Malgré les promesses, l’immigration éthiopienne stagne et personne n’en assume la responsabilité
Huit mois après avoir pris la décision de faire venir par avion 1 300 membres de la communauté juive éthiopienne, pas un seul dossier d'immigration n'a encore été traité. Parmi les raisons invoquées, le manque de climatisation à l'ambassade d' Addis Ababa
En octobre 2016, 63 immigrants éthiopiens ont atterri sur le tarmac de l’aéroport Ben Gourion, accueillis par les cris de joie – et les larmes – des membres de leurs familles qui les attendaient avec impatience. Ils ont été les premiers à arriver en Israël après l’annonce, trois ans auparavant, par le gouvernement de la « fin » de l’immigration. Cette annonce avait suscité la colère des familles éthiopiennes Israéliennes, dont des proches se trouvaient encore coincés à Gondar et à Addis Ababa.
Parmi les discours et des drapeaux brandis à l’aéroport Ben Gourion, d’importantes personnalités – dont Natan Sharansky de l’Agence juive et le ministre de l’Intégration Sofa Landver – avaient salué le début d’une nouvelle ère, qui permettrait de faire venir chaque année approximativement 1 300 Juifs éthiopiens en Israël jusqu’à ce que la communauté juive éthiopienne toute entière, formée de 9 000 membres, puisse trouver sa nouvelle place au sein de l’état juif. Mais aujourd’hui, huit mois après la décision prise par le gouvernement, les quelques douzaines de personnes arrivées par le vol de ce mois d’octobre restent les seuls Juifs d’Ethiopie à avoir pu quitter leur pays.
Malgré une campagne importante et un accord qui avait été vivement fêté, pas un seul membre de la communauté juive éthiopienne n’a vu sa demande d’immigration traitée par le ministère de l’Intérieur jusqu’à présent – sans même évoquer l’octroi d’une autorisation de venir en Israël.
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Le ministère de l’Intérieur avait approuvé les requêtes soumises par les immigrants du mois d’octobre avant le moratoire, ne souhaitant pas par ailleurs les laisser venir immédiatement en raison de l’absence d’allocation budgétaire pour leur intégration. Mais les promesses faites par le gouvernement n’ont pas été tenues et les premières arrivées sur le sol Israélien n’ont pas encore été suivies par une immigration de masse des Ethiopiens.
500 membres de la communauté juive éthiopienne se sont récemment rassemblés dans une salle de la Knesset pour une « session de célébration » de la commission chargée de l’Immigration et de l’Intégration qui célébrait les 25 années passées depuis l’Opération Salomon.
En plus de Landver et du président de la Knesset Yuli Edelstein, des magistrats de la Cour Suprême et autres hauts responsables ont salué l’opération audacieuse qui avait permis la venue de 15 000 Juifs éthiopiens en Israël, les festivités ont été entachées par l’incertitude qui persiste sur la situation des membres de la communauté encore présents en Ethiopie.
« La réjouissance et la joie sont mêlées à un sentiment profond de douleur et d’inquiétude », a déclaré le membre de la Knesset issu du Likud Avraham Neguise au Times of Israël après un discours prononcé lors de la session. Neguise était lui-même arrivé en Israël de l’Ethiopie dans le cadre de l’Opération Moïse en 1984, qui avait ouvert la voie à l’Opération Salomon en 1992.
“Lors des 25 dernières années, plus de 50 000 Ethiopiens sont arrivés en Israël et sont devenus une partie intégrante de la société. Mais nous devons nous souvenir que l’alyah n’est pas terminée et qu’il y a encore des Juifs retenus en Ethiopie et qui souffrent là-bas », a-t-il ajouté.
« Nous ne pouvons pas accepter cette discrimination et nous n’abandonnerons pas ce combat. Si le gouvernement continue à mépriser la communauté en échouant à mettre en œuvre sa propre décision, alors nous lutterons comme nous n’avons jamais lutté auparavant ».
‘Rien n’est fait’
Pour beaucoup, les centaines de personnes ayant encore de la famille en Ethiopie venues participer à la cérémonie de la Knesset ainsi que le discours engagé de Neguise ont représenté bien plus qu’un exercice de politique protestataire.
Berahoun Kibrout, venu à la Knesset depuis la ville de Beer Sheva, dans le sud du pays, a sept frères et soeurs qui attendent encore l’autorisation d’immigrer en Israël. Cela fait quinze ans qu’ils espèrent.
“Ils sont dans une situation terrible, ils souffrent véritablement. Il y a ce sentiment horrible que rien n’est fait », dit-il. « Notre famille a été divisée. J’ai ma vie ici et eux sont coincés là-bas ».
Il y approximativement 9 000 personnes qui vivent encore en Ethiopie et qui n’ont pu obtenir l’autorisation d’immigrer en Israël, le ministère de l’Intérieur ayant déterminé qu’ils n’étaient pas Juifs. Les Juifs éthiopiens font valoir que le processus visant à déterminer leur judéité a été médiocrement exécuté et imprécis, divisant les familles. Au moins 80 % des Juifs éthiopiens ont des parents au premier degré qui vivent en Israël.
Les Juifs restés en Ethiopie sont appelés Falashmura, un terme pour les Juifs éthiopiens dont les ancêtres se sont convertis il y a des générations, au christianisme, souvent sous la contrainte. Les Falashmura ne sont pas considérés comme éligibles à la citoyenneté israélienne selon les spécifications de La loi du retour, qui exige au moins la présence d’un grand-parent juif dans l’arbre généalogique et disqualifie quiconque s’est converti à une autre religion, même si cette conversion a eu lieu il y a longtemps.
‘Nous avons sécurisé le budget, nous avons répondu à toutes les questions qui nous étaient posées et nous avons accompli toutes les exigences nécessaires. Pourquoi les Juifs n’arrivent-ils pas ici ?’ — Avraham Neguisa
Kibrout a expliqué que la décision gouvernementale, en 2016, avait donné de l’espoir à sa famille mais qu’il a été amèrement déçu de constater que l’initiative n’était aucunement mise en oeuvre. « Le gouvernement ne nous prend pas au sérieux. On continue à nous raconter des histoires mais rien n’arrive », a-t-il ajouté.
Il y a deux semaines, lors d’une audience de la Knesset consacrée à l’immigration éthiopienne, les législateurs ont évoqué les facteurs qui empêchent le bon déroulement des processus d’immigration : Les mouvements de protestation dans différentes régions d’Ethiopie, le manque de guichet pour les immigrants potentiels à Addis Ababa, les travaux en cours à l’ambassade, dans la capitale éthiopienne, l’action civile en faveur des salaires lancée par les envoyés israéliens et les désaccords administratifs entre les agences gouvernementales à Jérusalem.
“C’est le jeu de passage de relais le plus ridicule auquel je n’ai jamais assisté », a annoncé le président de la commission de la Chambre de la Knesset David Bitan (Likud) face aux plaintes de divers représentants des ministères du gouvernement. « J’ai dirigé des centaines de rencontres de la Knesset et je n’avais jamais vu une situation aussi absurde ».
Bitan, aux côtés de Neguise, avait aidé à sécuriser l’accord gouvernemental de reprise de l’immigration éthiopienne – au moins partiellement – en refusant de voter aux côtés de la coalition en l’absence d’un financement de l’initiative. Alors que la coalition, à l’époque, ne comprenait que 61 des 120 membres de la Knesset, les deux hommes étaient parvenus à prendre en otage l’ordre du jour législatif du gouvernement. Mais maintenant que la coalition s’est étendue, leur capital politique paraît bien moins précieux.
Retards et excuses
Même si le gouvernement a approuvé à l’unanimité l’immigration de tous les Juifs qui se trouvent en Ethiopie en novembre 2015, la décision a vacillé trois mois plus tard lorsque le Bureau du Premier ministre a refusé de mettre en oeuvre le programme en raison du milliard de dollars manquant au budget de l’état qui, a-t-il dit, était nécessaire pour financer le programme d’intégration.
Au mois d’août 2016, le ministère des Finances a finalement trouvé un compromis et accepté d’allouer un budget qui permettrait à 1 300 Ethiopiens d’immigrer en Israël, l’argent étant divisé entre un certain nombre d’entités comme le ministère de l’Intérieur, le ministère des Affaires étrangères et l’Agence juive.
Maintenant, ces trois organismes gouvernementaux se reprochent mutuellement d’avoir échoué à lancer le processus.
“Nous avons sécurisé le budget, nous avons répondu à toutes les questions qui nous étaient posées et nous avons accompli toutes les exigences nécessaires. Pourquoi les Juifs n’arrivent-ils pas ici ? » a demandé Neguise aux représentants du gouvernement lors de la rencontre de la Knesset au mois de février.
Chacun a donné une réponse différente.
Le chef du bureau des services consulaires du ministère des Affaires étrangères, Eyal Siso, a expliqué que des manifestations violentes en Ethiopie ont entraîné des retards massifs dans la mise en oeuvre du projet.
L’Ethiopie a dû faire face à des mouvements de protestation contre le gouvernement qui ont donné lieu aux pires troubles civils depuis des décennies, en particulier dans les régions d’Oromo et d’Amhara. Gondar, qui accueille approximativement 6 000 des 9 000 Juifs qui se trouvent encore dans le pays, est situé dans la région d’Amhara.
Mais défié par Neguise, Siso a admis que l’immeuble hébergeant le consulat israélien à Gondar n’avait été mis en danger que deux semaines, et que l’ambassade, à Addis Ababa, n’a pas été touchée par ces émeutes.
Le chef du bureau de l’alyah et des opérations spéciales de l’Agence juive, Yehuda Scharf, a expliqué que le problème n’était pas les manifestations violentes mais un manque de guichet dédié au projet à l’ambassade.
Selon Amos Arbel, directeur du registre des populations au sein du ministère de l’Intérieur, une nouvelle bâtisse se trouve actuellement en construction et sera terminée « dans les prochains mois ». Arbel a expliqué que le travail du traitement des demandes d’immigration ne pourrait pas commencer avant qu’il y ait des structures appropriées, une affirmation qui a été tournée en ridicule par Neguise et d’autres, qui ont souligné que plus de 50 000 personnes avaient immigré via l’ambassade d’Addis Ababa au cours des trente dernières années.
Reconnaissant que le processus d’étude des candidatures pourrait en effet avoir commencé à Gondar, Arbel a expliqué qu’un conflit portant sur les salaires des diplomates israéliens en Ethiopie avait empêché les représentants du ministère de l’Intérieur de voyager dans le pays pour commencer à traiter les dossiers de candidatures.
“Où sont les Juifs français ? Où sont les Juifs américains ? Les enfants et les adultes sont en train de mourir en attendant. C’est la seule Alyah à laquelle on tente de mettre un terme ».
“Nous espérons que le ministère de l’Intérieur accordera l’éligibilité dans les meilleurs délais à ceux qui attendent et qu’à Pâque, le premier groupe d’Olim venu d’Ethiopie sera ici pour célébrer cette fête en Israël », a conclu le rapport.
Non convaincu, Neguise a formé la semaine dernière une délégation d’urgence multipartite rassemblant les membres de la Knesset Hilik Bar (Union sioniste), Eli Alaluf (Koulanou) et Meir Cohen (Yesh Atid). Les parlementaires se sont envolés pour Ethiopie pour y évaluer la situation.
Revenus en Israël vingt-quatre heures avant la réunion de la Commission de la Chambre, les parlementaires ont raconté lors de la rencontre leur expérience auprès des communautés juives de Gondar et d’Addis Ababa.
“Je suis revenu de la visite à la fois gêné et enthousiaste. Il y avait beaucoup d’émotion à voir comment, tout en vivant dans des conditions inhumaines, 9 000 personnes préservent encore leur judaïsme et espèrent encore venir en Israël », a dit Cohen. « Mais c’est un sentiment horrible de savoir que ces Juifs attendent et que l’état d’Israël ne tient pas sa promesse de les faire venir ici ».
Les Juifs éthiopiens vivent dans la pauvreté dans les villes de Gondar et d’Addis Ababa, après avoir quitté leurs villages il y a près de 15 ou 20 ans pour s’inscrire auprès des responsables israéliens et attendre le moment de leur départ en Israël. Parce qu’ils se sont trouvés dans le flou depuis de nombreuses années, pensant souvent que leur départ en Israël aurait lieu sous peu, les Juifs n’ont pas investi dans des commerces ou dans l’immobilier, ce qui les a projetés dans la pauvreté les années passant. A Gondar, 6 000 Juifs vivent dans des cabanes de boue louées, la majorité sans électricité ni eau courante.
Les membres de la communauté juive sont également plus pauvres que l’Ethiopien moyen. En 2011, les chercheurs ont révélé que 41 % des enfants juifs à Gondar étaient sous-alimentés, et qu’à l’âge de 12 à 13 mois, 67 % d’entre eux souffraient déjà de malnutrition. Le taux urbain de malnutrition en Ethiopie s’élève à 30 %. L’Agence juive a longtemps dirigé un programme alimentaire en faveur de la communauté juive, pour les jeunes mères, pour les femmes enceintes ainsi que pour les enfants jusqu’à l’âge de 6 ans, mais le programme s’est achevé en 2013 lorsque la fin de l’alyah éthiopienne a été annoncée.
Alaluf a expliqué avoir été choqué par l’inaptitude des responsables israéliens en Ethiopie, notamment lorsqu’on lui a dit que les retards avaient pour origine un manque de climatisation au sein de l’ambassade. L’altitude d’Addis Ababa est de 2 300 mètres, ce qui offre un climat frais, parfois froid, ne nécessitant aucune climatisation. « Ces gens devraient être immédiatement rapatriés en Israël et remplacés par d’autres qui posséderaient le niveau minimum requis d’empathie et de compréhension », a commenté Alaluf.
Alaluf a également critiqué les communautés juives du monde entier qui, a-t-il dit, n’ont pas soutenu massivement ce projet d’immigration comme elles l’avaient fait lors des opérations Moïse et Salomon, restant très largement silencieuse lors de la suspension de l’alyah depuis l’Ethiopie. “Où sont les Juifs français ? Où sont les Juifs américains ? Les enfants et les adultes sont en train de mourir en attendant. C’est la seule Alyah à laquelle on tente de mettre un terme. Cette gêne doit cesser dorénavant », a-t-il déclaré avec emphase.
Selon Neguise, lorsqu’ils ont appris l’arrivée de la délégation, les envoyés du ministère de l’Intérieur sur place depuis le dimanche précédent se sont empressés de commencer à traiter les dossiers de candidature afin que les membres de la Knesset puissent constater que la décision gouvernementale était bien mise en oeuvre.
Mais même avec cette pression renouvelée et ces progrès modestes, les représentants de la communauté en Ethiopie disent qu’un premier vol avant Pâque – la fête qui célèbre l’exode des Juifs depuis l’Egypte – semble de plus en plus improbable.
Un porte-parole du registre de la population au ministère de l’Intérieur a refusé de répondre aux questions du Times of Israël sur les retards, l’état des structures en Ethiopie, le traitement des demandes et la date de reprise de l’immigration depuis le pays.
Au même moment, l’ambassade chrétienne internationale de Jérusalem (IECJ) a offert de payer approximativement 800 dollars par personne pour couvrir les frais de transport depuis Gondar ou Addis Ababa vers les centres d’intégration en Israël, selon le porte-parole David Parsons. Au cours des vingt-cinq dernières années, l’IECJ a payé environ 10 % de tous les vols annuels pour les Olim du monde entier et parraine actuellement des arrivées depuis l’Inde, la Biélorussie, l’Ukraine, la Russie, en plus de l’Ethiopie.
Parsons a expliqué que l’ICEJ a d’ores et déjà transféré de l’argent pour payer environ 900 billets d’avion à des Juifs éthiopiens, et qu’il est actuellement en train de collecter des fonds pour les 400 billets restants. Cela couvrirait la première année de l’immigration éthiopienne, au cours de laquelle le gouvernement a approuvé l’intégration de 1 300 Juifs.
“Nous attendons avec anxiété de les voir arriver et nous savons que ces gens nourrissent l’espoir de venir depuis longtemps, que cet espoir a été différé et encore différé à trop d’occasions déjà », a dit Parsons. “Nous aurons très bientôt de nouveaux dons à faire et cela pourrait aider à organiser plus de trajets en avion ».
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