L’ex-chef du budget : Israel Katz installe une « atmosphère de terreur »
Le ministre refuse de laisser son équipe élaborer un budget de l'Etat pour éviter des élections, accuse Shaul Meridor dans son premier entretien depuis sa démission explosive

Dans sa première interview publique après sa démission dimanche pour protester contre la politique économique « irresponsable » du gouvernement, l’ex-chef du budget Shaul Meridor a averti que le gouvernement prenait des décisions fatidiques aléatoires et amateures, et avait imposé une « atmosphère de terreur » à l’échelon professionnel pour tenter d’étouffer les critiques.
Le refus du gouvernement d’adopter un budget cohérent et ordonné pour l’Etat s’explique par des calculs politiques et une impasse, a-t-il déclaré à la Douzième chaîne lors d’une interview mardi.
« Dès que j’ai senti que je ne pouvais plus vraiment influencer la politique, ce qui violait le consensus partout dans le monde sur les budgets [d’État], j’ai décidé que c’était trop pour moi », a-t-il dit à propos de son départ, qui a fait la une des journaux et a suscité des déclarations anxieuses du président Reuven Rivlin et du gouverneur de la Banque d’Israël, Amir Yaron.

Israël est sans budget d’Etat depuis 2019 et finira probablement l’année 2020 sans budget, grâce à une lutte permanente entre le Likud et son partenaire de la coalition Kakhol lavan pour savoir si le budget devrait également inclure l’année 2021. Beaucoup voient cette bataille comme une crise inventée pour aider le Premier ministre Benjamin Netanyahu à rester au pouvoir sans avoir à respecter un accord de rotation avec le leader de Kakhol lavan, Benny Gantz.
Le poste de Meridor à la tête du département des budgets du ministère des Finances est l’un des postes les plus importants de l’appareil d’État israélien. Il comprend l’élaboration du budget annuel étatique et, la plupart du temps, il résiste aux tentatives des hommes politiques de dépenser des fonds sans avoir préalablement désigné une source de revenus pour couvrir les dépenses.
Le département est crédité de la responsabilité fiscale de longue date du pays, qui a vu son ratio dette/PIB passer de 100 % en 2003 à moins de 60 % en 2019, l’un des chiffres les plus bas du monde développé.

Mais cette culture de la responsabilité s’est effondrée, a averti Meridor cette semaine.
« Je ne peux pas prêter main forte à la mauvaise conduite qui a eu lieu ces derniers mois et dont tous les citoyens israéliens paieront un lourd tribut dans les années à venir », a écrit Meridor dans une lettre de démission au ministre des Finances, Israël Katz, publiée dans les médias israéliens dimanche.
Il a dénoncé un processus décisionnel influencé par des « intérêts étroits » et le « mépris flagrant du travail du personnel », alléguant que la boîte à outils financière du ministère avait été piétinée et que des règles vieilles de plusieurs décennies étaient ignorées.
« Ces derniers jours, de plus en plus de lignes rouges ont été franchies, tout comme les règles élémentaires d’une politique budgétaire et économique correcte. J’ai décidé que je ne peux plus faire partie du système et donner une légitimité à une série de mauvaises décisions, qui ne tiennent pas compte des implications à long terme et de leur effet sur l’économie et la vie des citoyens”, a-t-il écrit à l’époque.
Katz a répondu à la démission en accusant Meridor de s’opposer à ses politiques pour des « raisons politiques », alors même qu’un rapport indiquait que d’autres hauts fonctionnaires du ministère envisageaient également de démissionner.

Dans son interview de mardi, Meridor a accusé Katz d’intimidation et d’ignorer les conseils professionnels du ministère.

« Vous ne pouvez pas avoir une situation dans laquelle, lorsque quelqu’un dans la salle dit quelque chose qui ne correspond pas à ce que le ministre veut, celui-ci commence à menacer, à crier, à imposer une atmosphère de terreur. Cela ne m’affecte pas tant, mais je ne suis pas seul dans cette pièce », a-t-il déclaré.
« Il y a 15 personnes dans cette pièce. Qu’en pensent les jeunes collaborateurs ? Oseront-ils ouvrir la bouche la prochaine fois qu’ils pensent avoir quelque chose à dire que le ministre ne voudra pas entendre ? »
Meridor a souligné qu’il a servi au ministère pendant près de vingt ans. « Depuis l’époque de Silvan Shalom (ministre des Finances de 2001 à 2003) jusqu’à celle d’Israël Katz, il n’y a rien eu de tel avec aucun des ministres avec lesquels nous avons travaillé », a-t-il accusé.
« Il est inacceptable que les discussions se déroulent de cette manière. Nous présentons le travail de professionnels, et il n’écoute pas. Il regarde son téléphone ou dit soudainement quelque chose sur un autre sujet. Un ministre des Finances n’est pas un plus grand ministre des Transports, c’est le dernier gardien [des fonds publics]. Il ne peut pas se comporter de cette façon », a déclaré Meridor à propos de Katz, qui a accédé au poste de trésorier en juin après une décennie passée au ministère des Transports.
Dans sa lettre de démission, Meridor a également réitéré son accusation selon laquelle on lui avait demandé de modifier les chiffres et les estimations budgétaires afin de créer des fonds disponibles « fictifs » pour de nouvelles dépenses.
« Il y a eu des cas où le ministre des Finances a fait pression sur l’échelon professionnel, avec moi à sa tête, pour qu’il modifie nos estimations afin de ‘créer’ de l’argent », a-t-il accusé. « Je pense que ce n’est pas juste, et je l’ai dit lors des discussions. La pression était assez forte, et au final, cela ne s’est pas fait parce que j’ai refusé. Mais c’est un avertissement très sérieux. »

Katz, a-t-il ajouté, a refusé de permettre à l’équipe de commencer à travailler sur l’élaboration d’un budget à temps pour qu’il soit adopté le 23 décembre, un fait qui, selon la journaliste Keren Marciano, pourrait être dû aux intentions alléguées de Netanyahu de convoquer des élections anticipées à cette date.
Selon l’accord de coalition entre le Likud et Kakhol lavan, Netanyahu doit remettre le pouvoir à Gantz d’ici novembre 2021, ou plus tôt si le gouvernement s’effondre. Cependant, une faille permettrait à Netanyahu de rester au pouvoir si la coalition devait se disloquer en raison de désaccords budgétaires.
Meridor a déclaré que le budget « est devenu un jouet politique, ce qui est inacceptable pour la gestion d’une économie saine. Il est vraiment nécessaire de travailler dès maintenant à l’élaboration d’un budget 2021, maintenant et pas une minute plus tard. Vous devez commencer dès maintenant pour respecter la date limite [du 23 décembre] fixée par la loi.”
Meridor a récemment essuyé la fougue de Katz et de Netanyahu pour s’être opposé à leur plan de verser des aides à tous les adultes israéliens, indépendamment de leurs revenus ou de leur éventuelle incidence négative sur la pandémie de coronavirus. En réaction, le fils de Netanyahu, Yaïr, connu pour sa rhétorique incendiaire, a affirmé dans un post Instagram à l’époque que les bureaucrates du Trésor « sabotaient » intentionnellement l’aide aux Israéliens indépendants de plus en plus mécontents « afin de remuer le public ».
Katz a riposté à Meridor depuis la lettre de démission de dimanche. Lundi, il a déclaré aux médias israéliens que Meridor n’avait démissionné qu’après avoir eu vent de son projet de le licencier. Il a également rejeté les accusations de Meridor selon lesquelles il utilise une main lourde pour forcer les bureaucrates à établir une politique fiscale basée sur des intérêts politiques, les qualifiant de « gros mensonges ».

En début de semaine, la Treizième Chaîne a rapporté, sans citer une source, que la directrice générale du ministère des Finances, Keren Terner Eyal, envisageait également de démissionner, même si elle a été spécifiquement assignée au ministère par Katz après avoir dirigé le ministère des Transports sous ses ordres pendant plusieurs années.
Le comptable général Roni Hizkiyahu pourrait également être sur le point de partir, selon le rapport.
Le mois dernier, Netanyahu a fustigé les responsables du ministère des Finances qui se seraient opposés à son plan de distribution de l’aide financière à tous les adultes israéliens, une stratégie qui a suscité une réaction virulente – de la part des experts économiques, des dirigeants de l’opposition et des membres du public qui affirment que l’aide devrait aller aux populations en difficulté du pays, et non à celles qui n’ont pas été gravement touchées par la crise du coronavirus.
« Il est inconcevable que des bureaucrates informent les médias des décisions prises par le gouvernement et s’efforcent de les contrecarrer. Nous ne l’accepterons pas », a posté Netanyahu sur Facebook. Le Premier ministre n’a pas nommé les officiels, mais a partagé un message du député Likud Shlomo Karai qui comprenait une grande photo du chef du département du budget Shaul Meridor.