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Décès de Helène Aylon, artiste et féministe juive de 89 ans, du coronavirus

Consacré à sa foi, aux questions féministes, au désarmement nucléaire, au changement climatique, l'œuvre d'Aylon reflétait son évolution en tant que femme juive

Helene Aylon, 89 ans, morte du coronavirus, le 6 avril (Crédit : Sandi Dubowski via JTA)
Helene Aylon, 89 ans, morte du coronavirus, le 6 avril (Crédit : Sandi Dubowski via JTA)

NEW YORK (JTA) — Impossible d’imaginer que Helène Aylon allait devenir une artiste innovante lorsqu’elle n’était qu’une petite fille de Borough Park, à Brooklyn. Après tout, la principale de l’école pour filles Shulamith, où elle était scolarisée, avait persuadé ses parents de ne pas lui permettre de rejoindre un lycée artistique à Manhattan. Ce n’était tout simplement pas convenable pour une jeune Juive.

Mais après son mariage, à l’âge de 18 ans, Aylon a commencé à prendre des cours d’art au Brooklyn College. L’un de ses professeurs a parlé d’elle à l’artiste Mark Rothko, qui l’a invitée dans son studio. Ils ont alors créé des liens autour de leur judéité partagée plus encore qu’autour de leur art.

Aylon devait devenir une force dans le monde de l’art, motivée par le féminisme, le désarmement nucléaire et avec une inquiétude réelle pour ce qui est appelé dorénavant le changement climatique. Elle a d’abord peint avant de se consacrer à l’art expérientiel et aux installations – un art auquel elle devait rester fidèle pendant les dernières années de sa vie. Son œuvre était souvent profondément autobiographique, reflétant ses propres réflexions en tant que femme juive.

Aylon est décédée le 6 avril à New York des suites du COVID-19. Elle avait 89 ans et elle a été l’une des 731 New-Yorkais à s’éteindre ce jour-là du virus meurtrier.

Aylon est née Helène Greenfield à Brooklyn en 1931. À l’âge de 18 ans, elle a épousé un rabbin, Mandel Fisch, et le couple a eu deux enfants. La semaine même où Aylon fêtait ses 30 ans, son mari est mort d’un cancer.

La première commande artistique d’Aylon a été une fresque peinte sur le mur d’un centre pour l’emploi à destination des jeunes à Brooklyn. Quand un photographe de presse est venu prendre une photo d’elle et qu’il lui a demandé son nom, elle a répondu spontanément Helène Aylon – un nom qu’elle conserverait tout au long de sa carrière et sous lequel elle deviendrait connue.

Helène Aylon, My Bridal Chamber, 2001, installation: My Marriage Bed, bed and video projection, 6 min. loop; My Clean Days, installation: bed, black marker on photocopies, paper and gauze,collection of the artist (Courtesy)
Helène Aylon, My Bridal Chamber, œuvre de 2001, installation : « My Marriage Bed », faite d’un lit et une projection vidéo de six minutes. (Autorisation)

Mère célibataire de deux jeunes enfants, Aylon a dû lutter pour pouvoir à la fois s’occuper d’eux et poursuivre sa carrière d’artiste.

« Je me suis sentie coupable en permanence », a-t-elle écrit dans ses mémoires intitulés « Whatever is Contained Must Be Released: My Jewish Orthodox Girlhood, My Life As A Feminist Artist », sortis aux éditions Feminist Press en 2012.

Aylon s’était sentie libérée avec l’ascension du mouvement féministe, « mon salut », a-t-elle dit. Elle avait évoqué le phénomène comme « une renaissance qui a ébloui mon imagination comme un lever de soleil et qui a extirpé la culpabilité qui était enfouie en moi ».

Après le départ de sa fille pour l’université, Aylon s’est installée à Wesbeth, une résidence d’artistes de Manhattan. Elle a également passé une décennie à Berkeley, en Californie, avant sa mort.

En 1969, Aylon a commencé à expérimenter l’idée de créer « une peinture qui se révèle à elle-même pour tenter d’introduire une conscience féministe en évolution à un média qui a été fortement dominé par la notion d’une expression idiomatique américaine, héroïque et presque exclusivement masculine », a écrit son agente, Leslie Tonkonow.

« Je pense à mes œuvres multimédias en tant que sauvetage du corps, de la Terre et de Dieu – tous bloqués dans des désignations patriarcales », a dit Aylon.

En 1982, elle a créé l’Ambulance de la Terre, un camion déguisé en ambulance qu’elle conduisait à travers les Etats-Unis, visitant des bases militaires, des mines d’uranium et des réacteurs nucléaires. Sur chacun de ces sites, elle a mis de la terre dans des taies d’oreiller avant de revenir à New York pour participer à un rassemblement en faveur du désarmement nucléaire aux Nations unies. Dix ans plus tard, pour célébrer la fin de la Guerre froide, une variation de cette installation a été présentée au Bridge Anchorage de Brooklyn.

En 1985, pour marquer le 40e anniversaire du bombardement de Hiroshima et de Nagasaki, Aylon avait travaillé avec de jeunes femmes japonaises à placer des sacs remplis de riz, de grains, de cosses et de semence sur le fleuve reliant les deux villes.

« Elle était une personnalité et une artiste rare, sans crainte, vraiment source d’inspiration et nous avons été bénis de pouvoir l’avoir comme exemple », a commenté l’artiste Archie Rand. « Sous-estimée aujourd’hui, elle a planté la graine de la reconnaissance posthume. J’en suis sûr. »

Dans les années 1990, Aylon avait commencé à se tourner vers le judaïsme avec son œuvre en neuf parties intitulée « The G-D Project ». La première installation, « The Liberation of G-D », avait été élaborée à partir d’étagères alignées avec des copies ouvertes de la Bible. Des exemples de misogynie, de langage violent, ou le nom oublié d’une femme dans le texte avaient été soulignés en rose.

Autre installation, un lit de noces juif recouvert de tissus de bedikah que certaines femmes pratiquantes utilisent pour le Efsék Taara, afin de vérifier qu’elles ont attendu assez après leurs règles pour s’immerger dans un bain rituel.

« My Notebooks » est une œuvre consistant en 54 carnets blancs avec des images d’écolières projetées dessus. Aylon avait dédié ce travail aux épouses des savants juifs médiévaux Rashi et Maïmonide — « qui devaient sûrement avoir quelque chose à dire ».

« Elle était l’une des femmes des plus puissantes que je n’aie jamais rencontré », clame le rabbin David Ingber, chef spirituel de la congrégation Romemu à New York qui, comme de nombreux rabbins, avait été invité par Aylon pour dialoguer au sujet de son travail dans les lieux où elle exposait.

« Elle était férocement unique, rigoureuse et énergique dans la vérité qu’elle racontait. Elle était une femme qui a su toucher de nombreuses vies grâce à son art et grâce à son cœur. C’est un grand privilège pour moi de dire qu’Helène était une amie, une de mes fidèles et une source d’inspiration », a-t-il ajouté.

À la fois dure et fragile, Aylon portait souvent un turban sur la tête et des vêtements amples. Elle avait une voix voilée et était douce, malgré ses idées révolutionnaires.

« Elle est restée fidèle à ses convictions, imperturbable, et elle était heureuse de débattre », explique sa fille, Renée Emunah. « C’était une femme visionnaire et, en même temps qu’elle était activiste, elle était sensible à la beauté esthétique. »

Les œuvres d’Aylon ont été exposées à de multiples reprises au musée Hebrew Union College-Jewish Institute of Religion de New York et font partie des collections permanentes du musée Whitney of American Art de New York, du musée d’art moderne de San Francisco et du Jewish Museum. Elles ont également été présentées dans le spectacle « Matronita » au musée d’art Ein Hard, en Israël, ainsi qu’au musée Andy Warhol de Pittsburgh.

Aylon laisse derrière elle deux sœurs, Linda Silberstein, qui vit à Los Angeles, et Sandy Ferziger Gottlieb, qui habite à Jérusalem ; un fils, Nathaniel Fisch, professeur d’astrophysique à l’université de Princeton ; une fille, Renee Emunah, autrice et thérapeute qui réside à Bolinas, en Californie ; ainsi que quatre petits-fils et une petite fille.

Dans un article en 2016 écrit alors qu’elle allait recevoir un prix récompensant l’ensemble de son œuvre de la part du Women’s Caucus for Art, Aylon avait déclaré espérer « qu’on se souviendra de moi avec amour parce que je ne cherche pas à calomnier le judaïsme, mais je veux simplement dire la vérité à son sujet et examiner ce qu’on peut faire pour que cette vérité s’exprime ».

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