Les vignerons de Judée rouvrent leurs vignobles pour que les gens « soufflent un peu »
Pendant un mois, les vignobles de Mateh Yehuda proposent dégustations et visites avec une pensée pour les personnes touchées par les combats et la crise des otages
Le propriétaire d’Agur Winery, Elad Katz, se verse un peu de rosé, trinque et secoue la tête, incrédule à l’idée d’être assis là, dans son jardin, derrière ses vignes de Judean Hills.
Le 7 octobre dernier, jour de l’attaque du Hamas sur le sud d’Israël, Katz était parti camper avec sa femme, leurs quatre filles et des amis lorsque les sirènes ont commencé à rugir. À 10 heures du matin, il a reçu un appel lui demandant de se présenter d’urgence pour effectuer une période de réserve près de la frontière de Gaza.
Réserviste dans la brigade Nahal, Katz, qui est âgé de 43 ans, n’avait plus effectué de service actif depuis des années, ce qui ne l’a pas empêcher de passer près de six semaines dans et autour de Gaza avant de rentrer chez lui, fin novembre.
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En ce début de mois de juin, Katz est plongé dans l’organisation d’événements pour la traditionnelle fête du vin de Mateh Yehuda, région qui comprend la vallée d’Elah et les collines de Jérusalem. Il s’agit de la seule et unique appellation viticole officielle de tout Israël.
Comme une vingtaine d’autres établissements vinicoles de la région, Agur organise des visites et des dégustations tout au long du mois de juin.
Cette année, compte tenu de la guerre, des 116 otages encore à Gaza et de la tristesse générale, on ne parle pas de fête à proprement parler, explique l’un des organisateurs. On y voit plutôt l’occasion de se retrouver et de déguster du vin, parfois autour d’un bon repas préparé par un chef, et de permettre aux visiteurs de donner un coup de pouce aux vignobles et à la région dans son ensemble.
Katz explique qu’à leur retour dans les caves, fin novembre, ses collègues propriétaires et lui n’étaient pas trop d’humeur à accueillir des visiteurs.
« Les gens ne buvaient plus trop de vin », se rappelle-t-il.
Pourtant, les visiteurs ont fini par revenir à Agur, pour décrocher un peu de la guerre et des informations. Le week-end, ils accueillaient souvent des réservistes avec leur conjoint.
« Le père d’un otage est venu un vendredi : il nous a dit que pour la première fois en six mois, il avait eu une heure de paix et de tranquillité », confie Katz.
Il s’est passé plus ou moins la même chose à Ulu Winery, vignoble voisin aux airs de Provence dont les épais buissons de lavande flanquent le large escalier qui mène à une vaste salle de dégustation qui surplombe les vignes en contrebas, et au-delà, les collines.
Ulu produit cinq vins – un grenache, un chardonnay, un rosé, un cabernet sauvignon et un assemblage de cabernet et de merlot – tous issus de raisins cultivés à proximité. Ils vendent également d’autres vins, israéliens et d’ailleurs, ce qui permet de découvrir plus dans le détail le vaste monde du vin.
C’est Hila Ulu qui a maintenu le vignoble familial en activité durant des mois, avec son mari, Amir Ulu, de retour de sa période de réserve. Retraité de Tsahal après trente ans de carrière, dont de nombreuses années passées dans le sud, cet ex-colonel est immédiatement retourné dans le sud lorsqu’il a été rappelé.
« Et puis les gens sont revenus, doucement, timidement. Ils avaient besoin de souffler un peu », explique Hila Ulu. « Ils venaient, comme s’ils étaient un peu gênés d’être là. » Rien à voir avec l’ambiance qui prévalait quelques jours avant les attaques du Hamas du 7 octobre.
Le 5 octobre, se rappelle Katz d’Agur, il était assis dans sa cave avec le célèbre réalisateur Quentin Tarantino : ils buvaient tous les deux du vin en se racontant des histoires.
« J’ai dû le laisser parce que nous avions prévu de partir camper », raconte Katz. « J’ai bu un expresso avant de partir et quand nous sommes revenus, en novembre, la tasse était au même endroit », montre-t-il, « là, sur le comptoir. »
Arrivé dans le coin au moment où il a commencé à s’intéresser de près au monde du vin, Katz vit en haut de la route du Moshav Luzit. Diplômé en droit et passé par le ministère des Finances, il commence alors par travailler un jour par semaine puis à temps plein pour le Domaine Du Castel. Il devient PDG de l’un des vignobles les plus anciens et les mieux établis d’Israël, également situé dans les collines de Jérusalem.
Il y a de cela quatre ans, il propose à son fondateur, Shuki Yashuv, de lui racheter ses vignes.
Il fait venir Eyal Drory, jeune vigneron qui, par le jeu du hasard, a passé du temps à Agur lorsqu’il était adolescent. Les trois hommes sont aujourd’hui associés dans cette cave casher, passée de 12 000 à 75 000 bouteilles par an, avec six références dont un rosé, un sauvignon blanc, trois assemblages rouges dont un à base de syrah et un spécial réserve, et un assemblage blanc à base de roussanne.
Agur était à la base un plus petit vignoble, dirigé par Yashuv, menuisier spécialisé dans le façonnage de tables à partir de vieux fûts et à l’origine de vins produits en petites quantités.
Katz et Drory ont développé l’idée de Yashuv, en utilisant des raisins cultivés dans toute la région, en élaborant sept vins à partir de 20 types de raisins, en exportant 10 % de leur production et en cherchant toujours à faire mieux.
Ils ont changé les étiquettes et les noms de certains de leurs vins, gardé uniquement les vins qui leur plaisaient – comme le Yashuv’s Rose, qu’ils ont amélioré avec un cabernet franc et d’autres cépages -.
« Ces noms sont des passeports », explique Katz, qui a des projets pour la croissance du vignoble, notamment à l’étranger, où les vins israéliens sont prisés, en premier lieu au sein de la clientèle juive. Pour autant, il aime l’idée d’un petit vignoble. « Ce qui est bien dans le fait d’être petit, c’est que l’on n’a pas besoin d’être apprécié par tout le monde – c’est l’authenticité qui prime. »
Agur a un temps cultivé les légumes servis sur ses plateaux de fromages, et ceci dans le but de garder cette note d’exploitation agricole et de l’amener jusqu’à la table, avant d’opter pour les légumes cultivés par le beau-père de Katz, dans le sud, à Tzofar. Echange de bons procédés, ils donnent un coup de main dans la boutique Moa Winery, travaillent aux assemblages et à la vente des vins.
Les fromages servis font aussi partie de ce projet communautaire, notamment celui affiné au vin, fabriqué par la laiterie Beeri avec le vin d’Agur.
Le fromager de Beeri, Dror Or, a été tué, ainsi que sa femme, Yonat Or, le 7 octobre. Les enfants du couple – Noam et Alma – tous deux adolescents, ont été pris en otage et libérés en novembre dernier. Leur frère aîné ne se trouvait pas à la maison le jour de l’attaque.
« C’est le dernier lot fabriqué par Dror », explique Katz, en montrant le fromage bordé de vin patiemment affiné durant sept à huit mois.
La communauté, locale et plus lointaine, joue un rôle important dans l’événement viticole de ce mois-ci, car vignerons du coin et fournisseurs divers et variés travaillent tous en étroite concertation.
L’une de ces soirées va permettre à Katz de retrouver sa grande amie, Nurit Hertz, cheffe qui aime décliner le fruit de sa cueillette avec des vins issus de vignobles locaux. Son mari et Katz se connaissent depuis longtemps : ils ont fait leur service ensemble, il y a de cela plus de 20 ans, et ont récemment accompli ensemble leur devoir de réserve à Gaza.
Le vignoble voisin d’Ulu, situé de l’autre côté de la route, à Givat Yeshayahu, est fait de plusieurs vignobles. C’est là que la famille Ulu s’est installée il y a de cela 14 ans, lorsqu’Amir Ulu a pris sa retraite après 30 ans de service.
Amir et Hila Ulu rêvaient d’avoir un vignoble à eux. Après avoir construit leur maison et les écuries, ils ont un temps envisagé de bâtir une deuxième écurie, pour servir de pension aux chevaux, avant de se raviser et d’opter pour un vignoble ?
Ils se sont donc lancés dans les dégustations de vin, puis dans leur fabrication. Aujourd’hui, il est possible qu’ils sortent 40 000 bouteilles, peut-être moins, mais ce n’est pas ce qui leur importe le plus.
« Nous voulons avant tout faire le meilleur vin possible », explique Hila Ulu. « C’est très amusant, bien sûr, mais ce qui l’est davantage encore, c’est quand les gens sont là, qu’ils nous disent passer un bon moment et boire du bon vin. »
Les attaques du Hamas du 7 octobre ont touché les deux vignobles. À Agur, Katz et son superviseur casher, qui gère toutes les étapes de la préparation du vin pour que les vins soient effectivement considérés comme casher, ont été rappelés au titre de la réserve, laissant à Drory la charge de l’exploitation durant plusieurs semaines.
Le mois d’octobre est le point d’orgue de la saison des vendanges. A ce moment précis, tous les raisins ont été ramassés et ils fermentent dans des conteneurs qui doivent être manipulés régulièrement.
« Il y a tellement de choses susceptibles d’arriver, comme par exemple tourner au vinaigre », souligne Katz.
Mais tout s’est bien passé, ils ont passé ce moment difficile et, à l’instar d’Ulu, les deux établissements vinicoles savourent leur chance d’avoir des clients désireux d’acheter du vin, même en ces circonstances.
« C’est compliqué : nous aimons ce que nous faisons, mais l’idée, c’est de faire du vin à long terme », rappelle Katz.
« Nous ne sommes pas très optimistes mais nous n’avons pas d’autre choix que de continuer. Nous faisons ce que nous pouvons de notre côté. Pour l’heure, nous sommes encore en train de rattraper le désordre et le retard de ces derniers mois. »
Ulu Winery organise le lancement de ses vins le 20 juin prochain, de 18 h à 21 h, au tarif de 70 NIS par personne, sur inscription.
Agur Winery organise une après-midi de musique grecque autour de ses derniers vins, le 21 juin prochain, entre 11 h et 14 h, pour 120 shekels par personne sur inscription.
Il y aura aussi des visites de vignobles dans la vallée d’Elah et les collines de Judée, ainsi que des repas mitonnés par des chefs et des conférences, sans oublier les dégustations de vin.
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