Malgré les menaces, l’Egypte ne rompra probablement pas ses accords de paix avec Israël
Le Caire, désireux de voir la guerre se terminer et l'économie repartir, fait ouvertement état de ses frustrations, mais ses intérêts dans la préservation de l'accord avec Jérusalem n'ont pas changé
À en croire la couverture médiatique frénétique émanant du Caire, les liens de longue date entre Israël et l’Égypte semblent sur le point de se défaire.
Lorsque les troupes israéliennes ont finalement amorcé l’incursion terrestre dans la zone frontalière de Rafah le 7 mai, la réaction publique du Caire a été aussi rapide que virulente.
L’Égypte a mis en garde Israël contre des « répercussions désastreuses », a titré CNN.
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Des responsables égyptiens anonymes ont déclaré aux journalistes que l’offensive israélienne pourrait mettre en péril l’accord de paix signé en 1979 entre les deux pays. D’autres responsables ont averti que les liens diplomatiques pourraient rétrograder.
Le ministère égyptien des Affaires étrangères a ensuite déclaré qu’il se joindrait à la plainte pour « génocide » déposée par l’Afrique du Sud à l’encontre d’Israël devant la Cour internationale de justice (CIJ).
L’Égypte a également interrompu la coordination du passage des camions d’aide de son territoire à Gaza et a insisté pour que l’autre côté du passage de Rafah soit sous contrôle palestinien avant de reprendre les livraisons.
« La situation actuelle vis-à-vis de l’Égypte est la pire depuis le début de la guerre », a expliqué un fonctionnaire israélien anonyme au quotidien Haaretz.
Puis, les menaces ont cessé.
Plus important encore, l’Égypte n’a fait aucune démarche pour se joindre à l’affaire de la CIJ.
Elle a également accueilli une délégation israélienne de haut niveau pour tenter d’apaiser les tensions.
La colère de l’Égypte était prévisible et n’est pas le signe d’une rupture imminente des liens avec un pays qui a des intérêts de longue date dans une relation multiforme avec Israël.
Elles reflètent toutefois les profondes inquiétudes de l’Égypte face à la guerre entre Israël et le Hamas qui s’éternise, et à ce qui pourrait s’ensuivre.
Des intérêts profonds
Le comportement de l’Égypte est motivé par des intérêts fondamentaux – économiques, sécuritaires et régionaux – que Le Caire entend protéger malgré les combats qui font rage dans la bande de Gaza.
L’Égypte pâtit des profondes retombées économiques du conflit. Avant même l’attaque du Hamas le 7 octobre, l’économie égyptienne était en déclin constant. L’augmentation de la dette a conduit le pays à réduire les services sociaux et les subventions de base au cours de la dernière décennie, et l’invasion russe de l’Ukraine en 2022 a coupé ses principales sources d’importation de blé. Le Caire a dû dévaluer sa monnaie afin d’obtenir un prêt crucial du Fonds monétaire international (FMI), et l’inflation galopante continue de grimper.
Les combats dans la bande de Gaza n’ont fait qu’aggraver une situation déjà difficile.
L’une des principales sources de devises étrangères de l’Égypte – dont elle a besoin pour rembourser près de 200 milliards de dollars de dette extérieure et pour importer des produits de base essentiels – est le transport maritime international qui passe par le canal de Suez. Ce trafic a chuté de 50 % en raison des attaques menées par les Houthis du Yémen, soutenus par l’Iran, contre les navires traversant la mer Rouge.
Le tourisme, une autre source essentielle de devises étrangères et un secteur qui représente plus de 8 % du PIB, est également en forte baisse à cause de la guerre. (Certains experts égyptiens ont supposé que le fait que les pyramides de Gizeh aient la même sonorité que Gaza a encore plus dissuadé les touristes).
En plus de ces défis, l’Égypte a également vu affluer jusqu’à 100 000 réfugiés gazaouis depuis le début de la guerre.
La situation au point de passage de Rafah ne facilite pas la situation économique de l’Égypte. Le gouvernement égyptien gagnait de l’argent en facturant des frais de traitement sur chaque cargaison acheminée par le corridor El-Arish-Rafah, qui représente une part importante de l’aide destinée à la bande de Gaza.
Mais c’est Le Caire qui a décidé d’interrompre les envois d’aide dès qu’Israël a hissé son drapeau du côté gazaoui du point de passage.
Ce drapeau a été perçu en Égypte comme une violation de l’accord de 2005 sur les déplacements et l’accès (Agreement on Movement and Access ou AMA), qu’Israël a signé avec l’Autorité palestinienne (AP) après s’être retiré de la bande de Gaza. Cet accord stipule que l’AP contrôlera le passage du côté de Gaza sous la supervision de l’Union européenne. L’AMA a été suspendu après que le Hamas a pris le contrôle de Gaza en 2007, mais l’Égypte souhaite que l’AP reprenne le contrôle de la frontière.
« La réaction de l’Égypte vise à faire comprendre à Israël que sa présence aux postes-frontières est illégitime aux yeux du Caire et que les décisions non coordonnées auront un prix : celui de nuire aux relations bilatérales », explique Ofir Winter, chercheur principal à l’Institut d’études de sécurité nationale de Tel-Aviv.
L’Égypte a une autre raison importante de refuser la présence d’Israël à la frontière de Rafah.
« Il s’agit également de signaler aux détracteurs du régime d’Abdel-Fattah el-Sissi en Égypte et dans le monde arabe que Le Caire ne coopère pas avec Israël sur la capture du point de passage de Rafah », précise Winter.
« Si les conditions étaient différentes, ils préféreraient que nous soyons là tout le temps », estime Haïm Koren, ancien envoyé israélien en Égypte et au Soudan du Sud et chercheur au sein du groupe de réflexion Mitvim. « Mais ils ne peuvent rien dire de tel par les temps qui courent. »
Depuis que l’Égypte a signé un traité de paix avec Israël en 1979, le premier entre Jérusalem et un pays arabe, ses dirigeants sont vulnérables aux critiques des États anti-occidentaux et des partisans des Frères musulmans dans leur pays, qui les accusent de collaborer avec l’ennemi.
Cette sensibilité est à l’origine de l’appel du président égyptien Sissi, qui a exhorté les Égyptiens à descendre dans la rue pour protester contre Israël avant même le début de l’incursion terrestre à la fin du mois d’octobre.
« Les responsables des Frères musulmans en dehors de l’Égypte tentent d’inciter à la protestation et à la critique contre le régime égyptien par le biais de messages diffusés sur les chaînes satellitaires et les réseaux sociaux », analyse Winter. « Bien qu’il soit probable que la majorité des Égyptiens soient plus préoccupés par les difficultés économiques et la guerre quotidienne de l’existence que par la guerre à Gaza, les considérations de l’opinion publique influencent la conduite du régime. »
Le Hamas et les Frères musulmans
Cela ne veut pas dire que Sissi et l’élite dirigeante ont de la sympathie pour le Hamas. Ils le considèrent comme un bras armé des Frères musulmans, un mouvement politique fondé en Égypte, où il est proscrit.
Les hauts responsables de la police, des prisons et des services de renseignement accusent le Hamas d’avoir participé à une évasion massive de prison en 2011, qui a permis de libérer plus de 20 000 détenus, dont des membres du Hamas emprisonnés et des criminels qui ont alimenté une vague de criminalité massive. Parmi les dirigeants des Frères musulmans libérés lors de cette attaque coordonnée figurait Mohammed Morsi, l’homme que Sissi a renversé en tant que président et qu’il a maintenu en prison jusqu’à sa mort en 2019.
Le régime a également accusé le Hamas d’être impliqué, avec les Frères musulmans, dans l’assassinat en 2016 du procureur général du pays, Hisham Barakat.
Sissi, qui a déclaré que les Frères musulmans était un groupe terroriste lorsqu’il est arrivé au pouvoir en 2014, traque vigoureusement cette organisation, qui représente la principale menace pour son régime.
En mars, un tribunal égyptien a condamné à mort par pendaison huit hauts dirigeants du mouvement, dont deux anciens guides suprêmes. Les Frères musulmans continuent d’œuvrer à la chute de Sissi depuis leurs quartiers généraux à l’étranger, notamment en Turquie et au Qatar.
Parallèlement, les fonctionnaires égyptiens semblent éprouver une certaine sympathie discrète pour le Hamas – ou du moins une volonté de fermer les yeux pour de l’argent. À Rafah, les forces israéliennes ont découvert une cinquantaine de tunnels transfrontaliers, qui n’auraient pas pu être creusés à l’insu de certaines forces de sécurité de l’autre côté de la frontière.
Pourtant, le régime veut éviter qu’un flot de réfugiés gazaouis ne traverse la frontière pour se rendre dans le Sinaï, ce qui ajouterait des centaines de milliers de bouches à nourrir et permettrait aux terroristes du Hamas de se lier aux terroristes salafistes et à ceux des Frères musulmans. Le Caire se souvient que le Hamas a déclenché des explosions le long de la barrière frontalière en 2008, permettant à la moitié de la population de Gaza de passer sans contrôle en Égypte. Il a fallu près d’un an à l’Égypte pour rassembler les derniers habitants de Gaza dans le nord du Sinaï et les renvoyer à Gaza.
Une occasion en or
Malgré tous les écueils, si Sissi joue bien ses cartes, la guerre à Gaza peut redéfinir la position régionale de l’Égypte.
« L’Égypte considère qu’il s’agit d’une occasion en or de profiter de la crise actuelle pour trouver une solution à la question palestinienne », explique Michael Barak, chercheur principal à l’Institut international de lutte contre le terrorisme de l’université Reichman.
« L’Égypte tente également de renforcer son image dans le monde arabe, ce qui signifie qu’elle souhaite signaler aux États-Unis qu’elle est un allié crucial dans la région et qu’elle est capable d’amener Israël et le Hamas à la table des négociations et de contribuer à l’obtention d’un cessez-le-feu.
L’Egypte se donnera beaucoup de mal pour tenter que la guerre soit écourtée, même au risque de distendre les liens avec Washington. CNN a rapporté que les services de renseignement égyptiens avaient modifié les termes d’un accord sur la libération des otages accepté par Israël à l’insu des autres médiateurs. Cette tentative maladroite a irrité le Qatar, les États-Unis et Israël, et les pourparlers sont au point mort depuis.
Jusqu’à ce qu’il atteigne cet objectif clé, Le Caire demande instamment à Israël de clarifier l’avenir de la bande de Gaza et la gestion du point de passage de Rafah avant d’accepter de travailler ensemble sur l’aide ou sur le lendemain du Hamas.
Parallèlement aux dénonciations, l’Égypte a également envoyé de nombreux signaux indiquant qu’elle n’avait pas l’intention de prendre des mesures trop radicales à l’encontre d’Israël.
« L’accord de paix avec Israël est le choix stratégique de l’Égypte depuis 40 ans et représente le principal pilier de la paix dans la région pour parvenir à la paix et à la stabilité », a déclaré le ministre des Affaires étrangères, Sameh Shoukry, le jour même où son ministère a annoncé qu’il se joindrait à l’action en justice de la CIJ.
Après avoir accusé Israël de se soustraire aux efforts de cessez-le-feu, Sissi a déclaré la semaine dernière, lors du sommet de la Ligue arabe, que « malgré le tableau sombre actuel, l’Égypte s’accroche toujours à l’espoir que les voix de la raison, de la justice et de la vérité finiront par l’emporter, sauvant ainsi la région de vagues interminables de guerres et d’effusions de sang ».
Contrairement aux envoyés de pays comme les Émirats arabes unis, l’ambassadeur d’Égypte poursuit son travail depuis Tel-Aviv, et l’envoyé d’Israël fait de même au Caire.
La coopération en matière de sécurité reste étroite, les délégations faisant régulièrement des allers-retours en toute discrétion.
Rien de tout cela ne devrait surprendre. L’Égypte est un pays aux intérêts constants et profonds, et les décideurs restent au pouvoir pendant de nombreuses années.
« Ils savent combien d’intérêts communs ils partagent avec nous », résume Koren.
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