Liberman, possible artisan de la crise qui le menace aujourd’hui ?
Le chef de Yisrael Beytenu pourrait être condamné à l'oubli en tombant en-deçà du seuil électoral de 3,25 % - une chute à laquelle il aura contribué par divers mauvais calculs
Marissa Newman est la correspondante politique du Times of Israël
Si le parti Yisrael Beytenu d’Avigdor Liberman devait tomber en-deçà du seuil électoral lors des élections israéliennes de mardi, comme le prédisent certaines enquêtes d’opinion, l’ancien ministre de la Défense pourrait bien avoir été lui-même à l’origine de sa propre chute.
Liberman a été, après tout, l’architecte de l’initiative même – celle de la hausse du seuil électoral à 3,25 % – qui met dorénavant en péril l’existence de sa formation. Il a également transformé un allié politique populaire en rival. Et il a quitté le ministère de la Défense il y a cinq mois sans y avoir laissé une empreinte mémorable, laissant Netanyahu rehausser ses propres prouesses en termes de sécurité dans les semaines qui ont précédé le vote électoral.
Les rumeurs portant sur la disparition de Yisrael Beytenu sont prématurées à l’heure qu’il est – les sondages ayant échoué, depuis des années, à déterminer l’issue des élections. Seuls les résultats finaux nous diront si Liberman a en effet tracé sa propre voie vers le crépuscule politique ou s’il restera un incontournable partenaire de coalition.
Mais s’il devait faillir, trois de ses mauvais calculs, au cours des cinq dernières années, méritent d’être relevés.
Le premier d’entre eux remonte au mois de décembre 2013, quand Liberman – ministre des Affaires étrangères à l’époque – et le Premier ministre Benjamin Netanyahu avaient décidé de rehausser le seuil électoral à 3,25%, une hausse qui avait été considérée par les critiques, à ce moment-là, comme une tentative visant à maintenir les partis arabes de petite taille hors du Parlement. La proposition avait été approuvée à la Knesset au mois de mars 2014.
Si l’objectif avait été réellement d’exclure les députés arabes des couloirs du pouvoir, alors l’initiative aura eu l’effet inverse que celui initialement prévu : En 2015, les partis arabes se sont unis pour former la Liste arabe unie, glanant 13 sièges à la Knesset, forte de 120 membres, et devenant le deuxième plus grand parti de l’opposition et le troisième de la Knesset. Pour sa part, Yisrael Beytenu n’a gagné que six sièges – contre 15 en 2009.
Ce n’est pas la seule initiative politique qui paraît aujourd’hui avoir mis en danger l’avenir de la formation.
La seconde a eu lieu à la mi-2016 quand Liberman – qui languissait dans l’opposition – a conclu un pacte avec Netanyahu pour rejoindre sa coalition. Cet accord qui avait placé Liberman à la tête du ministère de la Défense avait été passé sans que la numéro deux du parti, Orly Levy-Abekesis, ne soit au courant et il ne prévoyait pas qu’un portefeuille ministériel soit alloué à cette dernière – tandis que la troisième candidate sur la liste, Sofia Landver, devait devenir ministre de l’Immigration.
L’accord signé, Levy-Abekesis, furieuse, a quitté le parti, continuant à siéger au Parlement sous une étiquette indépendante. Elle a depuis fondé la formation Gesher, qui, même si elle a brièvement bénéficié d’un gain de popularité, se prépare dorénavant à ne pas franchir le seuil électoral, mardi. Mais la législatrice populaire, ardente défenseuse des questions sociales, pourrait toutefois siphonner des centaines, voire des milliers de votes à Yisrael Beytenu.
Et le troisième mauvais calcul – celui qui est le plus récent – peut avoir eu lieu il y a cinq mois lorsque Liberman a claqué la porte du ministère de la Défense pour protester contre les politiques gouvernementales à Gaza, une initiative qui avait suscité un bouleversement politique.
Sa démission avait été, dans un premier temps, considérée par certains comme une manœuvre politique somme toute judicieuse – contraignant Netanyahu à organiser des élections anticipées ou à accéder aux demandes du parti HaBayit HaYehudi de la coalition, tout en paraissant faible et redevable envers ses alliés politiques. Mais lorsque le Premier ministre a forcé Naftali Bennett, de HaBayit HaYehudi, à retirer son ultimatum – il réclamait le poste de Liberman – et que Netanyahu a récupéré le portefeuille lui-même, évitant pendant quelques semaines de plus le scénario d’un scrutin, la démission de Liberman a encore paru avoir été mal calculée en termes de timing.
Depuis qu’il a pris la tête du ministère de la Défense, Netanyahu est parvenu à superviser l’opération de destruction des tunnels du Hezbollah sur la frontière nord, à gérer des flambées de violences importantes sur la frontière avec Gaza ainsi qu’un cessez-le-feu émergent avec le Hamas – et le rapatriement de la dépouille du soldat de l’armée israélienne Zachary Baumel après 37 ans d’attente.
De plus, peu de promesses électorales se sont autant enracinées dans l’esprit des électeurs israéliens que celle faite par Liberman qui, avait-il juré, ferait assassiner le leader du Hamas Islmail Haniyeh dans les 48 heures s’il devait occuper le fauteuil de ministre de la Défense.
C’est d’ailleurs ce qui aurait pu arriver lors du récent bombardement du chef terroriste en riposte à des tirs de roquettes de Gaza – mais ordonné par Netanyahu. Ce dernier a-t-il pris cette décision par inquiétude opérationnelle pure ? Ou était-ce une pique pré-électorale à Liberman ?
Le vote russe insaisissable
Lors des derniers jours de la campagne électorale, Netanyahu s’est efforcé de rallier, dans l’urgence, les électeurs de droite autour du Likud, leur disant que sa gouvernance était menacée par le parti Kakhol lavan de Benny Gantz dans une campagne « gevalt ».
Parmi les électeurs ciblés : Les partisans va-t-en-guerre d’Yisrael Beytenu.
Porté par une lame de fond de soutien des immigrants en provenance de l’ex-Union soviétique, le parti Yisrael Beytenu a vu cette vague faiblir ces dernières années, n’arrachant que six sièges à la Knesset, forte de 120 membres, en 2015. Antérieurement, grâce à un ticket conjoint avec le Likud, en 2013, l’alliance avait gagné 31 sièges. En 2009, le parti laïc de droite avait occupé 15 sièges, ce qui reste sa meilleure performance à ce jour.
Au cours des cinq dernières années, l’importante communauté des russophones a semblé s’éloigner de la formation – un phénomène attribué aux allégations de corruption qui avaient touché Yisrael Beytenu au cours des dernières élections et à l’intégration réussie des enfants d’immigrants du début des années 1990 qui cherchent maintenant un autre horizon politique. Et d’autres partis, notamment le Likud, courtisent également l’électorat d’origine russe.
Tandis que les enquêtes consacrées au public russophone paraissent rarement dans les principaux médias israéliens, un sondage réalisé par le Times of Israel en 2015 avait révélé que parmi cette communauté, le taux d’appréciation de Liberman avait chuté d’environ 20 % (de 85 % à 66 %) en seulement un an – un changement attribué en partie aux accusations de corruption. Et ce même si Liberman n’avait pas été lui-même impliqué dans ce qui était devenu connu sous le nom d’affaire Yisrael Beytenu.
En 2014, deux tiers de russophones avaient indiqué qu’ils voteraient pour le Likud-Beytenu et 23 % avaient avoué être indécis. Une année plus tard, après la rupture avec le Likud initiée par Liberman, plus des deux-tiers des électeurs russes avaient annoncé ne pas voter pour Yisrael Beytenu – 30 % avaient par ailleurs l’intention de voter pour la formation et 32 % avaient reconnu être indécis, selon cette enquête du Times of Israel.
Les études réactualisées sur le vote russe sont rares – et comme le notent les observatoires israéliens sur la transparence, elles peuvent être faussées par le fait que la majorité des sondages sont réalisés en hébreu.
Mais si la tendance décelée il y a quatre ans s’avère exacte, et que la scission de la droite a des conséquences négatives, Liberman pourrait bien se retrouver très seul mardi soir, et ne pas avoir à chercher très loin le responsable de son malheur.