visa américain, Blain a immigré à New York, où il a continué à travailler et a terminé ses études secondaires.
Il a été enrôlé dans l’armée américaine avec le début de la guerre de Corée, après quoi il a suivi des études à l’Institut de Technologie de Rochester, financées par l’armée. C’est à Rochester qu’il a rencontré sa femme. Aujourd’hui, ils vivent à Cleveland, et ont trois fils, 12 petits-enfants et 12 arrière-petits-enfants.
Quand il est arrivé à New York, Blain a retrouvé sa sœur aînée qui s’était échappée de l’Europe pour se réfugier aux États-Unis en 1942. Il a également appris à connaître plusieurs des sœurs de sa mère qui avaient immigré aux États-Unis avant la guerre.
Blain a seulement commencé à parler de ses expériences de l’Holocauste lorsque le film de Steven Spielberg « Shoah », un recueil de témoignages vidéo, est sorti en 1985.
C’est quand il a commencé à raconter son histoire qu’il a réalisé qu’on aurait dû lui poser le même genre de questions que les jeunes dans le salon de son petit-fils lui ont posé mercredi.
« Mes tantes ne m’ont même pas demandé ce que j’avais vécu pendant la guerre, et je n’ai jamais demandé à d’autres survivants que je connaissais quelles avaient été leurs expériences », déplore-t-il.
« Et maintenant la plupart d’entre nous sont partis. Nous sommes une espèce en voie de disparition ».
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