L’homme préhistorique d’il y a un demi-million d’années était-il sentimental ?
Une étude de l'université de Tel Aviv réalisée à Revadim, un lieu d'implantation préhistorique, examine les motivations autour de la réutilisation des outils en silex
Amanda Borschel-Dan édite la rubrique « Le Monde Juif »
Une nouvelle étude interdisciplinaire qui s’est basée sur la comparaison entre les différentes altérations identifiées sur des objets découverts pendant des fouilles sur le site préhistorique très riche de Revadim s’est donnée pour but d’aller au-delà des faits pour explorer les sentiments de ces premiers hommes.
En comparant les couches de surface des objets avec les signes d’usure apparaissant sur ces derniers, les scientifiques ont remarqué que dans de nombreux cas, les outils en silex montrant un modèle de « double patine » avaient été utilisés, abandonnés, légèrement modifiés et réutilisés de manière différente.
L’étude, intitulée « Fonctionnement, histoires de vie et biographies des outils en silex du paléolithique inférieur découverts dans le Revadim acheuléen », est parue dans le prestigieux journal scientifique Scientific Reports.
Au-delà de ces doubles usages, les conclusions des chercheurs se penchent sur les motivations qui ont pu amener l’homme préhistorique à choisir de recycler de vieux objets en silex plutôt que d’utiliser une matière première qui était largement disponible pour en fabriquer des neufs.
« Nous disons que l’homme préhistorique était ‘plus intelligent’ qu’on l’imagine de plus abord. Qu’il avait ses propres besoins et que tout ne venait pas de contraintes économiques », explique Bar Efrati, étudiante en doctorat, qui a co-dirigé l’étude avec le professeur de l’université de Tel Aviv Ran Barkai, du département d’archéologie et des cultures anciennes du Proche-Orient au sein de la faculté des Sciences humaines.
« Indépendamment de qui avait collecté ces objets et dans quelles circonstances, nous présumons que leur sélection, leur rassemblement et leur recyclage étaient intentionnels, parfaitement conscients et effectués de manière régulière par les premiers êtres humains de l’époque du paléolithique inférieur », écrivent les auteurs.
En d’autres termes – et contrairement à l’idée populaire qui prédomine – l’homme préhistorique « ne se contentait pas de chasser et de trouver un endroit où dormir », déclare Efrati lundi au Times of Israël.

Cette étude a été menée en collaboration avec la docteure Flavia Venditti de l’université de Tubingen, en Allemagne, et avec la docteure Stella Nunziante Cesaro de l’université Sapienza à Rome, en Italie, et elle entre dans le cadre d’une recherche collaborative en cours.
Revadim, qui se trouve à 40 kilomètres au sud de Tel Aviv, aux abords du kibboutz Revadim, dans la plaine côtière du sud, est un site qui remonte à entre 300 000 et 500 000 années et les vestiges qui y ont été trouvés semblent remonter à la période de la fin de la culture acheuléenne au Levant, selon l’article. Le site était naturellement riche et il a été un lieu d’implantation prisé par les êtres humains pendant longtemps.

Comme base de leur enquête en laboratoire sur leur hypothèse d’objets « à double patine », l’équipe de chercheurs a sélectionné un échantillonnage de 49 objets qui se distinguaient « par deux cycles de vie ». La patine est l’altération chimique qui survient avec le temps et dans certaines conditions environnementales et chimiques à la surface d’un certain nombre de matériaux, souligne l’article. La double patine traduit deux périodes de préservation – qui se révèlent dans le développement de patines différentes.

« L’étude actuelle porte sur un échantillon de 49 ‘vieux’ objets patinés qui ont servi de base pour fabriquer de ‘nouveaux’ outils. Ce sont des objets qui montrent donc une ‘vieille’ surface patinée émiettée avec une retouche nouvelle, minimale et spécifique, qui dévoile la surface du nouveau silex qui se trouve dessous », écrivent les auteurs.
Selon Efrati, dans la mesure où la fabrication d’outils était déterminante dans leur vie et pour répondre à leurs besoins, les hommes préhistoriques savaient très bien quand un morceau de silex avait déjà été utilisé en se basant sur sa forme et sur les « cicatrices » laissées sur le silex par le travail. Ces objets étaient créés en érodant une masse de pierre. Les outils réutilisés, pour leur part, n’étaient que légèrement retravaillés, préservant les usures visibles de l’objet original.
« En regardant ces ‘cicatrices’ d’usure en plus de la patine – cela nous raconte toute une histoire. Si nous, les spécialistes, sommes parvenus à les voir, aucun doute que les hommes et les femmes préhistoriques savaient également les reconnaître parce que c’était leur vie », continue Efrati. « Vous saviez que quelqu’un avait fabriqué cet objet, qu’il était là avant vous et vous vouliez le préserver visuellement tout en l’utilisant encore », poursuit-elle.

Mais la question reste : pourquoi récupérer et légèrement modifier ces vieux outils pour les réutiliser ?
Selon Barkai qui s’est exprimé dans un communiqué de presse de l’université de Tel Aviv, « plus nous étudions les premiers êtres humains, plus nous apprenons à les apprécier, à apprécier leur intelligence et leurs capacités. De plus, nous découvrons qu’ils ne sont pas aussi différents de nous que nous pourrions le penser. Cette étude suggère que les collectionneurs et l’envie de collectionner pourrait être aussi vieille que l’humanité. Tout comme nous, nos ancêtres attachaient une grande importance aux objets anciens, ils les préservaient comme objets de mémoire – un lien avec des mondes plus anciens et des lieux importants ».
Ou, comme le dit Efrati plus simplement, « il y a peut-être quelque chose de l’ordre du sentimental là-dedans ».