L’extradition de Malka Leifer reportée en attente d’une énième expertise
La juge a renoncé à statuer contre la pédophile présumée recherchée en Australie et a ordonné qu'un nouveau panel soit réuni pour évaluer son aptitude mentale à être extradée
Jacob Magid est le correspondant du Times of Israël aux États-Unis, basé à New York.
Le tribunal du district de Jérusalem a renoncé à statuer lundi matin sur l’aptitude mentale de Malka Leifer, accusée de 74 chefs d’accusation d’abus sur mineurs en Australie, qui a demandé son extradition. Il a ordonné qu’un panel de psychiatre se réunisse et fournisse ses recommandations d’ici au 10 décembre.
Comme on s’y attendait, la juge Chana Lomp a déterminé qu’elle ne disposait pas suffisamment de preuves pour pouvoir tirer elle-même des conclusions, compte tenu des avis juridiques contradictoires sur la compétence mentale de Leifer.
La décision prolonge davantage les procédures contre l’ancienne directrice de l’école ultra-orthodoxe pour fille de Melbourne Adass Israël, recherchée en Australie pour 74 chefs d’accusation d’abus sexuels contre au moins 12 filles.
Leifer avait quitté l’Australie en 2008 avec l’aide des membres du conseil d’administration de l’école lorsque les accusations à son encontre avaient émergé.
Alors que trois psychiatres de district de Jérusalem avaient déterminé dans des avis juridiques soumis à la cour que Leifer simulait une maladie mentale, le psychiatre en chef du district, le Dr Jacob Charnes, avait modifié sa décision à trois reprises et avait récemment recommandé la constitution d’un nouveau comité psychiatrique, pour réaliser une nouvelle évaluation.
Leifer a déjà été examinée par des dizaines de professionnels de santé, et trois psychiatres ont déjà attesté qu’elle simulait sa maladie.
L’idée du nouveau panel a été recommandée par le psychiatre en chef du district de Jérusalem, le docteur Jacob Charnes, qui a changé d’opinion à plusieurs reprises.
Au mois d’avril 2015, Charnes avait signé un avis juridique affirmant que la pédophile présumée était apte à être envoyée vers l’Australie. Au mois de décembre de la même année, il était revenu sur sa conclusion dans un autre avis en direction du tribunal. Après la nouvelle arrestation de Leifer, en 2018, les psychiatres avaient remis à jour une évaluation dans laquelle ils estimaient, une fois encore, qu’elle était en mesure d’être extradée.
Charnes avait alors refusé de signer le document pendant plusieurs mois avant de finalement le ratifier. Toutefois, quand le psychiatre avait été interrogé par la défense concernant son évaluation, à la fin de l’année dernière, il avait expliqué au tribunal recommander un examen supplémentaire de Leifer – une proposition rejetée par les deux parties.
Le mois dernier, la police a recommandé la mise en examen du vice-ministre de la Santé Yaakov Litzman pour fraude et abus de confiance car il aurait exercé des pressions sur les employés de son bureau pour changer les conclusions de leurs évaluations psychiatriques en déclarant Leifer inapte à une extradition.
Litzman, pour sa part, a nié tout acte répréhensible, maintenant qu’il s’efforçait d’apporter une réponse, sans préjugés, aux demandes d’assistance reçues par son bureau.
Un membre de l’équipe légale a confirmé au Times of Israël que Charnes aurait subi des pression. S’il a été interrogé sous caution, la police n’a pas recommandé son inculpation dans l’affaire Litzman.
Etant donné que le vice-ministre n’a pas encore été mis examen, les éléments impliquant Charnes et Litzman ne sont pas recevables dans le procès Leifer.
Cohen avait néanmoins ordonné qu’elle apparaisse tous les six mois devant une commission médicale qui déciderait s’il fallait qu’elle continue à être soumise à un traitement psychiatrique.
Suite à une opération sous couverture qui avait semé le doute sur son réel état psychologique, Leifer avait été arrêtée une nouvelle fois au mois de février 2018 et est depuis restée en détention.
L’opération avait été lancée sur demande d’Interpol après l’obtention d’images la montrant se déplacer dans sa ville de résidence sans difficulté apparente.
L’ONG Jewish Community Watch (JCW) avait en effet engagé des détectives privés, lesquels avaient caché des caméras dans l’implantation ultra-orthodoxe d’Emmanuel où Leifer et sa famille avaient trouvé refuge. Les images des caméras de vidéo-surveillance ont montré qu’elle se déplaçait en ville sans difficulté apparente.
Chana Lomp, juge de la cour de district de Jérusalem chargée du dossier de Leifer depuis sa dernière arrestation, avait alors ordonné qu’elle continue à apparaître devant le panel tous les six mois.
Début juillet, un responsable médical avait confirmé au Times of Israël que le panel médical convoqué par Cohen, tentait d’établir que Leifer simulait sa maladie mentale, ce qui permettrait à Lomp de prendre une décision finale lundi, plutôt que de déférer un autre groupe de psychiatres.
Ce dernier devait se réunir encore une fois le 11 juillet, une rencontre pendant laquelle ses membres devaient prendre connaissance de documents supplémentaires qu’ils avaient demandé avant de prendre une décision.
Mais l’avocat de Leifer, Yehuda Fried, était malade et la réunion avait été décalée d’une semaine. Elle a été de nouveau annulée après que l’avocat est parti en vacances, a déclaré un responsable médical au Times of Israël.
Les deux parties se sont rencontrées jeudi mais l’audience a été une nouvelle fois reportée après que le président a accepté une requête de Fried, qui demandait le départ d’un médecin qui, selon le juriste, avait des préjugés contre sa cliente. Après l’issue des audiences du mois d’août, le panel a décidé de reporter sa décision à l’audience de lundi.
Les avocats de Leifer se sont opposés à l’idée de former un nouveau panel parce qu’il « sera difficile de trouver des experts médicaux objectifs qui n’ont pas été intimidés par les médias » et ont demandé à ce que des professionnels du secteur privé soient sollicités. L’équipe de défense à régulièrement fait venir des médecins du monde entier pour attester de l’inaptitude mentale de Leifer, contredisant l’expertise menée par les trois psychiatres du tribunal de Jérusalem.
Si Lomp a rejeté la « méfiance » de la défense à l’égard des membres de la fonction publique, elle a accepté de déterminer la composition du panel au cours d’une audience prévue le 6 octobre.
L’équipe de défense, composée des avocats Tal Gabay et Yehuda Fried, a semblé satisfaite de la décision de Lomp, déclarant aux journalistes devant la salle du tribunal que la juge avait rejeté l’affirmation des procureurs qui estiment que Leifer simule sa maladie mentale.
Fried a déclaré qu’il avait l’intention de soumettre une requête pour que sa cliente soit immédiatement libérée de la maison d’arrêt pour femmes Neve Tirza.
L’adjointe au maire de Jérusalem Fleur Hassan-Nahoum s’est ensuite adressée aux journalistes et a déclaré que l’interprétation de la décision de Lomp par la défense était « incroyablement cynique ».
« Ils déplorent l’ingérence de Litzman dans l’affaire, mais ensuite affirment que les seules opinions recevables sont celles dans lesquelles il est intervenu », a-t-elle dit, fustigeant davantage l’insistance de la défense à obtenir des consultations psychiatriques privées pour obtenir une évaluation de Leifer.
« Pourquoi ont-ils peur d’un panel neutre ? », s’est interrogée Hassan-Nahoum.
La décision de justice a été assez mal reçue par les victimes présumées de Leifer et par les groupes de défense des droits de l’Homme.
« Nous n’avons pas vu la justice aujourd’hui », ont déclaré trois des accusatrices de Leifer, les soeurs Dassi Ehrlich et Ellie Sapper et Nicole Meyer. Elles avaient prévu de venir en Israël pour l’audience de lundi, avant de changer d’avis.
« Cinq ans, 57 audiences et plus d’une trentaine de psychiatres ont été mobilisés pour déterminer si Malka Leifer est en mesure de comprendre les accusations retenues contre elles. Comment est-ce que cela ne suffit pas ? Combien d’autres psychiatres doivent intervenir ? Combien de souffrances émotionnelles [doit-on encore subir] ? Nous sommes vaincues mais nous n’abandonnerons pas », ont déclaré les soeurs dans un communiqué.
Le 2 septembre, Dassie Erlich avait écrit sur Facebook que « deux des trois [issues possibles ce l’audience] se traduiront par un report significatif du processus. Pour le moment, nous trois sommes mentalement et émotionnellement épuisées. Nous avons décidé de reporter notre voyage en Israël jusqu’à ce qu’il y ait davantage de certitude sur cette longue procédure ».
Dimanche, elle avait déclaré au Times of Israël qu’elle « espérait pour le mieux mais s’attendait au pire ».
L’ONG Jewish Community Watch, qui soutient les victimes d’agression sexuelles, a déclaré dans un communiqué que « la véritable décision prise par la cour aujourd’hui est qu’elle souhaite être perçue comme une honte internationale au lieu d’un système de justice qui protège les plus vulnérables ».
L’affaire Leifer a été surveillée de près par la communauté juive en Australie et par le gouvernement à Canberra, qui a évoqué le sujet avec plusieurs membres du gouvernement israélien, notamment le Premier ministre Benjamin Netanyahu. Le vice-ambassadeur d’Australie Steven Yates a assisté à l’audience de lundi.
Dans un communiqué en réponse à une demande du Times of Israël, un porte-parole de l’ambassade a répondu que « le gouvernement australien continue à surveiller cette affaire de près. Si les reports répétés sont décevants, nous voulons toujours que Malka Leifer soit extradée et traduite en justice en Australie ».
En l’an 2000, Leifer avait été recrutée pour travailler à l’école ultra-orthodoxe pour filles Adass Israel à Melbourne.
Lorsque les accusations d’abus sexuels avaient émergé à son encontre, huit années plus tard, les membres du conseil d’administration de l’établissement scolaire avaient acheté à cette mère de huit enfants un billet pour Israël dans un vol de nuit pour lui permettre d’échapper à une inculpation.