Les traditions antisémites de Pâques persistent en Europe
Le tollé médiatique et diplomatique ne dissuade pas les Néerlandais et les Polonais d'organiser des événements religieux axés sur le sentiment anti-juif

Lors d’une procession festive à Pruchnik, une petite ville du sud-est de la Pologne, les habitants assistent à la cérémonie d’incinération d’une effigie portant une kippa qu’ils ont baptisée Judas dans le cadre d’un événement chrétien. Dans une petite municipalité néerlandaise, des dizaines d’hommes portant des vêtements assortis défilent dans les rues de leur ville en chantant l’assassinat de Jésus-Christ par les Juifs.
Ces scènes à consonance médiévale ne sont pas des anecdotes de la riche histoire de l’antisémitisme en Europe. Il s’agit d’événements contemporains qui se déroulent chaque année à Pâques.
Témoignant des racines profondes et persistantes de la haine des Juifs sur le continent, les événements organisés la semaine dernière font partie des nombreuses traditions qui persistent dans l’Europe du XXIe siècle, malgré les protestations répétées des Juifs et d’autres critiques.
L’effigie exposée à Pruchnik est un folklore annuel. Ce rituel pascal cherche à symboliser un procès public de Judas Iscariote, qui selon la tradition chrétienne a trahi Jésus et l’a livré aux Romains, avant sa crucifixion. Le Vendredi saint marque le jour où Jésus aurait été crucifié.
Après le « procès » symbolique où la marionnette est condamnée à mort, son exécution a lieu par pendaison, et le « cadavre » est ensuite promené dans les rues pendant que des enfants et des adultes le frappent avec des bâtons, lui infligeant 30 coups. La cérémonie se termine avec les résidents brûlant la marionnette.
Le rituel, connu sous le nom de « jugement de Judas », remonte au 18e siècle et a été pratiqué jusqu’à la Seconde Guerre mondiale. Il a depuis été abandonné, sauf dans quelques villages. Il n’était plus pratiqué à Pruchnik, depuis 2019. Dans certains cas, par le passé, la marionnette était marquée comme étant juive à l’aide d’une Étoile de David sur son bras.
La cérémonie avait suscité une condamnation mondiale en 2019, conduisant la municipalité à annoncer la fin de la tradition. Pourtant, à nouveau la semaine dernière, des individus ont accroché la même effigie aux abords de la ville et l’ont incendiée. Les autorités municipales ont dû intervenir en retirant la poupée de la zone.
Le chant anti-juif de la ville d’Ootmarsum, dans l’est des Pays-Bas, voit des chanteurs en tenue assortie dénoncer « les Juifs qui, avec leur faux conseil, ont sacrifié Jésus sur la croix ».
Le personnage de Judas est également représenté dans cette tradition pascale néerlandaise. Certains des hommes qui chantent à Ootmarsum fument un cigare tout au long de la cérémonie. Dans la tradition locale, les fumeurs sont appelés « Judas ».

Amichaï Chikli, ministre israélien des Affaires de la Diaspora et de la lutte contre l’antisémitisme, a protesté contre l’incendie de l’effigie en Pologne, que le Jerusalem Post a été le premier à rapporter. De tels événements « ont conduit tout au long de l’histoire à des calomnies, à des discriminations et à des pogroms contre des Juifs innocents et d’autres spectateurs », a écrit Chikli dans une lettre adressée en début de semaine à l’ambassadeur de Pologne en Israël.
Chikli a également écrit à l’ambassadeur de Grèce pour se plaindre de l’incendie présumé d’un drapeau israélien le 11 avril lors d’un match de la Ligue des champions de basket-ball à Athènes, et à l’ambassadeur d’Ukraine pour protester contre l’inclusion, par la municipalité de Kiev, d’un collaborateur nazi dans une liste de personnes susceptibles de voir une rue porter leur nom.
Aux Pays-Bas, les chants de Pâques à Ootmarsum ont fait l’objet de critiques, notamment de la part de l’influent rabbin néerlandais Lody van der Kamp.
Le rabbin, qui est né dans l’est des Pays-Bas, avait qualifié cette tradition « d’insondable » dans une interview, l’année dernière.
« Je ne comprends pas comment les habitants d’Ootmarsum peuvent chanter en connaissant l’histoire de leur ville », avait-il ajouté, rappelant que quatre Juifs y ont été abattus pendant la Shoah.
Cette réprimande semble entraîner un certain changement. L’année dernière, le comité organisateur de la procession a introduit d’autres paroles pour le chant sur les Juifs, intitulé « Le Christ est ressuscité ». La nouvelle version remplace « Juifs » par « peuple ».
Mais tous les chanteurs ne sont pas d’accord, selon le journal local Tubantia. De nombreux participants à l’événement annuel, qui se termine par un grand feu de joie, s’en tiennent aux paroles qui accusent les Juifs de déicide.
Lars Telgenhof, un participant à la procession, a déclaré à Tubantia que certains des marcheurs « s’opposent à la façon dont cette belle tradition est soumise à une pression extérieure ».
Un visiteur d’une ville voisine, qui fait partie des centaines de touristes qui viennent chaque année à Ootmarsum pour assister à la procession des chants de Pâques, a défendu les paroles originales auprès de Tubantia.

« Pourquoi devrais-je m’impliquer ? », a demandé Jaap Meerkerk. « Que les plaignants incessants trouvent une autre cible que cette belle tradition. Personne n’est venu ici pour offenser qui que ce soit », a déclaré Meerkerk.
Le mois dernier, John Joosten, le maire de la municipalité de Dinkellan, qui comprend Ootmarsum, a écrit un article intitulé « Notre communauté ne tolère pas la discrimination« , dans lequel il recommande d’accueillir les réfugiés. Il ne mentionnait pas la procession. Son bureau n’a pas répondu à la demande du Times of Israel qui souhaitait connaître sa réaction aux chants de Pâques.