L’histoire insolite d’un Juif britannique pendant la Seconde Guerre mondiale
Dans une bande-dessinée, Jonathan Sandler donne vie à la série d'improbables événements qui a finalement amené son grand-père à combattre les nazis au sein de l'armée américaine
Au mois d’août 1939, Bernard Sandler, un adolescent juif originaire de Leeds, en Angleterre, était parti en voyage scolaire au Canada et aux États-Unis. Un voyage qui devait changer le cours de sa vie d’une manière qu’il n’aurait jamais pu imaginer.
Deux mois avant qu’il ne fête son 17e anniversaire, Sandler avait visité avec joie et avec beaucoup de plaisir les villes de Québec, Montréal, Toronto, ainsi que les chutes du Niagara. Et au moment où lui et ses camarades découvraient New York avec admiration, la guerre avait éclaté en Europe.
Traverser l’Atlantique était alors dangereux, parce que les Allemands n’hésitaient pas à prendre pour cible les navires britanniques. Si certains camarades de Sandler avaient eu l’audace d’entreprendre le voyage, ses parents lui avaient conseillé de rester aux États-Unis. Des amis de la famille l’avaient accueilli pendant quelques années, mais il s’était senti fondamentalement bloqué, pris au piège – seul dans un pays éloigné, sans savoir quand il pourrait enfin rentrer chez lui.
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La bande-dessinée The English GI du petit-fils de Sandler, Jonathan Sandler, qui a été récemment publiée, raconte le passage forcé à l’âge adulte de l’adolescent au cours des six années qui devaient s’écouler après son arrivée sur le continent américain, jusqu’à la fin de la Seconde Guerre mondiale. Sandler avait appris à prendre sa destinée entre ses propres mains, il avait été enrôlé dans l’armée américaine, il avait été naturalisé et il était devenu citoyen américain, il était parti se battre en France et il avait été blessé.
Avant d’être enrôlé, il avait profité de ce que New York avait à offrir en faisant des études supérieures, en découvrant les politiques progressistes, en découvrant la scène artistique et en rencontrant la femme qui devait finalement devenir son épouse. Il était ainsi devenu l’adulte qu’il devait ensuite rester durant toute sa vie et jusqu’à sa mort en 1998, à l’âge de 75 ans.
Sandler s’était souvenu de ce parcours dans des mémoires écrits en 1995, une année après le cinquantième anniversaire du débarquement – des mémoires qui n’avaient pas été publiés. Sandler en avait fait imprimer 50 exemplaires et il les avaient offerts aux membres de la famille.
A l’occasion d’un entretien accordé par téléphone depuis Londres, où il réside, Jonathan Sandler, 43 ans, explique au Times of Israel qu’il a eu la chance d’avoir un exemplaire des mémoires de son grand-père.
« J’avais 18 ans quand il est mort et j’ai donc eu la chance de bien le connaître. J’ai passé beaucoup de temps avec lui, en particulier à faire des activités liées à l’art, à la culture et au théâtre – des domaines qui étaient sa passion », dit Sandler.
C’est quand ses propres enfants lui ont demandé, il y a deux ans environ, ce qu’avait vécu sa famille pendant la guerre qu’il a décidé que le moment était venu de faire quelque chose des mémoires de son grand-père.
Administrateur de programme logiciel, Sandler a commencé à travailler sur The English GI pour passer le temps. C’est son premier livre et il s’est appuyé sur ses compétences acquises dans le cadre d’un cursus sur l’écriture de bande-dessinée, en utilisant une grande variété d’albums qui sont devenus autant de sources d’inspiration.
« J’arrivais à visualiser les scènes décrites par mon grand-père dans ses mémoires. J’ai choisi de faire une BD, mais ils auraient pu aussi bien devenir un film ou une pièce. J’étais enthousiaste à l’idée de redécouvrir et de revivre ses expériences en utilisant l’art », déclare Sandler.
The English GI repose, avant tout, sur les mémoires de Bernard Sandler. Le narratif principal est formé de passages de l’ouvrage, avec parfois des extraits plus longs. Il y a aussi des extraits de lettres de la famille et des documents, ainsi que des citations de figures historiques comme le Général George S. Patton, commandant de la Septième et de la Troisième armée américaine pendant la Seconde Guerre mondiale.
Sandler explique avoir délibérément choisi de ne pas inclure de dialogue dans ses dessins. Couvrir une période de six années dans un ouvrage qui se lit rapidement, et qui pourra toucher un public de tous les âges, est un défi, note-t-il. Et, dans ce cadre, ajouter des dialogues entre les personnages aurait rendu l’album trop fastidieux et trop long (l’épilogue et l’annexe de 42 pages, dans l’album, représentent à eux seuls presque la moitié du livre).
Sandler, soucieux d’exactitude, s’est aussi lancé dans des recherches historiques.
« J’ai eu le sentiment que c’était très important pour moi de tout bien comprendre au sujet de l’époque où mon grand-père était dans l’armée et où il combattait, et j’ai dû faire des recherches là-dessus », dit Sandler.
Il est parvenu à mettre la main sur les mémoires écrits par neuf soldats qui avaient servi aux côtés de son grand-père au sein de la 26e Division d’infanterie de l’armée américaine, connue sous le nom de la « Division Yankee » – rappelant les six états de Nouvelle Angleterre dont les unités de la garde nationale avaient peuplé la division pendant la Première Guerre mondiale.
Deux de ces mémoires avaient été écrits par des hommes juifs : Robert Kotlowitz (le père d’Alex Kotlowitz, journaliste lauréat) et Benjamin Kaplow. Sandler a ajouté des scènes décrites par les deux hommes dans sa bande-dessinée et notamment le récit d’un office de Rosh HaShana, dans un camp boueux de France. Sans Sophar, ils avaient utilisé un clairon de l’armée. Kotlowitz s’inquiétait de ce que le « H » (pour hébreu ou Juif) figurant sur sa plaque d’identité ne le mette en péril s’il devait être capturé par les Allemands.
Dans ses mémoires, Bernard Sandler évoquait l’inquiétude de sa famille au sujet de la propagation rapide du nazisme dans l’Europe des années 1930, et sa préoccupation face à l’apparition de fascistes tels qu’Oswald Mosley en Angleterre. Il ne citait par ailleurs aucune expérience directe de l’antisémitisme, une haine antisémite dont avaient pourtant été victimes de nombreux autres GI juifs. Il ne précisait pas non plus s’il avait choisi d’inclure une indication d’ordre religieux sur sa plaque d’identité, ou au contraire, s’il avait décidé de ne pas en faire figurer.
« Je suis sûr qu’il aurait parlé de l’antisémitisme dans ses mémoires s’il en avait directement fait l’expérience », s’exclame son petit-fils.
Sandler voulait un visuel réaliste pour The English GI, et il a fallu trouver un illustrateur en phase avec son désir. Il a eu la chance de rentrer en contact avec Brian Bicknell, artiste et illustrateur qui vit dans le Massachusetts.
« J’ai mis une annonce sur un site de travailleurs indépendants en disant que j’étais à la recherche d’un artiste. J’ai obtenu cent réponses. Brian paraissait réellement intéressé et il n’était pas dérangé par mon insistance à micro-gérer le projet. Je voulais garder le contrôle total du projet. On a travaillé ensemble image par image », explique Sandler.
L’auteur a fait toutes les recherches liées aux images, et Bicknell a fait les illustrations. Sandler reconnaît avoir été intransigeant sur les détails en arrière-plan et sur la cohérence des vignettes qui forment tout l’album.
« Les images des personnages n’avaient pas à ressembler de manière absolue aux personnes réelles, mais je voulais qu’elles soient cohérentes. Par exemple, je ne suis pas sûr que mon grand-père ait porté des lunettes à l’époque mais nous avons pris la décision de le dessiner avec des lunettes et nous nous y sommes tenus sur toutes les illustrations », indique Sandler.
L’auteur a fait appel à BK Suru, une entreprise indienne, pour créer la couverture et assumer la conception globale de l’album.
Des croquis d’événements ayant eu lieu entre le mois de mai et le mois de novembre 1944, des croquis qui avaient été dessinés par Victor Lundy, qui avait également servi dans la 26e division d’infanterie, ont été aussi d’une grande aide pour Sandler et Bicknell. Lundy, qui devait devenir un architecte célèbre, a depuis offert ses carnets de dessin à la Bibliothèque du Congrès américain.
Comme Bernard Sandler, Lundy avait aussi participé au Programme de formation spécialisé de l’armée américaine, un programme d’ingénierie d’élite proposé dans diverses universités, qui s’était achevé quand le haut-commandement militaire avait décidé qu’il avait besoin d’un plus grand nombre d’hommes sur le front.
« On avait été sélectionnés, on était les intellectuels… On devait initialement devenir des capitaines dans le corps d’ingénierie, aider à reconstruire l’Europe et évaluer les dégâts après la fin de la guerre. Mais l’impensable est arrivé », avait commenté Lundy.
Sandler et Lundy avaient été envoyés en France au mois de juin 1944, et les deux soldats avaient été blessés sur le front au mois de novembre de la même année.
Jonathan Sandler pense que l’histoire de son grand-père a été unique dans la mesure où il n’a jamais pu trouver d’exemple d’autres citoyens britanniques – notamment Juifs – ayant combattu au sein de l’armée américaine pendant la Seconde Guerre mondiale. Or, les statistiques recueillies après la guerre semblent indiquer que Bernard Sandler n’a pas été seul à avoir un tel parcours.
Approximativement 550 000 Juifs se sont battus pour l’armée américaine sur tous les fronts confondus pendant la Seconde Guerre mondiale. 10 000 sont morts au combat et 9 000 ont été faits prisonniers de guerre en Allemagne.
« Les Juifs nés à l’étranger ont occupé de nombreux rôles dans les forces armées américaines et ils ont apporté une contribution significative à la victoire des Alliés », explique Kimberly Guise, conservatrice et directrice des affaires curatoriales au sein du musée national de la Seconde Guerre mondiale, dans la Nouvelle Orléans.
Guise souligne le rôle tenu par les réfugiés juifs d’Europe centrale, qui utilisaient leurs compétences linguistiques pour servir dans les services de renseignement américains. Des statistiques collectées par le département américain de la Justice, de l’Immigration et de la naturalisation, qui avaient été publiées en 1948, soulignent la possibilité que d’autres Juifs britanniques aient pu aller au combat en portant l’uniforme américain.
Un peu plus de 25 000 citoyens britanniques s’étaient inscrits ou avaient été enrôlés dans l’armée américaine entre 1940 et 1945. Plus d’un tiers d’entre eux avaient ensuite été naturalisés, devenant des citoyens américains. Entre 1942 et 1945, 22 500 civils et militaires nés en Grande Bretagne avaient pris la citoyenneté américaine. Bernard Sandler avait été l’un d’entre eux.
Sandler avait épousé sa femme, Taube, et le couple était retourné en Angleterre après la guerre. Ils avaient eu deux enfants. Sandler avait repris le commerce de vente au détail de sa famille, se mettant cette fois à l’unique service de son couple, de sa famille et de sa communauté.
« Il est retourné en Angleterre parce qu’il était incroyablement proche de sa famille et qu’il voulait rattraper le temps perdu », explique son petit-fils. « Mais il n’a jamais parlé de ce qu’il avait vécu pendant la guerre et je regrette, pour ma part, de ne l’avoir jamais interrogé là-dessus ».
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