Israël en guerre - Jour 376

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Analyse

Malgré quelques (graves) faux pas, Benoît XVI était un ami dévoué des Juifs

Souvent décrit comme glacial et distant, le pape allemand, enterré jeudi, était pour ses proches un homme chaleureux impliqué dans les relations entre Catholiques et Juifs

Lazar Berman

Lazar Berman est le correspondant diplomatique du Times of Israël

Sur cette photo du 28 mai 2006, Benoît XVI, alors pape, franchit la porte de l'ancien camp de concentration nazi d'Auschwitz à Oswiecim, en Pologne. (Crédit : Diether Endlicher/AP)
Sur cette photo du 28 mai 2006, Benoît XVI, alors pape, franchit la porte de l'ancien camp de concentration nazi d'Auschwitz à Oswiecim, en Pologne. (Crédit : Diether Endlicher/AP)

« Les deux papes », le film de 2019, présente François comme un homme du peuple chaleureux et affable.

Son prédécesseur Benoît XVI, pape émérite enterré au Vatican jeudi dernier, ne pouvait être plus différent, du moins dans le film. Il y est dépeint comme un pontife froid et dur, en décalage avec les besoins pastoraux du monde moderne.

Si le film présente un portrait fidèle de François, il semble avoir raté le coche en ce qui concerne Benoît, estime le rabbin David Rosen, directeur des Affaires internationales et interreligieuses de l’American Jewish Committee (AJC).

« Je pense que le film est injuste envers Benoît, parce qu’il n’a pas su comprendre son humour ou sa chaleur ».

Il n’y a pas qu’à Hollywood que l’image de Benoît XVI était en désaccord avec la réalité.

Dès le début de son pontificat, de nombreux Juifs se sont montrés particulièrement méfiants à l’égard de Benoît XVI, né en Allemagne en 1927 sous le nom de Joseph Aloisius Ratzinger.

Adolescent, il avait été enrôlé dans les Jeunesses hitlériennes puis dans l’armée allemande et, bien qu’il soit issu d’une famille anti-nazie et qu’il se soit gardé de toute participation active, son passé ne l’a certainement pas rendu sympathique aux yeux de ceux qui s’occupent des relations entre Juifs et Catholiques.

Il avait également une tâche difficile à accomplir.

En effet, le pape Jean-Paul II, à qui il a succédé, a été le premier à développer les relations entre l’Église, les Juifs et l’État d’Israël.

Le pape Jean-Paul II rencontre les grands rabbins israéliens Rabbi Yisrael Meir Lau et Rabbi Eliyahu Bakshi-Doron. 23 mars 2000. (Crédit : Flash90)

« On s’est posé beaucoup de questions en avril 2005, lorsqu’il a été élu », se souvient Murray Watson, cofondateur du Center for Jewish-Catholic-Muslim Learning à l’Université Western de l’Ontario.

En qualité de cardinal Ratzinger, il ne s’était jusqu’alors pas spécialement distingué comme une figure de proue du dialogue judéo-chrétien. Pourtant, ceux qui y ont prêté attention ont pu déceler des signes encourageants.

Le cardinal Ratzinger était déjà membre de la commission du Vatican qui a approuvé l’établissement de relations diplomatiques avec Israël dans les années 1990.

Selon Rosen, un proche de Ratzinger, Jehudah Zwi Werblowsky, professeur de religion à l’Université hébraïque, aurait reçu un appel téléphonique de Ratzinger en 1993, après l’établissement des relations diplomatiques.

Le cardinal avait exprimé sa joie, qualifiant le moment d’aboutissement du document Nostra Aetate de 1965 qui a révolutionné les relations de l’Église avec les Juifs.

Le 28 octobre 1965, à la fin du Concile Vatican II, plus de 2 000 cardinaux, évêques et patriarches du monde entier ont adopté ce document très novateur. Il s’agit d’une déclaration historique qui a jeté les bases, après des siècles d’anti-judaïsme, du dialogue avec les juifs et toutes les autres religions.

Le passage le plus important concernait les juifs, après des siècles d’ « enseignement du mépris » d’une Eglise qui les accusait d’avoir provoqué la mort de Jésus et dont l’enseignement avait alimenté l’antisémitisme en Europe.

En 1986, Jean Paul II avait complété « Nostra Aetate » avec une rencontre interreligieuse à Assise, rééditée en 1993 et en 2011. Des communautés catholiques comme Sant’Egidio ont ensuite intensifié ces échanges et ce dialogue. Avec les juifs, qualifiés de « grands frères » par Jean Paul II, le pape polonais et ses successeurs ont multiplié les gestes, se rendant par exemple plusieurs fois dans des synagogues.

Le cardinal Joseph Ratzinger, à gauche, de Munich, en Allemagne, dans la Cité du Vatican pendant l’installation de cinq nouveaux cardinaux par le pape Paul VI, le 27 juin 1977. (Crédit : Massimo Sambucetti/AP)

En 2000, Ratzinger écrit un article intitulé « L’héritage d’Abraham : Le don de Noël », dans lequel il évoque la gratitude que les Chrétiens doivent éprouver envers les Juifs pour avoir protégé le don de la foi en un Dieu unique. Il écrit que le dialogue entre les deux religions « doit commencer par une prière à notre Dieu, avant tout, pour qu’il nous accorde, à nous Chrétiens, une plus grande estime et un plus grand amour pour ce peuple, le peuple d’Israël ».

Il était également à la tête de la Commission biblique pontificale lorsque celle-ci a publié, en 2002, un document novateur intitulé « Le peuple juif et ses Écritures sacrées dans la Bible chrétienne », qui affirme la « propriété » et les interprétations juives de la Bible hébraïque.

« Tout ceci a contribué à insuffler beaucoup d’espoir en son pontificat lorsqu’il a pris ses fonctions – à sa manière, toute particulière – et nous n’avons pas du tout été déçus », confie Watson.

Des pas en avant

À bien des égards, Benoît XVI s’est discrètement appuyé sur les efforts de Jean-Paul II, pour renforcer les liens entre l’Église et les Juifs.

La première correspondance officielle de Benoît XVI en qualité de pontife est une lettre adressée au grand rabbin de Rome, Elio Toaff, à l’occasion de son 90e anniversaire. Il est également le tout premier pape à inviter des représentants juifs à son intronisation et aux funérailles de son prédécesseur.

Elio Toaff à Rome, vers 1985 (Crédit : Wikimedia Commons/indeciso42 Free Document)

Là où Jean-Paul II avait innové en étant le premier pape à se rendre dans une synagogue depuis Saint-Pierre – sa seule visite dans une synagogue en 27 ans sur le trône papal -, Benoît XVI en visite trois au cours de ses huit années de pontificat. Sa visite, en 2005, à la synagogue Roonstraβe de Cologne est sa première visite à un lieu de culte en dehors du Vatican.

Dans son livre de 2007 sur Jésus, le pape rappelle l’influence de l’érudit juif américain Jacob Neusner sur sa propre réflexion à propos de la judéité du Christ.

« C’était probablement la première fois qu’un pape reconnaissait publiquement avoir appris quelque chose d’un rabbin », explique Watson, « ce qui, pour un théologien du calibre de Benoît XVI, était une déclaration très importante, qui, il l’espérait clairement, inciterait d’autres Chrétiens à prendre au sérieux ce que le judaïsme a à nous apprendre sur la vie et le message de Jésus ».

Rosen s’entretient à de nombreuses reprises avec Benoît XVI, et en ressort toujours impressionné.

« Quel remarquable ami du peuple juif il était », se souvient Rosen.

« Si vous lisez ses écrits, son engagement envers le peuple juif, envers la relation entre Chrétiens et Juifs, sa vision du peuple juif et du judaïsme est remarquable. »

Un « problème d’image »

Malgré les mesures importantes qu’il a pu prendre, Benoît XVI laisse le souvenir d’un personnage au comportement discutable envers les Juifs.

Le pape François, à gauche, embrasse le pape émérite Benoît XVI, au Vatican, le 28 juin 2017. (Crédit : L’Osservatore Romano/AP)

« Le vrai problème de Benoît XVI était un problème d’image », explique Rosen.

En tant que chef de la Congrégation pour la Doctrine de la Foi, Ratzinger avait été chargé de faire respecter l’enseignement catholique orthodoxe contre l’hérésie, position qui ne l’a pas rendu sympathique aux journalistes laïcs.

Plus important encore, c’était un universitaire allemand avec très peu d’expérience pastorale, et il n’avait pas la fibre populaire de son prédécesseur ou de son successeur. Les médias le présentaient comme rigide et distant.

Ce décalage s’est manifesté lors de sa visite en Israël, en mai 2009, au cours de laquelle Benoît XVI a visité le mur Occidental et le mémorial de la Shoah de Yad Vashem.

Aux yeux de nombreux Israéliens, quelque chose manquait.

« Ce qu’ils voulaient, c’était de l’émotion », explique Rosen. « Ils voulaient entendre une sorte d’expression d’expiation. Ils voulaient une connexion plus émotionnelle et elle n’a jamais eu lieu. »

Le rabbin David Rosen, parle lors d’une conférence de presse après l’audience générale dans le centre de presse du Vatican, le 28 octobre 2015. (Crédit : Alessandra Tarantino/AP)

« Le voyage de Jean-Paul II en Israël a eu un impact énorme », affirme le rabbin Eugene Korn, spécialiste des relations judéo-chrétiennes, « parce qu’il a fait et dit toutes les bonnes choses. Il était très, très chaleureux à l’égard des Israéliens, et Benoît XVI a été tout le contraire. »

Mais au-delà des problèmes d’image, il y a aussi eu de sérieux faux pas.

Lors d’un discours important prononcé en 2006 à Auschwitz, dans lequel il a défini le nazisme comme une attaque contre le christianisme, Benoît XVI a également dépeint les nazis comme un groupe de criminels qui ont exploité le processus démocratique pour s’emparer de l’Allemagne.

Le premier pape allemand n’a pas une fois évoqué la responsabilité collective de ses compatriotes pour la Shoah.

Le pape a également levé de nombreuses restrictions sur l’ancienne forme tridentine de la messe, dont les prières du Vendredi saint parlaient de manière très négative du peuple juif, avec notamment un appel à la conversion.

Par la suite, il a personnellement réécrit la prière pour la rendre plus respectueuse.

Une autre controverse a éclaté au sujet de Pie XII, le pape très contesté de la guerre que les organisations juives accusent de ne pas avoir condamné le nazisme ni l’assassinat des Juifs.

En 2009, Benoît XVI accélère le processus de canonisation de Pie en évoquant sa « vertu héroïque ».

Comme on pouvait s’y attendre, cette décision suscite l’indignation de la communauté juive.

Des hommes, des femmes et des soldats se rassemblent autour du pape Pie XII, les bras tendus, le 15 octobre 1943, lors de sa tournée d’inspection à Rome, en Italie, après le raid aérien américain du 13 août, pendant la Seconde Guerre mondiale. (Crédit : AP)

Un problème plus sérieux apparait en 2009, lorsque Benoît XVI suspend l’excommunication d’un évêque britannique traditionaliste, Richard Williamson, membre de la Fraternité Saint-Pie X, qui rejette les modernisations intervenues dans le sillage du Concile Vatican II.

Il ne faut pas longtemps pour découvrir que Williamson a publiquement nié l’ampleur de la Shoah à plusieurs reprises. Les dirigeants juifs sont stupéfaits et le Vatican présente des excuses.

Selon Rosen, les médias imputent à tort à Benoît XVI la responsabilité de ce fiasco.

« Jean-Paul II avait déjà tenté de réintégrer la Société dans ses rangs et avait même donné l’autorisation de réciter une messe en latin. »

Benoît XVI voulait réduire la fracture dans l’Église, a expliqué Korn, et non légitimer leurs enseignements.

En outre, Benoît XVI ne rétablit pas la Fraternité Saint-Pie X, mais conditionne son retour à l’acceptation des enseignements du Concile Vatican II, y compris ceux sur les Juifs.

« Ce qui inquiétait les Juifs ne s’est finalement pas produit », explique Korn. « Il n’y a pas eu de résurgence de la théologie antisémite, et les déclarations du Concile Vatican II n’ont pas été remises en cause. »

« C’est certainement une grave erreur de gestion », suggère Rosen, ajoutant que Benoît était trop rigide dans sa gestion de l’information, y compris à propos de Williamson, « mais ce n’était pas le reflet d’un manque d’opposition de sa part à l’antisémitisme ».

Chaleur et engagement

Rosen s’entretient avec Benoît pour la dernière fois en 2016, le jour où François se rend dans la synagogue de Rome.

« J’ai eu un entretien en privé avec le pape Benoît XVI, dans son monastère de retraite », se souvient-il. « Il était déjà très fragile physiquement, mais mentalement, il était toujours aussi alerte. »

Pour Rosen, la contribution de Benoît XVI aux relations judéo-catholiques est une confirmation des innovations introduites par Jean-Paul II, montrant qu’elles ne sont pas le projet personnel d’un pape idiosyncratique.

Mais même s’il s’est appuyé sur le travail de Jean-Paul II, il n’a pas pu égaler son prédécesseur, ce qui pèse sur l’héritage laissé par Benoît XVI sur les relations juives.

« Contrairement à Jean-Paul II », explique Watson, « le pape Benoît XVI n’avait pas eu beaucoup d’amis juifs, et donc ses réflexions sur la relation judéo-chrétienne semblaient parfois plus théoriques et intellectuelles que fondées sur des relations personnelles. »

« Cela n’enlève rien à ce qui était son attachement sincère à faire progresser cette question », poursuit-il.

« Il estimait qu’il y avait encore de nombreux domaines à explorer, et croyait qu’un véritable dialogue avait intérêt à aborder les questions difficiles avec courage et honnêteté, plutôt que de chercher à les éviter. »

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