L’horreur de la mort des adolescents n’interdit pas de futurs échanges
Le sentiment de solidarité vu dans l’effusion de tristesse après la mort des adolescents est caractéristique de l’identité israélienne
Les trois jeunes sont morts : Eyal Yifrach, Gil-ad Shaar et Naftali Fraenkel ont été enlevés en Cisjordanie. Le but ? Suivre les instructions qui s’appliquent généralement pour renouveler le succès de l’enlèvement de Gilad Shalit entraînant la libération de 1 027 prisonniers palestiniens dont la plupart sont de violents terroristes avec du sang sur les mains.
Ils ont été relâchés en échange d’un retour sain et sauf du soldat israélien.
Pendant 18 jours, les Israéliens, les dirigeants politiques et la presse n’ont parlé que de cela. Sont-ils en vie ? se demandaient les Israéliens. Si oui, pourquoi les ravisseurs n’ont pas annoncé de revendications ?
18 jours d’opération et d’arrestations incessantes au cours desquelles 400 Palestiniens, pour la plupart des membres du Hamas, ont été arrêtés. Les recherches ont nécessité de la collecte d’informations et une confrontation ouverte avec les organisations palestiniennes.
L’Autorité palestinienne a apporté son assistance en matière de renseignement, avec aussi les appels publics en arabe de son président Mahmoud Abbas pour un retour des adolescents : ce geste lui a valu la gratitude des mères des adolescents et les accusations de trahison du Hamas et au moins celle d’un député arabe israélien de la Knesset.
Pourtant, après trois semaines, les jeunes n’ont pas été trouvés. Certains politiques israéliens ont fait le lien avec Shalit, critiquant la volonté israélienne de conclure des accords avec les terroristes pour sauver Eyal, Gil-ad and Naftali.
Une chose est sûre, les échanges de prisonniers continuent d’exaspérer et de faire enrager de nombreux israéliens, et même de nombreux soutiens d’Israël à l’étranger. Est-il possible que les dirigeants israéliens ne se rendent pas compte que les échanges de prisonniers créent de fortes incitations vers de nouveaux enlèvements ?
Néanmoins, si le coût des échanges du passé est devenu évident, les Israéliens ont également conscience que si les adolescents étaient en vie et hors de portée des services de sécurité israéliens et si le Hamas avait exigé la libération de terroristes en échange du retour des trois jeunes garçons, alors les politiciens israéliens auraient considéré qu’il était presque insoutenable de les laisser aux mains des ennemis.
Pour le Hamas, l’échec de cet enlèvement n’entraîne pas de changement fondamental dans sa stratégie.
La « réussite » de l’opération Shalit, succès au sens où des prisonniers palestiniens ont été libérés, avec la grande ampleur de l’effusion de tristesse après les meurtres des adolescents, ont confirmé au Hamas que l’efficacité des enlèvements n’a pas diminué.
La politique palestinienne n’a pas atteint le point où les critiques du Hamas souligneraient clairement que son attitude belliqueuse a conduit à une décennie de ruine pour la société et l’économie de Gaza.
Comme les dirigeants du Hamas, le Hezbollah libanais et d’autres groupes l’ont dit ouvertement dans de nombreux discours à la suite de précédents échanges de prisonniers, les enlèvements sont le point faible d’Israël.
Les ennemis d’Israël considèrent que cette faiblesse revête une importance stratégique.
Les Israéliens ont beau être militairement puissants, leur seuil de douleur reste pourtant bas.
D’une certaine manière, le mouvement national palestinien dans son ensemble continue à définir l’Etat d’Israël comme une plante sans racines dans cette terre. Ils perçoivent Israël comme une armée puissante et transitoire soutenue par une politique fondamentalement instable.
Le Hamas croit qu’Israël continuera à négocier la libération de prisonniers palestiniens, y compris de meurtriers en échange du retour d’un des siens. Et il a peut-être raison.
Un pays libre
Les Palestiniens perçoivent la faiblesse israélienne dans le pathos avec lequel l’Etat juif présente la mort des jeunes enlevés. D’autres le trouvent ailleurs. La théorie peut-être la plus populaire et la plus répandue, au moins à l’ouest, veut que la chute d’Israël vienne après l’effondrement de ses institutions démocratiques. Selon les critiques, la démocratie d’Israël est menacée.
Ce sentiment a une longue histoire.
En 1977, lorsque le Parti travailliste a essuyé sa première défaite électorale après 29 années au pouvoir, beaucoup à gauche ont prévenu que la victoire du parti de droite Likud conduirait le pays au fascisme.
Lorsque le processus d’Oslo a créé un désaccord profond dans la population israélienne, allant même jusqu’à l’assassinat du Premier ministre, on considérait que l’édifice entier des institutions démocratiques israéliennes était sur le point de s’effondrer.
Plus récemment, la démocratie israélienne a été clairement menacée par les projets de loi présentés à la Knesset par l’extrême droite que certains considéraient comme des restrictions de la liberté et comme une critique injuste du gouvernement.
A en juger par ses critiques, la démocratie israélienne est sur le point de s’effondrer depuis des générations.
La démocratie israélienne a pourtant bien miraculeusement survécu au mandat de Premier ministre de Menachem Begin, à l’assassinat de Rabin et même aux projets de lois « antidémocratiques » des années récentes.
Oui, après toutes ces déclarations pessimistes, la démocratie israélienne tient encore debout.
Malgré 70 ans de guerre permanente, de rapports politiques amers et conflictuels, des fractures ethniques et religieuses profondément enracinées, les élections israéliennes sont toujours libres, la presse est plus cacophonique et critique que jamais, les tribunaux sont indépendants et les minorités disposent des mêmes droits que les autres citoyens.
A dire vrai, on ne sait pas clairement comment la démocratie israélienne survit encore. Bernard Lewis, universitaire spécialiste du Moyen-Orient, s’est étonné du fait que la grande majorité des Juifs (95 % selon son calcul) qui sont arrivés en Israël au 20ème siècle venaient de pays sans aucune tradition de libertés démocratiques et d’institutions libérales, la Russie tsariste ou soviétique, l’Irak ou le Yemen.
Malgré l’absence d’une vraie expérience de la démocratie, d’un débat public libre, une tradition intellectuelle démocratique ou même une constitution, les Israéliens se comportent simplement, depuis le tout début du sionisme politique, comme des démocrates.
Comment la démocratie israélienne a-t-elle survécu aux difficiles épreuves que le nouvel Etat a dû supporter ? Comment fait-elle face au défi d’aujourd’hui ? Comment Israël est-il devenu une démocratie ?
Alexandre Yakobson, historien à l’Université hébraïque, fait partie du peu d’intellectuels à avoir proposé une réponse à cette question. Peut-être cherchons-nous à trouver des origines libérales à la démocratie israélienne, avance Yakobson, parce que ses racines culturelles se trouvent ailleurs : dans le sens tribal distinctif du collectivisme juif au cœur de l’identité juive.
« Il est possible que le secret de la force de la démocratie israélienne se situe dans quelque chose étant en soi difficile à adapter à une démocratie vivante : le sens pseudo tribal de solidarité juive, le sentiment répandu que nous sommes une sorte de grande famille », explique-t-il.
« La grande majorité des Juifs venus ici, de toutes origines, ne voulaient pas voir de Juifs assassinés ou emprisonnés pour des raisons politiques. Leurs motivations [pour cette magnanimité] sont définies comme étant tribales plutôt que démocratiques ».
Ces Juifs, des réfugiés de l’Europe d’après l’Holocauste et de l’Irak après Farhoud, qui ont fui les brutalités de l’Europe de l’Est du 19ème siècle et de l’antisémitisme français du 20ème siècle ne pouvaient pas supporter d’arriver dans un nouveau pays, un pays juif, pour être encore témoin du meurtre ou de la persécution injustifiés de Juifs.
« Dans n’importe quelle société où ce sentiment est fort, il est impossible de mettre en place une dictature », souligne Yakobson. La tyrannie repose sur la peur. Si le meurtre devient intolérable dans une communauté politique particulière, alors la peur ne peut plus servir comme un mécanisme d’ordre politique.
Le peu d’exemples dans l’histoire israélienne où des Juifs ont vraiment tués d’autres Juifs soutient de manière probante l’argumentaire de Yakobson.
La destruction du bateau d’armes Altalena au large de côtes de Tel Aviv en juin 1948, le meurtre de l’activiste de l’organisation la « Paix maintenant » Emil Grunzweig à Jérusalem en 1983, l’assassinat du Premier ministre Yitzhak Rabin en 1995, tous ces exemples sont devenus des souvenirs formatifs dans la conscience nationale des Israéliens.
Dans chaque cas, les victimes étaient très controversées.
La plupart des Israéliens soutenaient la Haganah, non les combattants du Etzel à la tête de l’Altalena. La plupart des Israéliens voyaient La Paix maintenant dans les années 1980 comme un groupe radical et marginal. Près de la moitié des Israéliens considéraient les politiques de Rabin comme dangereuses pour la sécurité future de tous les Israéliens.
Dans chaque cas pourtant, l’acte en lui-même, l’échec de la solidarité juive avec le meurtre d’un Juif par un autre Juif, a fini par prendre le dessus dans notre mémoire des événements.
Dans chaque cas pourtant, l’acte en lui-même, l’échec de la solidarité juive avec le meurtre d’un Juif par un autre Juif, a fini par prendre le dessus dans notre mémoire des événements
De sa propre estimation, le plus grand succès de Menachem Begin au cours des cinq années de son activisme et de sa direction de l’Etat est venu en conséquence directe de l’escarmouche mortelle sur l’Altalena, lorsqu’il a rejeté publiquement l’idée de représailles contre la Haganah de David Ben Gurion. Des Juifs ne tueraient pas d’autres Juifs, avait-il déclaré à l’époque.
Pour « La Paix maintenant », peu d’événements ont été plus efficaces pour légitimer son message dans la décennie politiquement décisive des années 1980 que le fait qu’un opposant juif à l’organisation ait attaqué et tué un autre Juif.
Au cours du procès qui a suivi l’assassinat de Rabin, le juge a demandé au tireur Yigal Amir s’il regrettait son action. Amir a répondu qu’il éprouvait bien du regret, non pas d’avoir tué le « traitre » Rabin, mais parce qu’une des balles qu’il avait tirées sur le Premier ministre avait manqué sa cible et blessé un membre de la sécurité de Rabin.
Le plus célèbre assassin politique d’Israël, qui croyait que Dieu l’avait choisi pour arrêter le processus de paix d’Oslo en tuant son père politique, était troublé, a-t-il déclaré, par le fait qu’un autre Juif, un officier de sécurité de l’Etat d’Israël, ait été blessé dans l’attaque.
Il est dès lors bien difficile de s’engager dans des activités de violence politique lorsque le fait de blesser un officier de sécurité est perçu par l’assassin comme une violation d’un code éthique basique.
On a beaucoup écrit sur l’éthique collective au cœur de l’identité juive israélienne, le sens de la solidarité juive qui s’est développé à partir des tragédies et de brutalités du 20ème siècle. Peu sont ceux qui ont crédité cette solidarité à la création d’une politique israélienne démocratique, d’une culture du débat libre et ouverte ainsi que d’un espace public libéral.
Lorsque les dirigeants israéliens parlent d’Israël comme « à la fois juive et démocratique », la plupart des étrangers entendent une déclaration apologétique ou un simple discours de politicien.
Pourtant, depuis que la Déclaration d’Indépendance d’Israël a articulé les deux principes qui soutiennent la vie publique israélienne, l’expression est devenue une sorte d’abréviation du caractère indissociable de ces deux engagements : Israël est libre parce qu’aucun sanctuaire pour les Juifs ne peut vraiment être autrement, et il est juif car c’est l’endroit où les Juifs peuvent aller pour être libres.
Ce sens de solidarité collective n’est pas simplement du patriotisme. C’est un récit très profondément ancré et constituant une identité enracinée dans une série de souvenirs historiques. Il est conforté par le sentiment d’une culture et d’un destin partagés. C’est la raison d’être d’Israël.
Les coûteux « succès » du Hamas
Il n’est pas surprenant que le Hamas et d’autres mouvements politiques palestiniens n’apprécient pas les avantages qu’Israël a tirés de cet engagement : l’économie, l’armée, les avantages sociaux et autres bénéfices des démocraties.
Dans sa prise de la bande de Gaza en 2007, le Hamas a cherché à intimider ses opposants en jetant des Palestiniens, les combattants du Fatah et d’autres groupes en compétition, des toits des immeubles. La persistance du groupe à considérer que ses enlèvements constituent des « réussites » rejoint cette même logique de brutalité.
Les Palestiniens ont déjà payé le prix fort pour le dernier enlèvement. Au moins six Palestiniens ont été tués dans des confrontations avec les troupes militaires à la recherche des adolescents en Cisjordanie.
Des centaines de Palestiniens, principalement des membres du Hamas, ont été emprisonnés en Israël au cours de 18 jours de recherches. A Gaza, le Hamas est pourtant prêt à entraîner les habitants assiégés dans une nouvelle série d’affrontements avec Israël.
Les Palestiniens peuvent difficilement se permettre beaucoup d’autres « réussites » du Hamas.
Si la force profonde des institutions d’Israël provient au moins partiellement de sa culture de solidarité, on peut établir un lien similaire entre la facilité avec laquelle le Hamas assassine d’autres Palestiniens et le dysfonctionnement politique qui empoisonne le mouvement national palestinien.
Dans le même temps, pour les dirigeants israéliens, l’idée que de jeunes Juifs soient retenus dans un cachot ennemi loin de leurs familles et de leur peuple continuera à s’opposer aux exigences les plus basiques de la sécurité des Israéliens. La prochaine fois qu’il auront à faire le même choix difficile, les dirigeants israéliens se trouveront peut-être en position de passer un nouvel accord avec les terroristes.
Ils seront indéniablement critiqués comme étant des idiots aussi bien à l’extérieur qu’à l’intérieur du pays.
Pourtant, un récit plus profond est en jeu, une impulsion fondamentale de l’identité et de la politique juive israélienne avec laquelle les dirigeants israéliens sont à l’unisson, à laquelle ils doivent beaucoup de plus importantes forces institutionnelles d’Israël, et qu’ils ne peuvent pas ignorer.
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