Meurtre de Sarah Halimi : les avocats s’indignent du traitement médiatique
Les avocats ont fait part aux journalistes présents, de leur incompréhension face au silence médiatique ayant entouré ce meurtre. Ils appellent le juge d'instruction à requalifier le crime en incluant le motif aggravant d'antisémitisme

Les détails de l’affaire Sarah Halimi dévoilés lundi 22 mai dans le cabinet de Me Buchinger avocat de la famille de Sarah Halimi, en présence de nombreux journalistes, laissent peu de place à la spéculation.
En présence du frère de la victime, les avocats ont reconstitué les dernières heures de la victime, les conditions de sa mise à mort, mais aussi le profil du meurtrier, délinquant multi-récidiviste pour trafic de stupéfiants, dont a été évoquée une possible radicalisation en prison, ainsi que sa fréquentation de la mosquée salafiste Omar, rue Morrand dans le quartier de Belleville (où il a passé la journée précédant le meurtre, en habits traditionnels), connue pour des faits de radicalisation en 2014.
Ils ont appelé le juge d’instruction à requalifier l’acte d’accusation, en incluant le motif aggravant d’antisémitisme.
Selon un enregistrement de 6 minutes détenu par Me Buchinger, réalisé par un témoin immédiatement après la mort de Sarah Halimi, le suspect continuait de faire « des incantations » en récitant des sourates du courant, et a crié à de nombreuses reprises « Allah akbar ». « Il a clairement manifesté [son islamisme] devant témoins, ajoute Alex Buchinger qui revient sur les faits. Il n’y a pas l’ombre d’un doute. »
« L’homme est entré chez des voisins d’origine malienne de Sarah Halimi qu’il a terrorisé. Ils se sont retranchés dans une pièce et ont appelé la police. Puis il a enjambé le balcon pour rejoindre celui de l’appartement de Sarah Halimi. Il surprend la dame dans son sommeil, il la torture à coups de poings (…). Le salon était plein de sang, c’est vous dire la violence des coups assénés. Je vous rappelle que quelques heures plus tard, au commissariat, alors qu’il avait été calme jusqu’ici, il s’est rebellé et qu’il a fallu huit policiers pour le contrôler. Deux ont été blessés ».
Durant cette séance de torture, il « traite cette malheureuse dame de « Sheitan » [Satan, en arabe], criant une dizaine de fois « Allak akbar, puis il tente de l’étouffer, « et voyant qu’elle respirait encore la prenant par les poignées et la défenestrant en voulant faire croire à un suicide, qu’est ce qu’on veut de plus ? » s’indigne l’avocat, qui insiste: le meurtrier alternait « incantations du Coran » et salves de coups lorsque la dame reprenait connaissance.
Sarah Halimi était reconnue dans l’immeuble comme une personne de confession juive, et de nombreux accrochages avaient eu lieu dans les mois précédant l’attaque avec la famille du suspect. « Des insultes, des crachats par terre, une des filles de Mme Halimi a été traitée de « sale juive » par une des sœurs du suspect. Le climat était délétère avec cette famille » précise-t-il.
« Une trentaine de mains courantes ont été déposées au commissariat pour signaler les agissements du suspect » a indiqué Me Buchinger. Mais aucune par Sarah Halimi, qui fait partie, selon lui, de ses nombreux juifs habitant des quartiers difficiles « qui n’osent pas déposer plainte » et n’entrent donc pas dans les statistiques.
L’homme, interné un premier temps en psychiatrie immédiatement après le meurtre, était-il en possession de ses moyens au moment des faits ? « Il n’a agressé aucun des autres voisins qu’il a rencontré sur son chemin, et s’est dirigé vers la seule femme juive de l’immeuble, pénétrant dans un appartement pour passer d’un balcon à celui de Sarah Halimi. Il a agi avec préméditation, nous l’affirmons » explique le deuxième avocat Me Kaminsky.
« Des proches de l’assassin me l’ont dit : « ils » lui ont retourné la tête en prison, explique le frère de la victime qui évoque la radicalisation du meurtrier durant une de ses 20 incarcérations. Le matin une soignante est venue soigner sa mère. Il la repoussée dans l’escalier en la traitant d’infidèle ».
Il ajoute que sa sœur « guettait les sorties de prison de l’assassin. Elle se savait en danger (…). Il avait déjà séquestré une pauvre dame cambodgienne de 90 ans, pour 15 euros. Une dame que ma sœur était allée réconforter ».
Selon l’avocat, le suspect terrifiait à tel point sa famille, que durant l’intervention (tardive) de la police « sa mère et sa sœur habitant l’immeuble n’avait qu’une attente que la police le tue ».
A ce jour, deux questions restent en suspens : dans l’attente du rapport de l’expert en psychiatrie, on ne sait si l’assassin, aujourd’hui sorti de l’hôpital psychiatrique de Saint Maurice, a agi de manière délirante ou non.
Mais surtout, pourquoi la police, alertée par les voisins entendant « les pleurs et les cris, » a-t-elle attendue plus d’une heure avant d’intervenir ? « Leurs réponses à l’officier de police judiciaire ont été très floues, explique Me Buchinger. Elles traduisent leur malaise ». Les avocats pourraient saisir l’Inspection générale de la police nationale (IGPN).
« Les policiers sont arrivés à 4h28 » soit trois minutes après avoir été appelés par les voisins d’origine malienne, détaille Alex Buchinger. « Les policiers sont devant la porte de ces voisins retranchés dans une chambre, ils entendent « Allah Akbar », appellent des renforts qui mettent peu de temps à arriver. Ils mettent leur gilet par balles. Mais il faudra attendre 5h35, soit une heure et 10 minutes après leur arrivée pour qu’ils interviennent ». Entre temps, l’individu est passé chez Sarah Halimi, qui habite certes au même étage, mais dans une autre montée de l’immeuble.
Parmi les voisins témoins de la scène « certains, traumatisés, ont dû se faire soigner, » explique Me Buchinger.
Sarah Halimi a été enterrée au cimetière de Guivat Shaul, à Jérusalem, le jeudi 6 avril.