Mais à quoi sert le ministère des Affaires étrangères ?
Les diplomates israéliens entrent dans leur deuxième semaine de grève, mais leur mouvement ne suscite que peu d'intérêt

Il y a environ quatre ans et demi, en pleine haute saison touristique, le syndicat des travailleurs de l’Autorité des aéroports d’Israël a déclaré une grève générale. Résultat : suspension de tous les vols au départ et retard de livraison des bagages des vols entrants pendant près de huit heures, au terme desquels le ministère des Finances et le syndicat sont parvenus à un accord.
Leçons à tirer : les mouvements de grève peuvent effectivement démontrer l’indispensabilité de votre fonction. D’autant plus s’ils heurtent un grand nombre de personnes, et dans ce cas précis, les objectifs peuvent être très rapidement atteints.
Pour le syndicat des travailleurs du ministère des Affaires étrangères, le mouvement de grève n’a pas fonctionné aussi bien. La semaine dernière, le syndicat a déclaré une grève générale et décidé la fermeture des portes de son siège, à Jérusalem ainsi que de 103 ambassades et consulats dans le monde entier.
Cette décision drastique et sans précédent dans l’histoire d’Israël intervient après trois semaines de sanctions de plus en plus lourdes imposées par les employés en colère. Ses sanctions comprenaient la cessation de tout contact avec les gouvernements étrangers et les Nations unies et la suspension de tous les services consulaires aux Israéliens à l’étranger. Ces mesures ont été adoptées après l’échec d’un processus de médiation de neuf mois.
« Je ne peux pas vous dire pour le moment dans combien de temps [la grève] s’achèvera », a déclaré lundi Yair Frommer, à la tête de l’Union des travailleurs, affirmant que les rapports faisant état d’une fin imminente étaient prématurés. « Cela pourrait prendre des jours, des semaines, voire plus ».
Un jour, ils déclareront une grève et personne ne suivra. Et conduire un mouvement qui n’éveille l’intérêt de seulement très peu de gens donne une image peu reluisante des grévistes. Depuis quelques mois, les éléments les plus sensibles de la politique étrangère du pays n’ont pas été traités par le ministère des Affaires étrangères, mais par d’autres organismes ou individus. Et cette réalité ne facilite pas la tâche à ces diplomates.
« La grève va, en définitive, heurter en premier lieu les diplomates eux-mêmes », a confié un ancien diplomate de haut rang au Times of Israel, la semaine dernière. « Vous êtes à la hauteur de vos menaces. Mais si vous matérialisez vos menaces, elles s’envolent. Si les menaces n’effraient pas, alors vous aurez perdu une carte importante et c’est ce que le ministère des Affaires étrangères a fait ». Ce dernier a tenu à s’exprimer sous couvert d’anonymat.
Et l’ancien diplomate, qui a occupé sa fonction pendant 20 ans, n’hésite pas exprimer ce que la plupart des Israéliens pensent de ce mouvement de grève des services du ministère des Affaires étrangères : « Les gens ne s’en soucient pas. Ils n’ont vraiment pas besoin du ministère des Affaires étrangères. »
Difficile pour les diplomates israéliens de faire adhérer le public à leur cause. Le ministre des Affaires étrangères Avigdor Lieberman et ses collègues du Trésor et du Bureau du Premier ministre ont jusqu’à présent refusé de faire des efforts significatifs pour mettre fin à la grève. Si Lieberman a admis que le statut des diplomates de niveau inférieur méritaient d’être amélioré, il a en revanche qualifié les revendications du syndicat d’absurdes et d’irréalistes, avant de déplorer la prétendue violence des grévistes.

Pour quelles raisons le corps diplomatique israélien, a priori constitué des esprits les plus brillants du pays, ne parvient pas à obtenir ce que les employés de l’aéroport ont réussi à arracher en moins d’une demi-journée ? La raison est simple : peu de personnes sont directement atteintes par le mouvement de grève.
Et tant que le mouvement ne heurtera pas davantage de personnes, il ne sera pas en mesure d’exiger plus. Certes, quelques Israéliens sont coincés à l’étranger et ne peuvent revenir, des touristes ont perdu leurs passeports, des travailleurs philippins en visite chez leurs familles ne peuvent rentrer. Et pendant un moment, on craignait que les Habad ne soient obligés d’annuler le plus grand repas de fête de Pessah au monde, organisé par leurs soins au Népal.
Mais globalement, le monde continue de tourner. Et les Israéliens, y compris les hauts fonctionnaires, continuent de vaquer sereinement à leurs occupations. Oui, le Premier ministre Benjamin Netanyahu a dû annuler sa visite prévue en Amérique latine, et quelques hauts responsables n’ont pas été en mesure de voyager en raison du refus des diplomates de délivrer des passeports diplomatiques, d’assurer leur sécurité ou d’effectuer d’autres tâches nécessaires. De même, quelques dignitaires étrangers et des délégations d’entrepreneurs ont dû annuler leur déplacement prévu en Israël, à l’instar de Mswati III , le roi du Swaziland, ou du président de Micronésie, Emanuel Mori.
Mais d’autres dignitaires se sont rendus en Israël et ont participé à des réunions comme si de rien n’était. Le chef de l’armée américaine, Martin Dempsey, le ministre luxembourgeois des Affaires étrangères Jean Asselborn et d’autres hauts responsables sont arrivés pendant la grève pour rencontrer leurs homologues israéliens.
La visite attendue du Premier ministre britannique David Cameron et son discours à la Knesset se sont bien déroulés, malgré l’annonce que le ministère des Affaires étrangères n’interviendrait pas. L’ambassadeur israélien à Londres, Daniel Taub, a souligné que lui et ses collègues « avaient fait des efforts intensifs » pour préparer la visite « pendant des mois » avant qu’elle n’ait lieu.
Même la visite en mai du pape François devrait se dérouler comme prévu. L’archevêque Giuseppe Lazzarotto, l’envoyé en chef du Vatican en Israël, a confirmé au Times of Israel cette semaine la visite malgré quelques « complications. » La grève ne représente pas un obstacle, car Israël et le Vatican avaient conclu du programme avant le début de la grève.
De hauts responsables israéliens ont également rencontré quelques problèmes pour se rendre à l’étranger mais leur voyage n’a pas été impossible. La semaine dernière, Lieberman s’est rendu en Grèce et cette semaine, le président Shimon Peres se trouve en Autriche.

Les responsables de ministère des Affaires étrangères affirment que la visite du président avait été préparée longtemps à l’avance. Ils ont indiqué que Lieberman s’est rendu en Grèce sans aucun diplomate, probablement pour manifeter son mécontentement vis-à-vis de la grève. Ils ont ajouté qu’en ce qui concerne Lieberman, il s’agit d’une visite de routine.
Mais une réunion bilatérale sans aide de diplomates formés qui prennent note et préparent le suivi « n’a aucun sens, » souligne un responsable du ministère.
En plus de faire obstacle aux visites officielles, l’arrêt des services consulaires semble être la meilleure arme des diplomates. Mais même cela peut être contourné, indique un haut diplomate. Il n’a pas tort. Le ministère de l’Intérieur s’est assuré que les athlètes, attendus à Tel Aviv la semaine prochaine pour le championnat d’Europe d’haltérophilie, reçoivent les documents nécessaires à leur arrivée.
En somme, la grève est, au mieux, une nuisance. La grève ne nuit pas de manière drastique au bon fonctionnement de la politique étrangère israélienne.
En tout cas, c’est comme cela que le reste du monde le perçoit. D’autres observateurs affirment que les diplomates font un travail essentiel, même si leurs efforts ne sont pas directement ressentis. Selon Edward Luttwark, un associé du Center for Strategic and International Studies aux États-Unis, « les dégâts énormes causés par la grève ne font aucun doute. »
La plupart des dégâts causés à Israël n’ont rien à voir avec les visites importantes annulées ou les passeports volés irremplaçables. « Le fait est qu’il y a de nombreux éléments qui frustrent en raison de ce qui n’est pas fait à cause des sanctions, » a affirmé Taub, l’ambassadeur israélien à Londres, au Times of Israel.
« Lorsque des missiles sont tirés sur Israël, ou que des armes sont interceptées [sur des navires comme le Klos-C] – nous en faisons normalement d’importants exposés et attirons l’attention des médias. »
En raison de la grève, ni réunion, ni exposé ne se tiennent, et aucune newsletter ou message ne sont publiés sur Facebook ou Twitter.
Les diplomates ne sont même pas censés s’adresser à la presse de manière organisée. Taub a accepté de parler de la grève au Times of Israel, mais a refusé de s’exprimer sur quoi que ce soit d’autre.
« Nous entendons énormément les dirigeants israéliens et les dirigeants de la communauté juive dans le monde s’exprimer sur l’importance qu’ils attachent au combat contre la délégitimation et le mouvement BDS [Boycott, désinvestissement et sanctions], de s’assurer que l’image d’Israël soit améliorée, etc. Il est dur d’entendre ces affirmations quand on connaît la manière dont sont traités les diplomates israéliens à l’étranger, qui sont en première ligne de ce combat, » fait remarquer Taub.
Le mouvement de boycott contre Israël atteint de plus en plus de campus américains et le ministère des Affaires étrangères est le mieux placé pour aider à calmer le jeu, selon l’ancien ministre adjoint des Affaires étrangères, Danny Ayalon. Ayalon a été diplomate pendant 20 ans et enseigne actuellement à la Yeshiva University de New York.
« Il s’agit pour le moment de cas isolés, mais c’est ainsi que cela a commencé en Europe il y a 20 ans. Ces cas isolés pourraient facilement influencer et devenir la norme, » a indiqué Ayalon, faisant référence aux débuts du mouvement BDS.
« Le ministère des Affaires étrangères est le seul ministère qui peut le combattre avec sa représentation géographique partout dans le monde. Nous avons neuf consulats aux États-Unis, et ils sont actuellement tous en grève. Le BDS est le principal défi. »

Plus tôt ce mois-ci, onze organisations pro-israéliennes basées au Royaume-Uni ont transmis une lettre à Netanyahu, lui demandant d’intervenir dans le conflit afin de permettre aux diplomates israéliens de continuer à promouvoir l’Etat juif. La Grande-Bretagne constitue une pièce capitale en terme de diplomatie et d’opinion publique, et le « travail inlassable des diplomates israéliens est absolument crucial pour la protection et la promotion de la cause israélienne », peut-on lire sur la lettre. « Sans vouloir interférer dans des conflits sociaux internes, nous considérons qu’il est important que vous sachiez quel travail essentiel ces représentants israéliens effectuent sur une base quotidienne. »
Pourtant, les dégâts ne se limiteraient pas au domaine de la hasbara ou des relations publiques. Quand d’importantes délégations israéliennes, hommes d’affaires ou scientifiques de renom arrivent dans un pays étranger, l’ambassade du pays concerné redouble généralement d’efforts pour s’assurer qu’ils rencontreront leurs homologues. Ces procédures sont pour l’heure gelées et les conséquences sont très dommageables.
D’ailleurs, la Chambre de Commerce israélienne de Chine a également rédigé la semaine dernière une lettre à l’attention de Netanyahu et d’autres hauts responsables gouvernementaux. Objet de la protestation : la grève menée par le ministère des Affaires étrangères a éloigné les investisseurs chinois. «Nous estimons que les dommages s’élèvent à plusieurs millions de dollars d’investissements potentiels dans des sociétés israéliennes », affirme la lettre.
La hasbara et la promotion des relations commerciales constituent-elles donc les seuls domaines de compétence dont la responsabilité incombe toujours au ministère des Affaires étrangères ? Au cours des dernières années, cet étrange constat est devenu la réalité de facto : les principales prérogatives anciennement dévolues au ministère lui ont été retirées et redistribuées. Une large part de la politique étrangère d’Israël relève désormais de la compétence du Bureau du Premier ministre, du Conseil de sécurité nationale et du Mossad, ne laissant que peu d’espace au ministère des Affaires étrangères.
« Les gens tiennent tout pour acquis, en absence de crise, et supposent que les choses fonctionnent par elles-mêmes. Mais il n’en est rien. »
Itamar Rabinovich
Les pourparlers de paix avec les Palestiniens sont conduits par l’émissaire personnel de Netanyahu Isaac Molcho et la ministre de la Justice Tzipi Livni ; les négociations avec la Turquie sont gérées par l’ancien directeur-génér
Le « dialogue stratégique » biannuel avec les Etats-Unis et le dossier du nucléaire iranien sont aux mains du ministre des Affaires stratégiques Yuval Steinitz. Les liens avec la diaspora sont quant à eux sous la responsabilité du ministre des affaires de la diaspora Naftali Bennett.
« Le ministère des Affaires étrangères apparait donc comme le plus grand perdant des guerres bureaucratiques israéliennes », a souligné Aharon Klieman, directeur fondateur du programme Eban Abba d’études diplomatiques de l’Université de Tel Aviv.
« Son mandat et ses prérogatives se sont considérablement amenuisés au point de le transformer en acteur secondaire et de plus en plus marginal », dénonçait Klieman l’année dernière dans le Journal israélien des Affaires étrangères. « La gestion, ou plutôt la mauvaise gestion, des affaires étrangères israéliennes n’est pas seulement scandaleuse, elle est intolérable », poursuit-il.
« En vérité, elle semble être tolérée ».Et pourtant, le rôle du ministère des Affaires étrangères ne se limite pas à l’accomplissement de tâches subalternes et ne se contente pas de renouveler les passeports pour les touristes, de délivrer des visas aux délégations commerciales, d’organiser les visites des hauts dignitaires étrangers ou encore de mener la hasbara, assure Itamar Rabinovich, ancien ambassadeur d’Israël aux Etats-Unis.
Le ministère effectue en coulisse un véritable travail diplomatique indispensable.On ne peut nier le déclin du rôle du ministère au cours des derniers mois – en raison d’une part de la création du ministère Steinitz [Ministère du Renseignement, des Relations internationales et des Affaires stratégiques] et d’autre part d’une période marquée par l’absence de ministre des Affaires étrangères, quand des soupçons de corruption planaient sur Liberman, admet Rabinovich.
Mais « affirmer que le ministère des Affaires étrangères n’a pas lieu d’être, c’est pousser le bouchon trop loin », insiste-t-il. Le processus de paix reste entre les mains du premier ministre. Les dossiers iraniens et turcs, ainsi que d’autres questions de politique étrangère sont traités ailleurs. Mais les diplomates israéliens ont en charge bon nombre d’autres dossiers cruciaux, pour lesquels ils se dévouent discrètement.
Les Israéliens peuvent vivre sans une instance exclusivement en charge des questions diplomatiques en état de fonctionnement. Mais seulement pour un laps de temps très court, souligne-t-il. « Vous découvrirez son importance quand une crise éclatera. Les gens tiennent tout pour acquis, en absence de crise, et supposent que les choses fonctionnent par elles-mêmes. Mais il n’en est rien. », a déclaré Rabinovich.
Israël n’a pas rejoint Horizon 2020, le prestigieux programme européen de Recherche-Développement après un simple coup de fil à Catherine Ashton. Notre participation a été assurée grâce au « travail quotidien du ministère auprès de la bureaucratie de l’UE », a déclaré Rabinovich. « Beaucoup de responsables politiques pensent qu’ils peuvent gérer les relations américano-israéliennes depuis Jérusalem, sans prendre en compte le travail à accomplir au Congrès, auprès des médias et au niveau local. Tous ces efforts sont réalisés par les diplomates. Et ils sont irremplaçables ».
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