L’université du Vermont a-t-elle mal géré une plainte pour antisémitisme ?
Une enquête fédérale a établi que l'établissement d'enseignement supérieur ne s'était pas penché correctement sur les problèmes de harcèlement vécus par ses étudiants juifs
Luke Tress est le vidéojournaliste et spécialiste des technologies du Times of Israël

Une enquête fédérale a établi que l’université du Vermont avait mal géré des accusations d’antisémitisme sur son campus, a fait savoir lundi le département d’État américain chargé de l’éducation. C’est la première fois que l’administration Biden émet un tel jugement dans une affaire de harcèlement d’étudiants juifs.
L’université publique de Burlington – une institution dans le Vermont, qui est aussi connue sous le nom d’UVM – et le Bureau du département de l’Éducation pour les droits civils ont annoncé un accord dans le cadre d’une plainte qui avait été déposée dans ce dossier. Selon les dispositions de cet arrangement, l’établissement d’enseignement supérieur devra prendre un certain nombre d’initiatives pour s’attaquer à ce problème du harcèlement antisémite sur son campus.
Les groupes juifs ont salué l’annonce, disant qu’elle établissait un précédent dans la lutte contre la haine anti-juive sur les campus et qu’elle démontrait que les activités anti-sionistes dans les universités flirtaient souvent avec l’antisémitisme.
Le Bureau des droits civils a indiqué que le département chargé de l’action affirmative et de l’égalité des chances au sein de l’UVM avait été dans l’incapacité d’enquêter sur les plaintes déposées par les étudiants juifs alors qu’il aurait dû le faire, et ce, même si le bureau avait fait part à l’administration « de graves accusations de harcèlement ».
Le Bureau fédéral a aussi fait remarquer que l’université avait tardé à répondre à ces accusations d’antisémitisme, qu’il « n’a pas tenté de remédier aux inquiétudes transmises par les étudiants » et notamment aux plaintes des étudiants juifs qui déploraient un climat hostile, ajoutant que cette absence de réaction avait pu décourager les personnels de l’UVM et les autres étudiants de faire part de leurs propres difficultés.
La réponse de l’université « est susceptible d’avoir permis la persistance, pour certains étudiants juifs, d’un climat hostile », a noté le Département de l’éducation.
« Tous les étudiants ont droit à un environnement où ils peuvent évoluer sans harcèlement antisémite. Nous nous assurerons que ces étudiants sont en sécurité », a dit la Secrétaire-adjointe aux droits civils américaine, Catherine E. Lhamon.
Certaines plaintes ignorées par l’université concernaient des posts antisémites publiés par les réseaux sociaux par une professeure-adjointe, a indiqué le Bureau fédéral. Cette dernière avait écrit sur Internet qu’elle n’accordait pas à ses étudiants juifs des unités de cours capitalisables et qu’elle revoyait systématiquement à la baisse leurs notes ; elle s’était réjouie du vol d’un drapeau israélien accroché dans la chambre d’un étudiant juif et elle avait écrit « Nuit de Cristal » au-dessus d’une photo montrant une vitrine endommagée, une vitrine où une inscription était écrite en hébreu.

La professeure avait dit, dans des publications sur les réseaux sociaux, que c’était « juste et c’est plutôt drôle… de ne pas donner aux sionistes des unités de cours capitalisables pour leur participation » et elle avait ajouté qu’elle enlèverait des points aux étudiants juifs parce que « j’ai horreur de votre feeling de manière générale ».
Elle avait aussi fait l’éloge « du harcèlement des sionistes » dans de multiples posts et elle avait rendu hommage à l’individu qui avait volé le drapeau israélien, disant qu’il était « cool et spécial ».
L’université avait aussi ignoré les plaintes qui évoquaient l’existence de groupes, sur le campus – notamment un groupe en soutien aux victimes d’agressions sexuelles et un club littéraire – qui excluaient d’emblée les étudiants juifs. Par ailleurs, des pierres avaient été jetées sur le bâtiment hébergeant Hillel, qui accueillait également des chambres d’étudiants juifs. Quand l’un des étudiants avait demandé aux agresseurs d’arrêter de jeter des pierres, ces derniers avaient riposté : « Tu es Juif ? »
L’université n’a pas correctement enquêté sur les incidents ; elle n’a pas interrogé la professeure-adjointe de manière appropriée et elle n’a pas informé les étudiants qui avaient été touchés par ses publications, a estimé le département de l’Éducation qui a ajouté qu’elle n’avait pas mis en œuvre sa politique sur les discriminations et déterminé si les incidents avaient fini par créer « un environnement hostile » pour les Juifs.
Le Bureau fédéral a aussi fait savoir que la réponse apportée par l’université « pouvait avoir créé un environnement hostile ». Après le lancement de l’enquête fédérale, le président de l’UVM avait déclaré, dans une lettre agressive, que les accusations étaient « tout à fait mensongères », qu’elles portaient préjudice aux étudiants juifs et il avait affirmé qu’il était convaincu que l’enquête prouverait l’innocence de son institution.
Un courrier qui avait été largement condamné par les plus importants groupes juifs américains.
L’université du Vermont a convenu, avec le Bureau fédéral, de prendre un certain nombre d’initiatives dans la lutte contre l’antisémitisme, en révisant notamment sa politique sur les discriminations, en développant de nouveaux protocoles pour le Bureau chargé de l’action affirmative, en formant ses personnels et ses administrateurs sur les questions liées au harcèlement et en diffusant un communiqué sur l’antisémitisme dans les 30 jours.

« L’UVM condamne sans ambiguïté l’antisémitisme sous toutes ses formes et elle ne le tolérera pas. Avec l’accord qui a été conclu aujourd’hui, l’UVM va redoubler d’efforts dans le but de garantir que cet engagement se concrétisera autant que possible à l’avenir, » a commenté le président de l’université, Suresh Garimella, dans une déclaration, un changement d’approche total par rapport à ses paroles antérieures sur les accusations.
Le Louis D. Brandeis Center for Human Rights Under Law, qui avait aidé à porter plainte contre l’université, a qualifié de « tournant » l’annonce faite par le département de l’Éducation.
« Elle prouve que l’OCR prend au sérieux l’une des formes de l’antisémitisme sur les campus, cet antisémitisme qui se cache sous l’antisionisme », a commenté Alyza Levin, la présidente du Centre.
Le Centre Hillel de l’université a fait savoir, pour sa part, que « les nouvelles déclarations faites par le président et par les administrateurs représentent des avancées précieuses et tangibles. Nous espérons que cela fera en sorte qu’aucun étudiant juif et qu’aucun étudiant plus largement fréquentant l’UVM, ne subira de discrimination ou de harcèlement en raison de son identité ».
L’enquête menée par le Département des Investigations était venue répondre à une plainte déposée en 2021, qui affirmait que l’université acceptait que ses étudiants juifs évoluent dans un environnement antisémite hostile sur son campus, en violation du Titre VI de la Civil Rights Act de 1964.
La loi interdit les discriminations sur la base de la race, de la couleur ou des origines dans les programmes bénéficiant d’un financement fédéral. Les discriminations antisémites ont été reconnues comme une violation du Titre VI, en 2019, par le biais d’une ordonnance de l’ancien président américain Donald Trump, ouvrant un nouveau champ de bataille juridique à tous ceux qui déplorent une recrudescence de l’antisémitisme sur les campus. L’annonce de cette semaine a réaffirmé l’usage du Titre VI dans la lutte contre les activités antisionistes dans les établissements d’enseignement supérieur des États-Unis.

De nombreux groupes progressistes, aux États-Unis, sont des critiques féroces du sionisme – une attitude qui, selon leurs critiques, verse souvent dans l’antisémitisme, servant de prétexte à la haine antijuive. La plainte contre l’université du Vermont et d’autres plaintes similaires affirment qu’une connexion à Israël fait partie intégrante de l’identité et de la religion juive et qu’en conséquent, la discrimination antisioniste se fond dans l’antisémitisme. Les antisionistes, de leur côté, déclarent que la croyance en un foyer juif en Israël constitue une discrimination à l’égard des Palestiniens.
L’UVM, qui surplombe la ville pittoresque de Burlington et le lac Champlain, est considérée comme une institution publique prestigieuse et comme l’un des meilleurs établissements publics d’enseignement supérieur de Nouvelle Angleterre. Elle compte environ 12 000 étudiants et elle a la réputation d’être un bastion du libéralisme et du progressisme.
Le Brandeis Center a déposé des plaintes qui ont entraîné des enquêtes dans un certain nombre d’universités, notamment au Brooklyn College, à l’université de Californie du Sud, à l’université de Stanford et à l’université de l’Illinois.
L’ADL (Anti-Defamation League) a fait savoir, dans le cadre d’un rapport diffusé l’année dernière, qu’il y avait eu plus de 350 incidents anti-israéliens sur les campus américains en 2021, notant que ces activités ont eu un impact négatif sur les étudiants juifs et qu’ils entraient dans le cadre d’une tendance croissante à mettre les sionistes au ban.
Un autre rapport de l’ADL, qui a été rendu public le mois dernier, a établi qu’il y avait eu 3 697 incidents antisémites aux États-Unis en 2022, un nombre record.
Le président américain Joe Biden a annoncé mercredi dans un message transmis pour Pessah qu’il allait rendre publique une stratégie « approfondie » dans la lutte contre l’antisémitisme, à travers tout le spectre politique et aussi sur les campus, une reconnaissance apparente des inquiétudes nourries par la communauté juive, qui estime que le combat contre l’antisémitisme ne doit pas uniquement se focaliser sur l’extrême-droite.
Le Département de l’Éducation a ouvert une enquête sur d’éventuelles discriminations antisémites au sein de l’université George Washington, située à Washington, DC, a indiqué mardi le groupe StandWithUs. L’université avait indiqué, la semaine dernière, que son enquête interne qui avait été lancée suite à une plainte déposée par StandWithUs, n’avait pas permis de trouver des éléments attestant d’une possible discrimination, sans par ailleurs diffuser le rapport établissant les conclusions de ses investigations.